Etre franciscain en Belgique, aujourd’hui

Olivier Rogeau
Olivier Rogeau Journaliste au Vif

Famille religieuse la plus importante au sein de l’Eglise, les franciscains sont confrontés à l’érosion de leurs effectifs en Belgique et dans les pays voisins. Que reste-t-il de leur influence ? Qu’est-ce qui les distingue des autres ordres ? Enquête.

Gare aux clichés : le frère qui nous ouvre la porte de la Maison franciscaine de Louvain-la-Neuve ne porte pas le froc brun foncé avec capuchon arrondi et ceinture de corde, mais un discret veston bleu marine sur un pull en V de la même couleur.  » Nous avons renoncé à l’habit traditionnel il y a déjà un bon demi-siècle, prévient le père Matthieu Smolders,  » gardien  » (responsable) de la fraternité louvaniste et, de 1993 à 2002, provincial de l’Ordre des Frères mineurs, nom officiel des franciscains. A l’époque, les plus jeunes frères ont été les premiers à ne plus vouloir revêtir la robe de bure. Ils ont estimé qu’elle les coupait du monde, qu’elle créait une distance. Aujourd’hui, la jeune génération franciscaine, en quête d’identité, aspire à la porter !  »

La  » jeune génération  » à laquelle le père Matthieu fait allusion est, à vrai dire, de moins en moins représentée dans nos régions :  » La plupart de nos frères en Wallonie et à Bruxelles ont aujourd’hui dépassé l’âge de la retraite et beaucoup ont même plus de 80 ans. Ici, à Louvain-la-Neuve, seuls un vicaire de paroisse, un aumônier d’hôpital neurologique et deux étudiants sont encore dans la vie active. Notre couvent de Woluwe-Saint-Pierre, lui, ne compte plus que trois frères actifs : un aumônier infirmier, le vicaire de la paroisse du Chant d’Oiseau et un frère qui s’occupe des gens du voyage.  » La même tendance s’observe au sein des autres branches de la famille franciscaine : frères capucins de Pepinster et de Mons, soeurs clarisses de Malonne…

 » Les nouvelles vocations arrivent au compte-gouttes, constate le gardien de la Maison de Louvain-la-Neuve. Il n’y a actuellement qu’un seul postulant en Belgique francophone et deux en France.  » Depuis l’an dernier, Bruxelles, la Wallonie et tout le territoire français ne forment plus qu’une seule  » province  » franciscaine. Les futurs frères belges francophones sont formés à Brive-la-Gaillarde, en Corrèze. A terme, il est prévu de regrouper les noviciats franco-belge et italien dans le Nord de l’Italie. Auparavant, une province associait Bruxelles, la Wallonie et l’Est de la France, et une autre unissait Paris, Rennes et Toulouse. Avant 1996, la France comptait encore cinq provinces et la Belgique francophone en constituait une autre à elle seule.

La Flandre franciscaine, elle, est rattachée depuis 2013 aux Pays-Bas, avec un statut de  » custodie  » qui lui donne une certaine autonomie. La séparation entre le Nord et le Sud du pays remonte à 1930.  » Face à un courant flamand plus actif et puissant, les francophones ont voulu leur autonomie, rappelle le Père Matthieu, mémoire de la famille franciscaine belge. Ils ont créé leur province pour avoir leur propre noviciat et leur maison d’étude, construite au Chant d’Oiseau, à Woluwe-Saint-Pierre. J’y suis entré en 1956. Des années 1960, début du grand mouvement de sécularisation, à nos jours, les effectifs flamands sont passés de 750 Frères mineurs à moins d’une centaine. Côté francophone, nous étions 150 Frères mineurs et ne sommes plus qu’une vingtaine : douze à Woluwe-Saint-Pierre et huit ici, à Louvain-la-Neuve.

Les couvents franciscains de Salzinnes (Namur), Charleroi, Bastogne et Bertrix ont fermé leurs portes, à l’instar du collège franciscain de Marche-en-Famenne. Quant aux capucins, ils ne sont plus qu’une petite dizaine, en Wallonie. Les conventuels de la rue d’Artois, à Bruxelles, sont Français, Italiens… et dépendent de leur siège de Turin. Les clarisses, moniales cloîtrées et contemplatives, se sont retrouvées sous le feu des projecteurs pour avoir accepté d’héberger, depuis août 2012, Michelle Martin. Elles devraient déménager prochainement (sans doute en juillet) vers la Fraternité Notre-Dame des Nations, à Woluwe-Saint-Pierre. Leur couvent de Malonne, près de Namur, est en effet trop grand pour neuf soeurs et trop coûteux à chauffer et à entretenir. Reste à voir si l’ex-épouse de Marc Dutroux les suivra.

