En primeur, les  » bonnes feuilles  » de Credo politique

Un credo face à la dictature du relativisme

L’humanisme ne se fonde pas sur des résultats d’élections, si libres et démocratiques soient-elles. Il postule l’adhésion à un paradigme qui transcende les contingences historiques. Ici surgit la question morale, la question des  » valeurs « . Chacun sent bien confusément que l’adhésion à un socle fondateur requiert de notre part une forme de credo. C’est ce que rappelait le cardinal Ratzinger, juste avant d’entrer dans le conclave où ses pairs l’éliraient pape sous le nom de Benoît XVI : une certaine dictature du relativisme – déclarant que tout, en ce compris les droits de l’homme, est affaire de convention – n’est pas sans danger pour la civilisation […].

Pour le chrétien que je suis, le credo politique se fondera sur le sens de la justice que Dieu – en Sa sagesse créatrice – a insufflé en l’homme. C’est ce que la tradition appelait la  » loi naturelle « , souvent rebaptisée de nos jours  » la voix de la conscience « . Mais, pour l’athée, il sera sans doute plutôt question d’un instinct de préservation de l’espèce qui a évolué de l’état de nature animale à celui de culture humaine.

L’impasse du matérialisme

Oui, les fous de Dieu sont des adversaires, mais, parfois, ils posent de bonnes questions. En organisant la vie politique en dehors de toute référence au divin, nos sociétés se sont trop souvent bâties sur la prospérité matérielle pour unique valeur. Le nouveau temple au c£ur de la cité est devenu la Bourse. Ceci a sans doute plutôt bien fonctionné pendant quelques générations, mais ne peut se maintenir à long terme. Une société principalement fondée sur le matérialisme n’est pas féconde. Au bout de trois générations, elle s’essouffle, avant d’imploser […].

Le nouvel impératif moral qui régit notre monde n’est plus religieux. Il s’agit du dogme social du bien-être :  » Sois heureux, bien dans ta peau, en harmonie avec toi-même et donne-toi les moyens pour ce faire.  » Principe tout naturellement allié à l’impératif catégorique du marché économique :  » Pour te réaliser, consomme, consomme… car tu le vaux bien !  » […] La modernité vante l’épanouissement et la jouissance – Carpe diem ! -, mais tombe en panne quand il s’agit d’expliquer au nom de quel idéal l’homme se doit d’être heureux.

Pour un nouveau  » contrat social « 

Je plaide plutôt pour un  » nouveau contrat social  » qui fonde nos sociétés sécularisées sur un projet d’ordre spirituel. A la suite de Nietzsche, le XXIe siècle découvre que la mort de Dieu mène, non seulement, à une perte de repères religieux, mais également à l’effritement des valeurs objectives et universelles que ceux-ci impliquent. Or, sans valeurs  » sacrées « , comment proposer la démocratie ? […]

Ce  » nouveau contrat social « , quel en sera le fondement ? Ne s’agit-il pas d’un plaidoyer insidieux pour un retour du religieux en politique ? Pour répondre avec pertinence à cette objection, il ne faut pas se laisser enfermer dans le piège de la question. Celle qui ne considérerait comme  » vrai démocrate  » que le citoyen qui pense que tout ce qui relève du religieux est à reléguer dans le domaine du privé. Je ne puis que récuser pareil postulat, qui imposerait aux croyants de mettre leurs convictions les plus intimes entre parenthèses dès qu’ils entrent dans l’espace public. La vie publique ne peut en effet se déployer que sur des convictions philosophiques. Celui qui bannit les religions de l’agora élève par là même la non-croyance au rang de religion d’Etat, ce qui est inacceptable. Un Etat où seuls les agnostiques et les athées auraient le droit d’afficher leurs convictions en public et où les citoyens religieux ne pourraient exprimer les leurs que dans la sphère privée ne serait pas digne de la démocratie.

Une démocratie n’est durable que si elle se fonde sur une éducation et un engagement spirituels de tous ses citoyens – dans le strict respect de leur liberté de conscience. L’éducation à la spiritualité, qui enseigne que vivre c’est mourir au passé et aux regrets, pour naître au présent et à l’engagement, est un enjeu collectif et citoyen.

Islam et démocratie

[…] La réalité du terrain montre cependant que la plupart de nos concitoyens de religion musulmane sont de paisibles démocrates. Comme les croyants catholiques, je les invite à comprendre que deux questions servent de  » test  » pour vérifier la compatibilité démocratique d’une religion : l’apostasie et le prosélytisme. Un islam démocratique enseignera haut et fort que, dans le Coran, aucun châtiment terrestre n’est envisagé contre ceux qui apostasient ou changent de religion, pas plus qu’envers les non-musulmans qui annoncent librement leur foi ; que les avertissements du Coran ne relèvent que du domaine spirituel et de la vie dans l’au-delà. Seul pareil enseignement rend la théologie musulmane compatible avec l’article 18 de la Déclaration universelle des droits de l’homme sur la liberté religieuse.

 » J’admire nos hommes politiques « 

Sans la menace nazie, ni Churchill ni de Gaulle ne seraient sans doute jamais devenus des hommes politiques de premier plan. A situations exceptionnelles, personnalités exceptionnelles […]. Est-il nécessaire de rappeler une fois de plus qu’Adolph Hitler – contrairement à Churchill et à de Gaulle – fut porté au pouvoir par une élection et qu’il a sans doute été l’homme politique le plus populaire de l’histoire d’Allemagne… ?

Bref, quitte à donner pleinement dans le  » politiquement incorrect  » (le mot étant ici bien choisi), je déclare quant à moi mon estime – et même mon admiration – pour nos hommes politiques. Pour autant, du moins, qu’ils se montrent honnêtes et respectueux du socle qui soutient tout le consensus démocratique : le refus du repli identitaire. La politique – comme la boxe – est un art noble. Parfois cela cogne sec, mais l’Etat de droit est là pour veiller à ce que cela ne se fasse pas en dessous de la ceinture.

La plupart du temps, les électeurs ont les politiciens qu’ils méritent ou que les circonstances appellent. Je ne rate donc pas une occasion pour inciter de jeunes adultes à s’intéresser à la chose publique, voire à s’y investir. Malgré les déceptions ou les colères légitimes, ils ne peuvent se désintéresser de ce droit de vote sacré pour lequel leurs grands-parents se sont battus.  » Si tous les dégoûtés s’en vont ne resteront plus que les dégoûtants « , marmonnait entre deux bouffées de pipe un vieux crocodile de la politique belge […].

Trop de niveaux de pouvoir

Je plaide par ailleurs en faveur d’une simplification de l’espace politique. De la commune à l’Union européenne – voire à l’ONU -, il existe aujourd’hui trop de niveaux de pouvoir pour que les enjeux politiques soient encore lisibles aux yeux des citoyens. Même si les Etats-nations gardent leur pertinence sur notre Vieux Continent, il n’est pas impossible que les échelons politiques principaux deviennent à terme la commune, la région et l’Union européenne.

Théocratie et démocratie

Pour le croyant que je suis, la théocratie est le système politique idéal… à condition de s’appliquer aux anges. Mais les hommes ne sont pas des anges et quand ils confondent Dieu et César, ce n’est bon ni pour le culte rendu à Dieu, ni pour le royaume confié à César. Pour le citoyen que je suis, la dictature est le système politique le plus efficace… tant que le peuple et son dictateur sont des saints. Mais les peuples et leurs dictateurs ne sont pas des saints et toutes les dictatures dégénèrent dès lors en tyrannie.

Reste la démocratie.  » La pire forme de gouvernement à l’exception de toutes celles qui ont été essayées de temps à autre au cours de l’histoire  » , plaisantait Churchill. Les deux parties de la phrase sont correctes. La démocratie est le pire des systèmes politiques – lent, clientéliste, dispendieux, dispersé, inefficient…. – mais tous les autres systèmes ont démontré qu’ils étaient bien pires. Je n’aime donc pas trop ce sport national qui consiste à cracher dans la soupe, en critiquant les institutions politiques et les élus du peuple, tout en se gardant bien de s’investir dans la chose publique.

Nous pensons trop facilement que nos libertés civiques sont acquises une fois pour toutes. Aujourd’hui, il est de bon ton de vouer aux gémonies tout sympathisant, même le plus tiède, du régime nazi, en oubliant un peu vite que notre Vieux Continent et ses élites ont été à un doigt de basculer collectivement dans l’abîme. Si, un soir du 28 mai 1940, un vieux politicien ayant le courage de ses intuitions avait été renversé, il ne fait pas de doute que la Bête aurait triomphé et – probablement – régnerait encore.

2 Credo politique, par Eric de Beukelaer, Fidélité/Avant-propos, 110 p.

Les titres et intertitres sont de la rédaction.

 » Nous pensons trop facilement que nos libertés civiques sont acquises une fois pour toutes « 

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