Et après lui ?

L’effacement de Sharon bouscule l’échiquier proche- oriental. Du devenir de son nouveau parti, Kadima, à celui des territoires palestiniens, livrés au chaos, une ère d’interrogations commence. En voici les principales

Tout gravitait autour de lui. Durable ou définitif, l’effacement d’Ariel Sharon plonge l’Etat hébreu et le Proche-Orient dans le doute. Deux certitudes toutefois. 1. Israël doit apprendre sans tarder à vivre sans lui. 2. le scrutin législatif précipité par la dissolution de la Knesset aura bien lieu le 28 mars prochain. Au-delà, l’avenir dépend de la réponse à quelques questions clefs.

 » En avant « , mais jusqu’où ?

Un nom, mais point de programme ni de statuts. Nul appareil et guère de sections. Pas même une liste précise de candidats, dès lors que Sharon se réservait le casting et l’ordre d’apparition en scène. Et pourtant, cinquante jours après sa naissance, Kadima (En avant), le parti centriste orphelin, veut croire en son avenir. Moins radieux, certes, qu’avant l’hospitalisation de Sharon, quand les sondages lui promettaient 42 des 120 sièges de députés. Mais le nouvel acteur du grand théâtre électoral peut encore briguer un rôle de jeune premier. A trois conditions. Il lui faut adouber un chef, sinon incontestable, du moins incontesté. Le Premier ministre par intérim Ehud Olmert, 60 ans, ancien maire de Jérusalem et faucon touché par la grâce du pragmatisme, tient le haut de l’affiche. Car la ministre de la Justice, Tzipi Livni, 47 ans, protégée d’Arik, se contenterait du portefeuille des Affaires étrangères, tandis que son collègue à la Défense, Shaul Mofaz, souhaite garder son maroquin.

Shimon Peres ? Il affiche désormais sa loyauté envers  » l’héritier  » Olmert. Loser magnifique, plus populaire en Occident qu’en Israël,  » l’ami d’Arafat  » aurait fait fuir l’électorat venu du Likoud dans le sillage de Sharon. Là est le deuxième péril : les défections de transfuges aimantés avant tout par le magnétisme qu’exerçait l’ancien général et tentés de regagner, en son absence, leurs pénates politiques. A ce stade, le péril d’un exode massif paraît écarté. Peres, 82 ans, aurait résisté aux sirènes d’Amir Peretz, le syndicaliste qui vient de l’évincer de la tête du Parti travailliste. De même, les plus  » droitiers  » des ralliés du Likoud, tels Tzahi Hanegbi – pressenti pour orchestrer la campagne de Kadima – ou Meïr Shitritt, semblent peu enclins au retour aux sources. Cela posé, Ehud Olmert est condamné au sans-faute, tant il est malaisé de faire jouer à l’unisson des solistes venus d’horizons si dissemblables. L’élan d’empathie suscité par l’agonie du chef peut s’étioler au fil des semaines. Le seuil d’alerte ? Passer au-dessous d’un contingent de 30 sièges à la Knesset, jugé nécessaire pour mettre en scène toute coalition à venir. Ultime impératif : convaincre l’électeur de base que Kadima sans Sharon peut faire écho à l’aspiration majoritaire, mélange d’ouverture en matière de concessions territoriales, aux contours fort imprécis d’ailleurs, et de fermeté dans la lutte antiterroriste.

Peretz et  » Bibi « , le retour

Imprévisible quant à son ampleur, le déclin de l’effet Kadima est inéluctable. L’éclipse de l’astre Sharon restitue à Amir Peretz, dont la liste pourrait tabler sur une vingtaine de mandats, et à Benyamin Netanyahu un espace que son rayonnement avait annexé. Procureur acharné d’Arik Sharon au sein du Likoud,  » Bibi  » Netanyahu règne désormais sur une formation réduite à son aile dure, mais aurait intérêt à polir son discours afin de reconquérir la frange sécuritaire de Kadima. Un regain de violence de la part des factions armées palestiniennes ou une vague d’attentats suicides lui seraient évidemment profitables. Quant à Amir Peretz, partisan du dialogue avec l’Autorité palestinienne, il peut symétriquement durcir son approche, tout en cultivant sa fibre sociale de séfarade (juif oriental) venu des rangs de la classe ouvrière. Israël paraît, selon la formule gaullienne, moins menacé par le vide que par le trop-plein.

La Palestine en quel Etat ?

