Esprit Diable, es-tu là ?

Alexandre Charlier
Alexandre Charlier Journaliste sportif

Le footballeur belge est à la mode partout en Europe. Mais l’équipe nationale n’en profite pas. Georges Leekens parti à Bruges, un nouvel espoir surgit.

« Donner, recevoir, partager : ces vertus fondamentales du sportif sont de toutes les modes, de toutes les époques. Elles sont le sport.  » Ces paroles empreintes de sagesse sont celles d’Aimé Jacquet. Vous vous souvenez de  » Mémé  » ? L’homme le plus haï de l’Hexagone avant France-Afrique du Sud, le 12 juin, premier match de la Coupe du monde 1998 et porté en triomphe sur les Champs-Elysées le 12 juillet. Ainsi va la vie d’un sélectionneur national, funambule d’un implacable grand cirque médiatique…

Le problème, en Belgique, est que depuis Guy Thys (ah ! Mexico 86…), le peuple – ou plutôt les peuples flamand et francophone – n’ont plus un Aimé Jacquet en réserve, un homme, une personnalité, une  » gueule  » capable de galvaniser et d’hypnotiser les Diables rouges par des mots simples. Car c’est quoi être sélectionneur national ? C’est faire des choix pour transmettre un  » message « . C’est accueillir à intervalles très irréguliers une grosse vingtaine d’individualités pour qui l' » amour du maillot  » est sans doute moins important que la prime des victoires. Dans le foot-fric moderne, les stars perdent en effet de l’argent lorsqu’elles mettent leur talent au service de la nation. La prime des Diables rouges lors d’un match de qualification (loupée) pour l’Euro 2012 était de 6 500 euros environ. C’est beaucoup pour le commun de footballeurs évoluant en D1 belge, mais c’est un aimable défraiement pour un Daniel Van Buyten, un Eden Hazard ou un Vincent Kompany. Les revenus de ce dernier tournent autour des 7 millions d’euros par an ; soit 137 000 euros la semaine !

Les affres du provincialisme

Quand ils débarquent à Bruxelles-National fringués comme des stars de ciné et affichant ostensiblement le dernier casque musical à la mode et leurs lunettes dernier cri, nos internationaux sont confrontés à un énorme décalage : déifiés dans leur club, on leur cherche immédiatement des poux dans la presse belge, glisse un observateur  » autorisé  » anonyme. Durant 3 ou 4 jours – où ils aiment revoir leurs potes d’enfance et de virées -, ils rigolent entre eux : amateurisme ambiant, organisation et communications foireuses, installations d’un autre temps… Observez bien leurs rictus lors des séances d’entraînement, lors de points presse improvisés au pied d’une buvette de Provinciale 3 ou encore lors de l’hymne national… Cela en dit long. Et puis, dans l’intimité du vestiaire ou de séances de briefing, quand un François De Keersmaecker, un Aimé Anthuenis ou un Georges Leekens prend la parole, beaucoup fixent leurs chaussures pour ne pas être entraîné par un fou rire collectif…

Une direction claire, un management fort, une image vierge de petits et grands scandales auraient pu contrecarrer la tendance internationale généralisée qui veut que ce soient de plus en plus les joueurs qui dictent leurs lois et décident du jeu. Le football belge, son parlement d’un autre temps (22 membres du Comité exécutif) et ses multiples Ligues et Commissions qui s’immiscent dans toutes les orientations et décisions stratégiques ont perdu beaucoup en ne faisant pas confiance, voici six ans, à un duo composé de Roger Vanden Stock (candidat président à mi-temps) et Michel Preud’homme (directeur technique). Le premier cité rigole aujourd’hui de la succession de coups durs sportifs et organisationnels qui s’abattent sur une Fédération qui claque un fric dingue en chasseurs de têtes pour dénicher des hommes providentiels et  » indépendants « . Quant à Michel Preud’homme, son nom est évidemment revenu à la Une de l’actualité comme candidat idéal pour remplacer le déserteur Georges Leekens parti au FC Bruges.  » Trop cher « , dit-on, de racheter son contrat à Al-Shabab où il a rempilé jusqu’en 2016, avec un salaire annuel estimé à quelque 5 millions d’euros. Bizarre tout de même que l’on s’offusque toujours au pays du surréalisme sur le fait d’allonger 4 millions d’euros pour un entraîneur de qualité et garantissant le succès, alors que pour des joueurs plus que moyens une telle somme est… monnaie courante.

