Faut-il avoir peur ?

Les synthétiques sont-ils davantage synonymes de hantise que de réels bobos ?

A l’occasion du déplacement de l’équipe d’Angleterre en Russie, dans le cadre des éliminatoires du Championnat d’Europe des Nations 2008, la Football Association avait souscrit une assurance d’un type particulier auprès de la Lloyds. Dans la mesure où Wayne Rooney et ses partenaires étaient appelés à se produire sur l’aire de jeu synthétique du Stade Luzhniki, à Moscou, elle s’était protégée auprès de cette compagnie, pendant deux ans, pour toute blessure encourue par l’un de ses représentants lors de ce match. C’est que bon nombre de dirigeants de clubs aux Iles ne voyaient pas d’un £il favorable les évolutions de leurs joueurs sur ce type de surface. Des réserves exprimées par les footballeurs aussi, et notamment par l’arrière central de Manchester United, Rio Ferdinand, qui avait déclaré :  » Nous devrons vaincre à la fois l’adversaire et un revêtement qui ne me dit rien qui vaille, car propice aux blessures en tous genres « .

Réalité ou appréhension tout à fait déplacée ? Yves De Cocker, porte-parole de la firme belge Desso, spécialisée dans l’aménagement des aires de jeu synthétiques et semi-synthétiques (Grassmaster) monte au créneau.  » Ce type de réflexion n’est pas anormal dans le chef d’un routinier comme lui « , observe-t-il.  » La plupart des joueurs de sa génération ont toujours été habitués à s’exprimer sur des pelouses classiques au Royaume-Uni. Pendant des années, seul Queens Park Rangers a fait figure d’exception à cette règle générale. Mais il en allait là d’un terrain synthétique de la première génération. Cet Astroturf était composé de petites brosses qui engendraient des brûlures en cas de frictions, lors de tackles glissés notamment. Ce procédé-là a, évidemment, vécu et a été remplacé par des revêtements de deuxième génération, en 1978, et de troisième génération dès 1997. A l’origine, les brins en polypropylène étaient compacts et rugueux. A présent, il n’est plus du tout question d’un aggloméré mais de fibres en polyéthylène, qui ressemblent à des brins d’herbe. Le réchauffement lors d’un contact prolongé avec la surface, a singulièrement diminué en l’espace de toutes ces années. Il était de 15 degrés au départ, ramenés à 9 aujourd’hui. Sur un terrain normal, l’élévation de température, par frottement, est d’environ 6 à 7 degrés. La différence est donc minime. Le full synthétique ne donne pas lieu non plus aux mêmes réticences chez les joueurs plus jeunes, la plupart de ces garçons ont été amenés dès leur plus jeune âge à composer avec ce type de surface, largement améliorée entre-temps. Ils n’ont pas d’idées préconçues comme pas mal d’anciens « .

Douleurs dorsales et irritations de la peau

Cette thèse est confirmée par une étude récente réalisée par Remco Hoekman et MarkvandenHeuvel pour le compte de la KNVB, la fédération néerlandaise de football (1). Au total, pas moins de 734 footballeurs de tous âges (des classes de jeunes aux joueurs de réserve et de l’équipe A) furent confrontés à une série de questions concernant les terrains synthétiques. La préférence pour le synthétique est inversement proportionnelle à l’âge des joueurs. Si 27 % des adultes se prononcent en faveur de cette surface, le rapport monte à 63 % chez les Juniors et à 82 % auprès des moins de 13 ans. La sensibilité par rapport à une pelouse artificielle révèle, par ailleurs, un même décalage. 60 % des adultes mis sur le gril sont d’avis, en effet, que les synthétiques favorisent davantage les blessures que les aires de jeu traditionnelles. Ce rapport tombe toutefois à 30 % chez les teenagers et à moins de 20 % auprès du groupe représentant les 10 à 13 ans.

Les statistiques, pour ce qui est des blessures, donnent d’ailleurs raison à la jeune classe. Car on ne relève pas de différences fondamentales entre les bobos sur herbe et sur synthétique, du moins en ce qui concerne les affections traditionnelles (entorses, déchirures des ligaments, lésions musculaires). En revanche, un bon cinquième des personnes interrogées mentionnent des douleurs dorsales qui, elles, apparaissent négligeables sur gazon. Idem pour les irritations de la peau dues à des évolutions sur d’anciennes surfaces synthétiques. Mais il semble donc faux de prétendre que ces surfaces sont davantage propices aux blessures que les pelouses normales.

