Etes-vous bien payé ?

En berne, votre pouvoir d’achat ? Pas autant qu’on pourrait le penser ! La  » norme salariale  » imposait un gel des salaires pour 2011, hors indexation et revalorisations barémiques. Il n’en a pourtant rien été : l’an passé, le travailleur belge moyen a vu sa rémunération progresser de 4 à 4,5 %, intégrant une hausse du coût de la vie de l’ordre de 3 %. Une redynamisation de la mobilité sur le marché de l’emploi et la course aux talents techniques expliquent en partie cette poussée à la hausse, dans une conjoncture qui demeure très délicate.

La crise, je la sens passer au niveau de mon pouvoir d’achat !  » vous lance votre voisin dans la file à la boulangerie. Impression ou réalité ?  » Si votre interlocuteur travaille et qu’il n’a pas connu le chômage économique ou une réduction du temps de travail, il est peu probable qu’il soit réellement affecté par la crise, même s’il peut la ressentir psychologiquement, observe Luc Vanophalvens, Regional Manager chez Berenschot, spécialisé en rémunération. Comme pour les autres personnes dans son cas, le pouvoir d’achat a continué de progresser de l’ordre de 1 à 2 % par an, crise ou pas crise. Ceux qui la ressentent réellement, ce sont les travailleurs sans emploi, les personnes qui ont perdu leur job ou qui ont été mises en chômage temporaire à cause de la conjoncture. « 

Les données issues de la dernière enquête sur les salaires réalisée par Berenschot Belgium, en partenariat avec le groupe Attentia, le confirment. Entre fin 2010 et fin 2011, la revalorisation moyenne du salaire des travailleurs belges s’est établie entre 1 % et 1,5 %, hors indexation à hauteur d’environ 3 %. Autrement dit, si l’on intègre la répercussion de la hausse du coût de la vie dans le calcul – un acquis dans notre pays, mais qui reste aujourd’hui dans la ligne de mire de l’Europe -, on grimpe autour de 4 à 4,5 %, avec des variations selon les systèmes et les moments d’indexation liées à nos différentes commissions paritaires.

Pourtant, la marge maximale pour l’évolution du coût salarial en Belgique pour les années 2011 et 2012 avait été fixée par le gouvernement à 0,3 %. Celle-ci, de surcroît, ne pouvait être utilisée avant l’année en cours ! Théoriquement donc, les salaires ne pouvaient croître en 2011 que dans les limites de l’indexation automatique et des hausses barémiques. Comment, alors, expliquer la progression constatée ?  » Il faut bien se dire que, pour une entreprise, imposer un gel des salaires est possible pendant un an ou deux, mais ce n’est pas tenable à plus long terme, car elle risque alors de voir s’enfuir ses talents « , explique Jacques Hodeige, administrateur délégué adjoint de Berenschot en Belgique.

Résultats meilleurs

Outre cette pression interne, les entreprises ont également été confrontées à une plus grande mobilité sur le marché de l’emploi.  » Durant les années 2008 à 2010, la frilosité était de mise : la conjoncture faisait hésiter les employés à prendre le risque de changer de job, poursuit-il. Mais, en 2011, le marché est redevenu plus fluide et, typiquement, quand on relève un nouveau défi dans une autre entreprise, on le fait dans la perspective de gagner un peu plus. A ce titre, une marge salariale de 0,3 % sur deux ans a pu apparaître à d’aucuns comme une sorte de prime à la mobilité. Avec pareille perspective d’évolution en interne – hors promotion éventuelle -, il devenait séduisant d’aller rechercher une amélioration de salaire chez un autre employeur. « 

C’est d’autant plus vrai que changer régulièrement d’employeur est désormais entré dans les mentalités. Un sondage en ligne réalisé par StepStone auprès de 15 921 travailleurs dans huit pays d’Europe (dont la Belgique) montre même que 71 % des collaborateurs tout fraîchement engagés continuent à rechercher des emplois intéressants dans d’autres entreprises !  » Il faut savoir également que, face aux difficultés conjoncturelles, les employeurs ont eu tendance, ces dernières années, à s’attacher des profils plus expérimentés, directement opérationnels. Ce qui pousse également les salaires vers le haut, car on ne devient transfuge que moyennant un différentiel salarial positif, estimé à au moins 10 %. « 

Par ailleurs, certains volets de la rémunération ne sont pas pris en compte pour le calcul de la norme salariale. C’est le cas, par exemple, des participations des travailleurs au capital et aux bénéfices de l’entreprise ou encore des  » avantages non récurrents liés aux résultats  » qui, en raison de leur régime fiscal et social avantageux, gagnent de plus en plus en popularité. Il en est de même pour les assurances de groupe, dont on voit par ailleurs l’éligibilité s’étendre. Enfin, dernier élément expliquant des niveaux d’augmentation dépassant largement la marge maximale d’évolution du coût salarial fixée par le gouvernement :  » En 2010, les résultats des entreprises ont été meilleurs comparé à 2009, ce qui a de facto amené un accroissement de la rémunération variable « , pointe Luc Vanophalvens.