L’érosion des effectifs franciscains est forte dans toute l’Europe occidentale.  » En revanche, la Pologne et la Croatie sont moins vite touchées par le mouvement de sécularisation, constate Matthieu Smolders. Les bastions de notre ordre se situent aujourd’hui en Afrique et en Asie, en particulier en Corée du Sud, au Vietnam et en Inde, où les frères capucins sont nombreux.  » Les Frères mineurs sont près de 15 000 dans le monde, pour 10 000 capucins et 6 000 conventuels. Soit un total de plus de 30 000 frères. Les franciscains sont aujourd’hui l’ordre catholique le plus important en nombre dans le monde, dépassant largement les bataillons jésuites (19 000 membres) et dominicains (6 000).

 » Dès la fondation de l’ordre, François d’Assise a souhaité accueillir tous ceux qui venaient à lui, souligne l’historien Jacques Dalarun. A sa mort, en 1226, son mouvement compte déjà près de 5 000 recrues. Les dominicains et, plus tard, les jésuites étaient plus élitistes. L’attractivité des franciscains tient beaucoup à l’image positive de François d’Assise. Revers de la médaille : le Poverello est l’arbre qui cache la forêt :  » Il condense à lui seul toute une histoire collective, confirme le médiéviste. Le fondateur l’emporte sur sa fondation. D’autant que le saint italien n’a jamais été enfermé dans une image archaïque, vieillotte. Il a été constamment réactualisé, à la fois par les réformes qui ont touché son ordre au cours de siècles et, plus récemment, par la redécouverte de la modernité de son message sur la nature.  »

Les soeurs franciscaines sont plus nombreuses encore que les frères, disséminées dans une multitude de congrégations. Principales communautés en Belgique francophone, outre les clarisses : les Missionnaires de Marie (Woluwe-Saint-Pierre), les soeurs de Notre-Dame des Anges (Liège, Aubel, Stavelot), les Franciscaines de la miséricorde (Moresnet, Huy), les Franciscaines de Jésus (Herseaux), les Franciscaines de la propagation de la foi (Saint-Ghislain-Hautrage, Soignies), les Franciscaines du règne de Jésus (Manage, La Louvière…), les Soeurs des pauvres de Saint-François (région liégeoise), les Capucines de la Sainte-Famille (Bruxelles).

Le renfort des fraternités laïques

La famille franciscaine compte également, depuis 1922, un Tiers-Ordre, réservé aux prêtres séculiers.  » Ces prêtres étaient nombreux autrefois dans le diocèse de Tournai « , se souvient Matthieu Smolders. Ils sont décédés ou en maison de retraite.  » Des fraternités laïques belges s’inspirent, elles aussi, de l’exemple de François et Claire d’Assise. Leur  » mission « , affichée sur leur site famille-franciscaine.be :  » OEuvrer pour la fraternité entre les personnes, les cultures, les religions  » et  » exclure tout esprit de domination et d’accaparement des richesses de la terre « .

Dix-sept groupes locaux, chacun de huit à quinze personnes, sont aujourd’hui en activité, dont deux fraternités de jeunes adultes récemment créées à Bruxelles et à Liège. Soit, pour toute la Belgique francophone, un total de quelque 160 franciscains laïcs.  » Nous nous retrouvons en « fraternité » une fois par mois pour prier, partager un repas et échanger autour d’un thème « , explique Monique Gillet, la responsable de ces fraternités. Nous organisons aussi des week-ends de retraite annuels, des journées de formation et les  »Franciscofolies », animations en ateliers destinées à faire connaître la spiritualité de saint François aux plus jeunes.  » Monique Gillet l’admet : l’âge moyen est assez élevé dans les groupes franciscains laïcs.  » Nous cherchons à nous renouveler, à nous faire connaître. L’aura et le message fraternel du pape François nous y aident : j’ai eu ces derniers mois plusieurs demandes de renseignements ou d’adhésion à une fraternité.  »

L’une des particularités des fraternités, religieuses ou laïques, est leur vif intérêt pour leur passé.  » L’ordre franciscain est celui qui se soucie le plus de son histoire, reconnaît volontiers François De Vriendt, de la Société des Bollandistes, institution jésuite spécialisée dans la recherche hagiographique. Et pour cause : leur fondateur, saint François, reste l’une des grandes figures de l’histoire. Les fondateurs des ordres jésuite et dominicain n’ont pas cette dimension.

Le Père Matthieu Smolders relève d’autres différences entre son ordre religieux et les autres :  » Les franciscains ont longtemps recruté dans les milieux populaires, alors que les jésuites et les dominicains comptaient plus d’intellectuels et de personnes en vue. Influencés par la vie monastique du Moyen Age, nous menons une existence de fraternité rythmée par les prières, les offices et les repas pris en commun, alors que l’on est plus individualiste dans d’autres ordres. De leur côté, les jésuites sont souvent mieux organisés, plus efficaces et performants que nous !  »

Olivier Rogeau

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