Hormis le synthétique intégral, on a assisté ces dernières années à un véritable essor de surfaces appelées semi-synthétiques. Une appellation quelque peu trompeuse, dans la mesure où la proportion de fibres artificielles et de brins d’herbe naturelle n’est pas de 50 % chacune mais de 7 % d’une part pour 93 % de gazon de l’autre. C’est pourquoi chez Desso, qui commercialise ce type de surface également, on préfère la dénomination de Grassmaster. En Premier League anglaise, pas moins de neuf équipes évoluent, pour le moment, sur semblable aire de jeu : Wigan Athletic, Aston Villa, Reading, Manchester City, Bolton Wanderers, Liverpool, Arsenal, West Ham et Tottenham. Chez nous, actuellement, au plus haut niveau, deux formations se produisent sur un terrain analogue : Lokeren et Anderlecht.

Lokeren, terrain maudit

Dans un passé pas bien lointain, la pelouse du RSCA fut d’ailleurs montrée du doigt par certaines personnes, sous prétexte qu’elle aurait été à l’origine de l’accident de jeu dont fut victime le Molenbeekois Richard Culek lors du derby. Lokeren, pour sa part, a pire réputation encore. Il est vrai que le nombre de blessures sérieuses qui y ont été comptabilisées, ces derniers mois, a de quoi interpeller. Tour à tour, Moustapha Oussalah (Mouscron), Gert Claessens (ex-Racing Genk), Alan Haydock et Thomas Chatelle y ont été relevés victimes de graves lésions ligamentaires au genou.

 » On pourrait encore ajouter à cette liste le nom de Hakim Bouchouari qui fut aussi victime d’une grave blessure à cette articulation lorsqu’il jouait encore à Daknam « , dit Yves De Cocker.  » Le joueur lui-même s’en était d’ailleurs ému en précisant que son pied était resté accroché dans la boucle de l’une des fibres artificielles disséminées sur le terrain. C’est d’autant plus risible que ces contours, destinés à fixer les brins, ne se trouvent pas en surface mais à 20 centimètres de profondeur dans le sol. Et là où le récit est moins crédible encore, c’est que l’événement s’est produit à l’entraînement, sur une aire de jeu classique et non lors d’un match sur le Grassmaster de Lokeren. Mais nous avons effectivement eu des problèmes à Lokeren, premier club en Belgique à utiliser notre fameux mélange de gazon naturel et de fibres synthétiques. De fait, le préposé au terrain, habitué à entretenir la même surface depuis des années, n’avait pas voulu déroger à ses habitudes. A ses yeux, le Grassmaster n’était rien d’autre qu’un terrain naturel renforcé. Fâcheuse erreur, car si un terrain classique doit être roulé, pour éviter les irrégularités, le semi-synthétique, lui, ne doit pas être nivelé. En raison de la présence de fibres artificielles, il reste plat. L’erreur du préposé de Lokeren aura été d’aplanir tant et plus le terrain, au point de le rendre extrêmement dur. C’est ce qui explique les contacts très rigides lors d’une mauvaise réception au sol, comme a pu le vérifier Chatelle, par exemple. Mais c’est réglé : en guise d’entretien, le gazon est piqué, sans plus, afin de l’aérer. Et depuis, il n’y a plus eu le moindre problème « .

C’est dans la tête

 » Un autre détail qui frappe, indépendamment du cas posé par Bouchouari, c’est que tous les blessés, dans cette énumération, étaient sans exception des joueurs de l’équipe adverse « , conclut De Cocker.  » On peut dès lors se poser la question de savoir si la nature des crampons qu’ils avaient utilisés était vraiment appropriée. Les joueurs de Lokeren ne se sont jamais plaints du Grassmaster et n’y ont pas encore été sujets jusqu’à présent de la moindre blessure sérieuse. Et ce constat vaut également pour les joueurs d’Anderlecht, qui se sont entraînés durant un an sur une surface de ce type avant de l’utiliser depuis le début de cette saison en championnat. D’autre part, je n’ai pas eu vent non plus de problèmes de blessures majeures au Royaume-Uni. Les Anglais sont à ce point branchés sur tout ce qui touche au football qu’ils se seraient insurgés depuis longtemps s’il y avait eu à redire sur les blessures liées à des terrains synthétiques ou semi-synthétiques. Nous travaillons depuis plusieurs années avec l’université de Gand dans le domaine des blessures liées à l’utilisation de nos produits. Jusqu’ici, il n’y a pas la moindre preuve scientifique que le Grassmaster ou le full synthétique causent davantage d’accidents musculaires ou ligamentaires que le gazon naturel. En réalité, le problème, chez les joueurs, se situe davantage dans la tête que sur le terrain !  »

(1) Zo groen als kunstgras, W.J.H. Mulier Instituut, ‘s-Hertogenbosch, juin 2007

par bruno govers

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