Génération dorée

L’argent n’est pas tout. Eric Gerets, autre incontournable pour reprendre en main (de fer) les Diables, a laissé clairement entendre qu’il serait prêt à faire des concessions financières pour répondre à l’appel de détresse de la nation. Comme on le comprend, depuis le FC Bruges, Gerets a ouvert des comptes en banque aux Pays-Bas (PSV Eindhoven), en Allemagne (Kaiserslautern et Wolfsburg), en Turquie (Galatasaray), en France (Olympique de Marseille), en Arabie saoudite (Al-Hilal) et au Maroc (équipe nationale) ! Il vit bien.

Le dimanche 13 mai, le site Internet de Sudpresse était catégorique :  » Gerets est le nouvel entraîneur des Diables.  » Un énorme scoop, non confirmé à ce jour, mais qui pourrait le devenir si Gerets ne surmontait pas le cap des 2 matchs couperets avec le Maroc les 2 et 9 juin dans le cadre des qualifications pour le Mondial 2014 au Brésil. Le  » Lion de Rekem  » répond évidemment lui aussi au profil idéal de l’Union belge. En plus, il est sous le charme absolu d’Eden Hazard, meilleur joueur du championnat de France pour la deuxième année consécutive, mais qui n’a pas encore atteint le même niveau avec les Diables rouges, version Georges Leekens. Tout peut rentrer dans l’ordre, bien sûr, même Lionel Messi a essuyé des critiques dans son propre pays pour ne pas évoluer avec le même génie en sélection argentine qu’avec Barcelone.

Ce serait un immense gâchis de ne pas voir évoluer Hazard, porté en triomphe dimanche dernier à Lille après avoir signé un triplé pour son dernier match en Ligue 1, dans une grande compétition internationale. Car oui, c’est clair, pour la première fois de l’histoire du football belge, nous possédons des joueurs qui prestent au plus haut niveau à l’étranger et pas dans des clubs de second rang. Et avec des résultats et des trophées à la clé. Vincent Kompany est le plus mûr d’une bande de talents pourris et gâtés. Le Bruxellois a offert le titre à Manchester City, en Premier League, le championnat le plus prisé au monde. Assommant la concurrence de sa classe altière, il empoche au passage le titre de joueur de l’année. Kevin Mirallas a fait de même en Grèce alors que Jan Vertonghen a été plébiscité par ses fans de l’Ajax Amsterdam. De semblables louanges ont été adressées à Marouane Fellaini à Everton, Thomas Vermaelen à Arsenal, à Axel Witsel à Benfica, Igor De Camargo à Mönchengladbach ou encore au plus célèbre inconnu belge du Calcio Radja Nainggolan à Cagliari.

Si ces joueurs étaient nés brésiliens, néerlandais ou espagnols, l’Union belge de football croulerait sous les candidatures spontanées au poste de sélectionneur national. Seulement voilà, la Belgique n’a pas les moyens de son ambitieuse génération dorée et attend depuis 2002 de renouer avec une participation à un Mondial. Marc Wilmots, joueur, en était. Celui qui incarnait en tout point l’esprit des Diables rouges – engagement physique, sens aigu de l’esprit collectif et amour de la patrie – expédie donc les affaires courantes en coachant deux sympathiques matchs amicaux (contre le Monténégro et en Angleterre) avant de s’effacer pour une  » pointure « . A moins que ses troupes ne sortent le tout grand jeu pour l’imposer comme T1 dans la campagne qualificative pour Brésil 2014, dont le premier rendez-vous s’annonce, dès septembre, au pays de Galles.

ALEXANDRE CHARLIER

La Belgique n’a pas les moyens de son ambitieuse génération dorée

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