Eupen, Malmedy, Saint-Vith

Guy Verstraeten
Guy Verstraeten Journaliste télé

Brinquebalées entre l’Allemagne et la Belgique, les trois cités ont traversé la Seconde Guerre mondiale avec cette double identité. Pour Malmedy et Saint-Vith, le tribut à payer a été bien lourd.

Il ne faut pas être grand clerc pour le deviner : quand l’armée allemande envahit les cantons rédimés, en 1940, la situation n’y est à nulle autre pareille. Le traité de Versailles, signé le 28 juin 1919, n’a qu’une petite vingtaine d’années. Or, c’est à ce pacte, et à une consultation populaire largement tronquée, qu’Eupen, Saint-Vith et Malmedy doivent leur  » belgitude « . Soustraits à l’Allemagne après la Première Guerre mondiale, ces territoires gardent donc, assez naturellement, un fort ancrage germanique. Dès la fin des années 1920, de grandes velléités pro-allemandes se traduiront dans la réussite de partis autonomistes. C’est le cas du Heimattreue Front (littéralement Front de fidélité à la petite patrie), dont les opinions crypto-nazies n’échappent pas aux plus attentifs. Le mouvement hitlérien est en pleine expansion, de l’autre côté de la frontière, et il apportera bientôt à la Belgique son lot de malheur… Aux élections législatives d’avril 1939, la Heimattreue Front frappe un grand coup, tant à Eupen (ville germanophone où le parti empoche 55 % des voix) qu’à Malmedy (malgré son caractère francophone, la cité vote à 45 % pour ce parti). Des succès que combat le Grenz-Echo, quotidien belgiciste d’essence chrétienne.

Preuve que les cantons rédimés revêtent un caractère spécial dans le pays, l’armée belge, au moment de préparer le conflit, assignent les germanophones mobilisés dans des troupes auxiliaires. L’état-major n’a pas confiance en eux.  » Cette méfiance était partiellement justifiée, car il y eut effectivement des désertions parmi ces éléments-là. Lesquels ont été récupérés par des unités spéciales nazies : ces déserteurs, utilisés comme commandos de choc, avaient pour mission d’empêcher l’armé belge de détruire des ponts, en vue de l’avancée allemande « , confie Alain Colignon, historien au Ceges-Soma (Centre d’Etudes et de Documentation Guerre et Sociétés contemporaines).

Le français interdit

L’armée allemande perce relativement facilement dans la région. En une journée, tout est plié. Le 10 mai 1940, les trois cantons de l’Est sont submergés ; les partisans de la Belgique s’enfuient en masse et la Wehrmacht pénètre à Eupen, Saint-Vith et Malmedy en libératrice. C’est l’heure, pour la Heimattreue Front, de s’emparer du pouvoir, sous l’£il bienveillant des autorités allemandes. Huit jours à peine après l’invasion de la Belgique, Adolph Hitler décrète la ré-annexion au Reich des trois cités, auxquelles s’ajouteront, le 29 mai, dix communes sinon germanophones, du moins patoisantes (dialecte allemand) de la désormais  » Vieille Belgique  » : Welkenraedt, La Calamine, Gemmenich, etc.

 » Au total, ce ne sont pas moins de 40 communes, pour quelque 88 000 habitants, qui sont incorporées au Reich. Et qui vont subir le quadrillage de l’Etat totalitaire nazi. Tous les fonctionnaires belgicistes sont chassés, et ceux qui restent en place doivent jurer fidélité au Führer. La langue française est interdite et les nouvelles autorités font effacer tout ce qui pourrait rappeler le régime belge. La Heimattreue Front, elle-même, ne sert que de « vestibule » pour parvenir, après examens, dans les nouvelles structures du parti nazi, qui s’implante progressivement au cours des années suivantes « , poursuit Alain Colignon.

Environ 200 morts à Malmedy

Si le ravitaillement s’avère  » plus correct  » qu’ailleurs en Belgique, le mécontentement ne va pas tarder à se manifester. Les libertés publiques sont supprimées, l’Eglise persécutée et les jeunes gens sont enrôlés dans l’armée allemande, dès octobre 1941. Et plus intensément encore à partir de juin 1943.  » Environ 1 000 réfractaires s’enfuient vers le territoire belge, en provenance, surtout, des dix communes de la « Vieille Belgique ». Au total, il y aura, dans les cantons de l’Est, 8 700 incorporés, dont 2 000 mourront ou disparaîtront sur le front russe. Quelque 1 600 d’entre eux seront invalides de guerre… Le régime nazi n’est plus très populaire en septembre 44, au moment de la Libération. L’épuration sera d’ailleurs particulièrement sévère dans la région. Quelques 15 600 dossiers seront ouverts pour Eupen, Malmedy et Saint-Vith. Et plus de 1 500 condamnations seront effectivement prononcées contre les collaborateurs avec l’ennemi, membres de la Heimattreue Front ou du NSDAP « , précise encore Alain Colignon.

Si les premiers instants de la guerre n’ont pas entraîné de dégâts humains et matériels (les trois villes étant tombées très facilement), la fin du conflit sera bien plus douloureuse. Surtout du côté de Malmedy et de Saint-Vith. La Bataille des Ardennes marquera au fer rouge ces deux cités : les bombardements systématiques de l’armée américaine détruiront pas moins de… 98 % des maisons de Saint-Vith, tandis que Malmedy, pilonnée par erreur par les avions US, comptabilisera environ 200 morts les 23 et 24 décembre 1944 (plusieurs dizaines de soldats américains y laisseront également la vie). A la fin de la guerre, pas moins de 3 000 maisons sur 4 187 sont déclarées sinistrées, à Malmedy. Et l’addition est encore bien plus lourde à Saint-Vith.

 » La reconstruction et la récon-ciliation avec la Belgique interviendront, progressivement, au fil des décennies ultérieures « , conclut Alain Colignon.

Malgré toutes les démarches entreprises, l’auteur n’a pas pu retrouver l’origine de certaines photographies. S’ils se reconnaissent, les ayants droit de ces photos peuvent prendre contact avec la rédaction.

GUY VERSTRAETEN

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