Guerre des talents

S’il y a donc eu des augmentations salariales, l’an passé, tout le monde n’a toutefois pas été logé à la même enseigne. Les fonctions de direction, par exemple, sortent du lot.  » Mais plutôt en raison d’une correction, et non pas par progression structurelle, souligne Jacques Hodeige. Comme ces fonctions figurent parmi les moins barémisées, elles ont le plus souffert de la crise et des gels de salaire qu’ont imposés certaines entreprises. Il s’agit donc d’un simple rattrapage. Précisons qu’on ne parle pas ici du top management, ni des salaires de ces patrons parfois dénoncés comme excessifs, vraiment de l’ordre de l’exception en Belgique ! « 

Constat plus marquant : les fonctions techniques, surtout, tirent leur épingle du jeu.  » C’était déjà largement le cas par le passé pour les ingénieurs civils et industriels, mais cette  »bonne santé salariale » s’étend désormais à toute la filière technique jusqu’au technicien de base, note Luc Vanophalvens. Une réalité observable au niveau du salaire de base, mais aussi dans les différents avantages octroyés qui, de plus en plus, incluent un GSM, un ordinateur portable, Internet à domicile, et jusqu’à de petites voitures de société pour des catégories plus basses de fonctions, voire pour des ouvriers qualifiés ! Auparavant, ce type d’avantages était réservé aux cadres. « 

L’explication est simple : on manque, en Belgique, de compétences techniques, à tel point qu’au vocable de  » War for Talent « , les experts de Berenschot préfèrent désormais celui de  » War for Technical Talent « .  » Les baby-boomers commencent à quitter les entreprises pour jouir d’une retraite méritée et une certaine proportion de ceux-ci disposent d’un background technique. A l’autre bout de la chaîne, on manque de diplômés pour les remplacer car, on le sait, les formations techniques de niveaux bachelier et humanités supérieures ne sont pas les plus populaires. Ce décalage entre l’offre et la demande va aller en s’aggravant.  »

Il y a dès lors fort à parier que les fonctions techniques vont être de plus en plus courtisées, et de beaux packages feront certainement figure d’hameçon. S’oriente-t-on vers une inflation comparable à celle qu’on a connue pour les profils IT au tournant de l’an 2000 ?  » Cela pourrait être le cas, estime Luc Vanophalvens. Mais, contrairement à la situation de l’époque, il existe dans des pays relativement proches des réservoirs de main d’£uvre qualifiée pouvant répondre à cette demande, au moins en partie. On voit déjà de tels profils étrangers venir exercer des métiers techniques chez nous, qu’ils soient directement recrutés par des entreprises belges, ou qu’ils viennent travailler par l’intermédiaire de sous-traitants spécialisés. « 

Optimisations

Le programme du nouveau gouvernement n’est pas sans impact en matière de droit du travail, qu’il s’agisse du crédit-temps, des prépensions ou encore… du régime des voitures de société et du calcul de l’avantage de toute nature.  » On a toutefois entendu tout et n’importe quoi en la matière, relève-t-il. En réalité, ce sont surtout les gros véhicules, chers et polluants, qui se révèlent moins avantageux pour leurs bénéficiaires. Pour les modèles à faible valeur catalogue produisant peu d’émissions de CO2, les nouvelles mesures peuvent même se révéler positives, d’autant plus si le bénéficiaire n’habite pas trop près de son employeur !  »

Il n’en demeure pas moins que l’impact psychologique se fait déjà ressentir. Même dans un pays comme la Belgique où la voiture de société apparaît comme un avantage intouchable, certains bénéficiaires tendent à le reconsidérer de façon plus raisonnable.  » Jusqu’ici, la voiture de société était considérée comme un attribut lié au statut, et le travailleur cherchait à le maximiser, en recherchant le  » nice to have ». Désormais, la tendance est plutôt à rechercher la voiture dont il a réellement besoin en fonction de sa situation personnelle. Si vous avez une grande famille, la grosse BMW Touring n’est peut-être pas indispensable, mais le VW Passat Break peut aussi bien convenir.  »

Les travailleurs ont davantage pris conscience du  » coût fiscal  » de la voiture de société, taxée comme  » avantage de toute nature « . En se montrant plus raisonnable dans le choix des modèles, on peut donc faire une économie mensuelle appréciable.  » C’est ainsi qu’on assiste au choix de voitures plus petites, moins luxueuses et même plus « vertes » « , note Jacques Hodeige.

Les entreprises commencent aussi à proposer des approches plus flexibles en matière de mobilité, par exemple en combinant différents modes de transport.  » On octroie une voiture plus modeste, combinée à un abonnement aux transports publics ou à un vélo, illustre Luc Vanophalvens. Des systèmes de leasing plus élaborés voient également le jour : le travailleur peut ainsi opter pour un véhicule de taille plus modeste à raison de 46 semaines par an, bien adapté aux trajets urbains domicile-travail. Et, pour les six semaines restantes, il peut bénéficier d’une familiale… afin de permettre de partir confortablement en vacances.  »

CHRISTOPHE LO GIUDICE

Les fonctions techniques vont être courtisées

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