Ni avec lui ni sans luià Soyons clair : aucun acteur de la tragédie proche-orientale n’a, à terme, lieu de se réjouir de la disparition d’Ariel Sharon. Surtout pas ses ennemis. Car son effacement ne hâtera nullement l’émergence d’une entité palestinienne souveraine, dotée ou non d’un statut étatique. Il s’en faut. Aucun autre leader israélien n’a l’étoffe ni ne jouit de la confiance requise pour imposer des  » sacrifices  » territoriaux, ces  » concessions douloureuses  » dont nul au demeurant ne connaissait la nature. Aussi haï ou redouté fût-il, Sharon avait au moins cet atout aux yeux de Palestiniens désabusés. Les cris de victoire, les louanges à Allah et les distributions de friandises reflètent moins un regain d’espoir que l’amertume née d’années d’impuissance rageuse. Mélange d’allégresse et d’inquiétude, le climat qui règne dans les territoires occupés ne durera pas : l’angoisse aura tôt fait de supplanter la joie. L’absence de Sharon met en lumière, s’il en était besoin, la profondeur du fossé creusé au fil des ans entre une Autorité palestinienne qui n’en a guère et sa base. Tandis que les miliciens de son parti, ce Fatah guetté par l’implosion, lâchent au ciel des rafales triomphales, le raïs Mahmoud Abbas s’inquiète de l’état de santé d’un Ariel Sharon avec qui il entretenait un dialogue discret mais continu. Le successeur ô combien contesté de Yasser Arafat, dont il n’a ni l’aura ni le savoir-faire clientéliste, se serait bien passé d’un tel accroc. A l’approche d’élections législatives fixées en théorie au 25 janvier, la bande de Gaza s’enfonce dans l’anarchie. A coups de rapts et de raids, les Brigades des martyrs d’Al-Aqsa, satellite armé du Fatah, cherchent à imposer le report d’un scrutin dont ils ont tout à craindre. Les municipales partielles de décembre ont donné en Cisjordanie la mesure de l’emprise croissante du Mouvement de la résistance islamique (Hamas) sur l’électorat palestinien. Tout en s’abstenant de reconduire une trêve des attentats qui expirait fin décembre, Hamas, servi par son image d’intégrité et l’efficacité de son réseau d’assistance sociale (dispensaires, crèches, écoles, clubs sportifs), réussit aux dépens du Fatah sa conversion au combat des urnes. Israël a levé l’hypothèque qui pesait sur l’échéance du 25 janvier. Plus question, en principe, d’empêcher les Palestiniens de Jérusalem-Est de voter. Quant aux candidats, ils pourront, à l’exception de ceux d’un Hamas qui professe la destruction de  » l’entité sioniste « , mener campagne dans le secteur oriental de la Ville sainte.

Un autre péril plane sur la Terre promise : la tentation, pour les factions radicales, de lancer une cohorte de kamikazes ou des volées de roquettes artisanales à l’assaut d’un ennemi que l’on croit affaibli. D’autant qu’elles s’évertuent à élever le retrait de Gaza au rang de victoire héroïque de la résistance. Une stratégie du pire qui, bien entendu, offrirait à l’Etat hébreu matière à représailles massives. En vertu d’un effet de miroir classique, les Palestiniens redoutent quant à eux un raidissement préventif, au moins rhétorique, des légataires de l’ère Sharon, sur fond de lutte de pouvoir. Ne serait-ce que pour conjurer le procès en laxisme à la veille d’une bataille législative incertaine.

Vu de Rafah, Naplouse ou Jénine, le désengagement de Gaza n’a en rien amendé l’image de Sharon. Il ne s’agirait au fond que d’un stratagème, un leurre expédié sur les écrans radars de l’Occident, Etats-Unis en tête, histoire de détourner les regards de la colonisation effrénée de la Cisjordanie, terre fertile en faits accomplis.

La  » feuille de route  » emportée par le vent

Avis de recherche. Qui a vu la fameuse road map, ce plan de paix ébauché en 2003, parrainé par le  » Quartet  » (ONU, Etats-Unis, Union européenne, Russie) et censé baliser le chemin menant à la création d’un Etat palestinien ? Cet énième avatar du  » processus de paix  » ne fut d’emblée qu’un v£u pieux. Quand Israël consent à l’adopter, le 25 mai 2003, il assortit son aval de 14  » réserves  » qui le vident de toute substance. Invoquant l’incapacité de l’Autorité palestinienne à neutraliser les groupes armés, Sharon et les siens foulent aux pieds la promesse de gel des constructions dans les colonies juives en  » Judée-Samarie  » (Cisjordanie). Avec le recul, il paraît clair que cette feuille de route fut en fait le fruit d’une négociation avec les Etats-Unis, et non avec les Palestiniens. Voilà bien le bâton de maréchal diplomatique d’Ariel Sharon : avoir rallié George Bush à ses thèses, qu’il s’agisse du traitement de paria réservé hier à Yasser Arafat, du devenir de Jérusalem et de celui des  » blocs de colonies  » voisins de la Ligne verte ou du péril nucléaire iranien.

V.H.

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