En Europe, les lignes bougent

Oubliez la  » jeune Europe  » et la  » vieille « . Que les marchandages budgétaires se soient ou non conclus, vendredi, sur un compromis, que l’Union ait ou non évité d’ajouter une crise financière à sa crise institutionnelle, ses équilibres internes se modifient.

Hier, deux blocs y semblaient figés pour longtemps. Vent en poupe, la Grande-Bretagne et les pays sortis du communisme convergeaient dans le libéralisme, la volonté de ne jamais s’écarter des Etats-Unis et le rejet, surtout, de toute dynamique fédérale ; l’attachement des nouveaux membres à leur souveraineté rencontrait l’éternel rêve britannique de rester ailleurs, quelque part entre l’Europe et l’Amérique. Face à cette si solide connivence, le couple franco-allemand s’essoufflait, lui, à défendre les idées d’Europe politique et d’harmonisation économique. Sa longue prédominance au sein de l’Union avait ligué contre lui bien des ressentiments. Devenu dépendant des aléas électoraux, le soutien de l’Espagne et de l’Italie s’était fragilisé, et la vieille locomotive de l’Europe ne pouvait plus tracter l’Union avec le seul appui de la Belgique et du Luxembourg.

Là-dessus, coup de tonnerre. Chargé de la présidence semestrielle de l’Union, Tony Blair vient informer, il y a dix jours, les capitales d’Europe de l’Est que le seul moyen qu’il ait trouvé de boucler le projet de budget 2007-2013 est de rogner sur les  » fonds structurels « . L’homme à l’étendard duquel elles s’étaient ralliées, leur ami, leur dit – et plutôt brusquement – qu’il faut réviser à la baisse le mécanisme d’aide dont l’Espagne, la Grèce et le Portugal avaient bénéficié et sur lequel elles comptaient pour se mettre à leur tour à niveau.

Les nouveaux membres se sentent trahis. Ils protestent, rappellent au principe de solidarité européenne, qu’ils n’avaient pas toujours révéré, en appellent à Paris et à Berlin. Et ce retournement de situation donne soudain à voir que la réalité européenne n’était pas forcément celle que l’on croyait.

L’Espagne a rappelé la gauche au pouvoir. L’Italie s’apprête à en faire autant. L’Allemagne a refusé la rupture libérale que lui avait initialement proposée Angela Merkel. La Pologne, surtout, le plus grand des nouveaux pays de l’Union, vient de mettre aux commandes un parti social-conservateur très à droite sur les questions de société – famille, avortement, homosexualité – mais tout aussi à gauche sur les questions économiques.

Non seulement l’Europe préfère son modèle au libéralisme, l’économie sociale de marché à la loi du plus fort, mais les déboires irakiens de la Maison-Blanche y ont battu en brèche l’idée qu’il y aurait tant de sagesse à systématiquement emboîter le pas aux Etats-Unis.

L’Union est dans un entre-deux, encore flou, mais un autre ciment est peut-être en train d’y prendre, celui du besoin de solidarité, d’harmonisation, de projets communs et d’affirmation politique.

Bernard Guetta

Hier inconditionnelle de Tony Blair, l’Europe de l’Est se rapproche de Paris et de Berlin

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