Femmes modèles

Deux expositions françaises se penchent sur la représentation de la femme dans la peinture. Tour à tour amie, mère, épouse ou amante, elle occupe une place de choix dans l’histoire de l’art. Même si ce n’est pas toujours la plus flatteuse…

Dès les tout premiers dessins de l’époque préhistorique, la femme – nue et carrément stéatopyge – incarne la fertilité. Tradition bientôt chahutée par l’introduction du christianisme qui multiplie les figures de Vierges et de saintes. Dans ce contexte, les femmes déshabillées se font rares… Incarnation de la tentation, elles trouvent leur place dans les représentations de l’enfer. Les siècles s’écoulent, la femme – thème invariablement récurrent – tient des rôles de plus en plus variés : elle prend successivement les traits d’une sainte implorant la grâce divine, d’une héroïne historique, d’une mère diffusant un amour absolu, d’une simple mondaine, d’une Vénus langoureusement allongée…

Si, de tout temps, l’homme a aimé contempler et immortaliser une jolie femme, l’artiste du XIXe siècle va en faire sa spécialité. Ces représentations féminines – dont l’écrasante majorité porte une signature masculine – offrent une image assez idéalisée, éloignée de la réalité. Les hommes s’écartent du reflet fidèle de la femme dans la société pour livrer une vision assez conservatrice (portraits soignés, maternités, thèmes mythologiques, nus académiques…). Plus audacieux, certains artistes vont refuser de véhiculer ce mirage formaté pour offrir à leur modèle plus de liberté, mettre l’accent sur leur personnalité.

A partir de la seconde moitié du XIXe siècle, le nu – longtemps associé à l’éducation artistique – devient moins académique. Il gagne en frivolité. En réalité, ces peintres ne font qu’assumer avec une parfaite franchise ce qui existait depuis de très nombreuses années. A présent, ils ne se privent plus : ils multiplient sans réserve les illustrations de belles alanguies dans des positions parfois très crues… dont les allures pornographiques ne sont pas sans déclencher la polémique. En pratique, deux mondes cohabitent : deux types de caractère féminin – en apparence contradictoires – sont en vogue au XIXe siècle. On croise tantôt la fidèle épouse vertueuse (femme idéale, accomplie et parfaite), tantôt la maîtresse frivole (ingérable, troublante et inquiétante). Entre ces deux extrêmes, une palette de visages très nuancée… Deux expositions, l’une à Evian, l’autre à Bordeaux, permettent d’interroger la représentation de la figure féminine dans les arts du XIXe siècle et au début du XXe.

Forte d’une politique d’enrichissement régulière et diversifiée, la collection du musée des Beaux-Arts de Nantes compte de très nombreux portraits féminins (couvrant tout particulièrement la période 1860-1930). Cet ensemble impressionnant illustre les grands courants artistiques (académisme, symbolisme, cubisme, fauvisme…) et comprend des oeuvres signées par les artistes les plus renommés.

Quelque septante pièces de cette collection sont réunies à Evian (1). Le parcours présente des portraits, tantôt mondains et apprêtés, tantôt empreints de légèreté. D’autres témoignent des modes de vie des modèles : la pauvreté, le poids de la religion, le développement des loisirs… A observer ? La constance avec laquelle les peintres ont représenté des femmes – de tous âges et de toutes conditions – en train de lire. Quelle charge symbolique ! C’est d’abord une façon de les capturer dans un moment d’intimité. Elles apparaissent totalement isolées du monde, protégées par le livre qui les absorbe. Mais représenter une femme qui lit, c’est aussi une façon de figurer – de manière audacieuse et détournée – une femme dangereuse, car libre de penser. A l’aube du XXe siècle, une certitude : la position de la femme est en train d’évoluer. Son image aussi ! Certains visages, plus assurés, annoncent clairement la quête d’indépendance qui vient bousculer les Années folles. La femme prend sa place dans la société et la revendique.

Les gentilles coquines et les carrément vicieuses !

L’exposition présente également de beaux corps totalement dévoilés. L’occasion de rappeler que, dans un musée  » classique « , 85 % des nus sont des femmes. Exit la fausse naïveté : ces réalisations étaient adressées à un public essentiellement masculin, se rinçant volontiers l’oeil devant un beau nu féminin. Les collections de Nantes insistent également sur la figure de la femme orientale, immortalisée par des hommes dans une image archétypale : placée dans l’atmosphère voluptueuse d’un Orient rêvé, elle reflète le fantasme d’une féminité idéalisée, lascive et passive.

Milieu du XIXe siècle, on assiste à un renouveau d’intérêt pour les thèmes de l’Antiquité (source inépuisable d’idées à exploiter) et pour le mythe de Bacchus en particulier. Dans son cortège, le dieu du vin – synonyme d’ivresse, de démesure et de débauche érotique – est accompagné de la Bacchante. Cette prêtresse apparaît d’emblée comme une figure fascinante : muse sensuelle des temps modernes, elle peuple quantité de créations d’artistes du XIXe siècle. Polymorphe, elle offre l’occasion de représenter des étreintes sensuelles mais aussi une nudité licencieuse – dévoilant le corps dans des poses extatiques – pour répondre à la demande d’un public en quête de sujets lubriques.

Ce domaine iconographique confronte ainsi des nymphes gracieuses, innocentes et douces (traitées façon  » joyeuse pastorale « ) et des bacchantes aux allures de femmes fatales. L’image d’une féminité agressive répondant à ses pulsions charnelles, animales et brutales… Synonymes de scandale.

Le Musée des beaux-arts de Bordeaux (2) réunit quelque 130 oeuvres, toutes disciplines confondues, qui éclairent cette dimension enivrée et enivrante de la création artistique. Un thème d’une richesse insoupçonnée. Entre raison et transgression.

(1)Belles de jour. Figures féminines dans les collections du Musée des beaux-arts de Nantes, 1860-1930, au Palais Lumière, à Evian. Jusqu’au 29 mai. www.ville-evian.fr

(2)Bacchanales modernes ! Le nu, l’ivresse et la danse dans l’art français du XIXe siècle,à la Galerie des beaux-arts de Bordeaux. Jusqu’au 23 mai. www.musba-bordeaux.fr

Par Gwennaëlle Gribaumont

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