Farc La mort aux trousses

L’annonce du décès de Manuel Marulanda, son n° 1 historique, est un nouveau coup dur pour la guérilla colombienne. Direction décimée, troupes affaiblies : une nouvelle période très incertaine s’ouvre pour les rebelles et pour leurs otages.

Le mois de mars 2008 peut déjà figurer dans les livres d’histoire comme  » el Marzo negro « , le Mars noir, des Forces armées révolutionnaires de Colombie (Farc). Le 1er mars, Raul Reyes, n° 2 de la guérilla, meurt – en pyjama – dans sa base arrière, située en Equateur, à 2 kilomètres de la frontière, lors d’un bombardement nocturne de l’armée colombienne. Une semaine plus tard, Ivan Rios, un autre membre du  » secrétariat  » (gouvernement) des Farc, trahi par l’un de ses lieutenants, meurt assassiné. Le 26 mars, enfin, c’est le n° 1 et fondateur de la guérilla, Pedro Antonio Marin, alias Tirofijo (Tir précis), alias Manuel Marulanda (du nom d’un syndicaliste communiste assassiné dans les années 1950), qui disparaît à l’âge de 80 ans. Cachée par les Farc, l’information a finalement été révélée, le 23 mai, par le ministre colombien de la Défense, Manuel Santos. Qui la tenait de ses services de renseignement, de mieux en mieux infiltrés au c£ur de la guérilla. Le lendemain, les Farc ont confirmé la nouvelle.

Selon la version des rebelles, la mort de Marulanda serait naturelle : il aurait succombé à un arrêt cardiaque. Mais son décès subit pourrait aussi être dû, indirectement, aux nombreux bombardements militaires effectués, selon le gouvernement, quelques heures auparavant dans la zone où se trouvait le chef des ravisseurs d’Ingrid Betancourt et de centaines d’autres otages.

Avec la mort de Marulanda, une page se tourne. Considéré comme  » le plus vieux guérillero du monde « , Pedro Antonio Marin, un paysan originaire d’une région caféière, dans l’ouest du pays, dirigeait l’organisation depuis sa fondation, le 27 mai 1964. Jusqu’au début des années 1980, les Farc connaissent une croissance lente, essentiellement dans les zones rurales, loin des centres urbains. Mais, à partir de 1982, le mouvement se renforce sur le plan militaire. Il multiplie les  » fronts « , ou foyers de guérilla, sur tout le territoire national, jusqu’à en compter 48. Dans les années 1990, l’armée du  » général  » Marulanda est à son apogée. Forte de 18 000 hommes, elle multiplie les coups d’éclat : attaques de casernes, capture de plus d’un millier de policiers et de militaires, et même prise de contrôle d’une ville entière, Mitu, préfecture du département de Vaupes (sud-est). Acculé à la négociation, le gouvernement concède alors à Manuel Marulanda le contrôle d’une zone démilitarisée de 42 000 kilomètres carrés – l’équivalent de la superficie de la Suisse. Les rebelles y règnent en maîtres entre 1999 et 2002, date de la rupture des négociations de paix.

8 000 combattant(e)s, et des enfants soldats

Les Farc sont aujourd’hui sur la défensive. Le plan Colombia du président Alvaro Uribe, cofinancé par les Etats-Unis, s’est traduit par le doublement des effectifs militaires depuis six ans. Parallèlement, la guérilla a perdu la moitié de ses combattants ; ils seraient 8 000, dont 30 % de femmes, avec une proportion importante d’enfants soldats. Aux pertes humaines s’ajoutent les désertions, qui, selon l’analyste Alfredo Rangel, pourraient encore s’accélérer.

La mort de Marulanda atteint les rebelles au moral. Avec cette disparition, c’est une partie du mythe fondateur des Farc – celui d’une guérilla paysanne, en prise directe avec le monde rural – qui disparaît. Les Farc perdent un chef incontesté, peut-être irremplaçable. Les ordinateurs de Raul Reyes l’ont révélé : Manuel Marulanda, pivot de l’organisation, était jusqu’à la fin celui qui prenait toutes les décisions stratégiques. Surtout, du fait de sa légitimité historique, il fédérait les trois générations des Farc : celle des origines, paysanne et rurale ; celle des  » intellectuels  » formés au Parti communiste ; celle, plus récente, de l’ère de la coca et du narcotrafic.  » La première est en train de disparaître, analyse l’hebdomadaire de référence Semana. La deuxième a encore de l’influence. Mais, à mesure que l’organisation vieillit, la relève est assurée par la troisième, dont le moteur est la convoitise et les intérêts particuliers, bien plus que l’idéologie.  »

Alfonso Cano, 59 ans, successeur désigné de Marulanda, saura-t-il faire la synthèse entre les jeunes et les anciens ? Formé à l’Université nationale de Bogota et au Parti communiste, ce barbu aux épaisses lunettes ne possède ni l’ascendant, ni l’astuce, ni le poids historique de son prédécesseur. Circonstances aggravantes : cet homme qui a rejoint la guérilla voilà vingt-six ans a, lui aussi, la mort aux trousses. Une vaste traque mobilisant 2 000 hommes, des hélicoptères et des avions a été lancée en février dernier. Ex-conseiller politique de Marulanda, Guillermo Leon Saenz Vargas – son vrai nom – jouit d’une réputation d’intellectuel. Tout est relatif : Cano a un jour fait exécuter 40 de ses hommes à l’issue d’un  » conseil de guerre « à Quoi qu’il en soit, il passe pour un partisan de la ligne  » politique « , par opposition aux champions du militarisme radical et jusqu’au-boutiste incarné par Jorge Briceño, alias Mono Jojoy.

Alfonso Cano a, en effet, participé aux négociations de paix avortées de 1991-1992. Il serait ensuite tombé en disgrâce, précisément en raison de sa propension à faire des concessions. En 2000, Cano a par ailleurs créé le Mouvement bolivarien, bras politique clandestin de la guérilla. Il est aussi à l’origine du Parti communiste clandestin de Colombie, le PC3, dont l’objectif est d' » infiltrer les structures du pouvoir en s’appuyant sur des professionnels diplômés « . Aucun de ces groupes ne semble avoir obtenu de résultats concluants.

 » Etant donné l’affaiblissement militaire de la guérilla, il est vital pour elle que Cano parvienne à trouver un peu d’oxygène en relançant la négociation politique, juge Daniel Pécaut, spécialiste réputé du conflit colombien (1). Mais, si les Farc maintiennent leur exigence d’obtenir une zone démilitarisée, rien ne va changer. Dans la position de force qui est la sienne, le président Uribe est en effet moins que jamais enclin à faire une telle concession. Le seul atout dont dispose la guérilla s’appelle Ingrid Betancourt.  » Alfonso Cano ne s’en défera pas facilement.

(1) Et auteur de Les Farc, une guérilla sans fins ?, à paraître le 15 juin chez Lignes de repères.

Axel Gyldén

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire