EN FRANCE, PÂTISSIER BIEN PAYÉ VAUT MIEUX QU’INTELLO PRÉCAIRE

Dans une récente chronique, nous expliquions que l’absence de chômage en Suisse ou au Danemark venait du fait que, dans ces pays, 50 % des jeunes âgés de 15 à 19 ans travaillent déjà (ils sont moins de 10 % en France) : ils préfèrent entrer en apprentissage plutôt que de poursuivre des études longues parce qu’ils trouvent, dans l’industrie locale, des jobs mieux rémunérés que ceux que procureraient un doctorat en psychologie ou un master d’histoire de l’art. Le même phénomène existe, dans une moindre mesure, en Allemagne ou aux Etats-Unis. En France, en revanche, les parents préfèrent se saigner aux quatre veines pendant dix ans plutôt que de laisser leur enfant devenir un travailleur manuel. Et pourtant ! Le fils qui rêve d’être cuisinier peut devenir Bocuse, la fille qui veut être boulangère peut devenir Banetière, et le passionné de robinets peut créer la première franchise de plombiers efficaces et ponctuels… ou être simplement heureux dans un métier qu’il aime.

Bonne nouvelle : les temps changent. L’économiste et anthropologue américain David Graeber a identifié le phénomène en dénonçant les  » bull-shit jobs  » (boulots à la con), c’est-à-dire les emplois du tertiaire paupérisés, auxquels on peine à trouver un sens. Ces métiers de fourmi, peu motivants et mal payés, existent indifféremment dans les entreprises et la fonction publique, du contrôle de gestion aux ressources humaines, en passant par les services Web. L’expression a fait le buzz parce que la majorité des moins de 30 ans se sont sentis concernés.

Il semble que la France connaisse aussi cette évolution. Le sociologue Georges Friedmann a baptisé  » travail en miettes  » ces activités intellectuelles parcellaires : contrairement à l’artisan menuisier qui fabrique un meuble ou au garagiste qui fait redémarrer un moteur en panne, les nouveaux tâcherons du tertiaire ne voient pas le résultat concret de leur action. Car celui qui collecte les données est rarement celui qui les analyse. De surcroît, leur job est précaire, car tout aussi délocalisable que la fabrication de tee-shirts : comme l’écriture des programmes informatiques, l’interprétation d’une radio du poumon ou du genou peut désormais être faite à distance par des radiologues indiens !

Ce rejet d’un appauvrissement intellectuel sans contrepartie financière conduit déjà à un regain des métiers de l’artisanat. La télévision exploite le filon : les Top Chef ou Masterchef en cuisine, les Tous ensemble (on refait une maison pour une famille sans ressources) et autres émissions de déco ou de jardinage montrent que les occupations manuelles peuvent faire rêver. La vogue des  » fab lab « , clubs de bricolage et autres ateliers de high-tech (ou de low-tech) le reflète : avec ou sans imprimante 3 D, chacun veut devenir un  » maker « , c’est-à-dire fabriquer quelque chose de ses mains. Les déçus de l’université et même les jeunes diplômés sont attirés par l’artisanat. Une chance, car il représente une part importante des emplois non pourvus en France (1) – dont le nombre, comme celui des manifestants selon les organisateurs et la police, varie de 200 000 à 600 000 selon les sources. Les salaires des charpentiers, ébénistes, tailleurs de pierre, cuisiniers ou boulangers, tous très recherchés, grimpent de 41 000 à plus de 50 000 euros par an, à en croire la dernière étude des centres de gestion agréés. Et, selon la chambre de métiers et de l’artisanat, 200 000 apprentis sont désormais formés chaque année, dont un tiers a le niveau bac, alors qu’ils n’étaient qu’une poignée il y a quinze ans. Toutes ces professions offrent une autre chance aux plus ambitieux : la possibilité de créer ou de reprendre une entreprise, et de devenir ainsi entièrement maîtres de leur destin.

(1) En France, le terme artisanat englobe tous les métiers manuels. Aucun chiffre comparable n’est disponible en Belgique mais l’engouement, dans certains secteurs manuels, est similaire.

par Christine Kerdellant

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