Eléphants s’abstenir !

CHRISTINE LAURENT

CERTES, IL EST CAPABLE DE TOUT, MAIS PAS FORCÉMENT du pire. On l’a connu conquérant, dominant, inconstant, en panique ou, plus souvent encore, sautillant d’une fidélité à l’autre. Il a donné à la Belgique de grands hommes d’Etat ; c’était au temps où notre richesse suscitait bien des envies. De bien médiocres aussi. Mais bon. Le CVP d’alors, devenu CD&V, régnait en maître. Il nous a livré aussi quelques plombiers, des forts en stratagèmes et martingales, histoire de nous permettre de survivre, malgré nos querelles communautaires menaçantes. Ils nous ont tricoté un fédéralisme si alambiqué qu’on peine aujourd’hui à en défaire les ficelles et les n£uds. Un véritable casse-tête juridico-institutionnel qui, à lui seul, bloque la scission de notre pays pour des décennies. Une réalité à mille lieues des provocations explosives agitées régulièrement par la N-VA.

Et s’il n’y avait que ce dossier-là pour freiner les ardeurs de Bart De Wever ! Hélas, hélas pour le leader séparatiste, bien d’autres obstacles, plus  » empoisonnants  » les uns que les autres, bloquent son aspiration ardente au séparatisme, comme le prouve notre dossier cette semaine. Et pas des moindres : le futur de Bruxelles, quasi insolvable, le coût exorbitant pour tous les Belges d’une scission, l’imbroglio de la répartition de la dette publique, les marchés financiers à l’affût de la moindre défaillance, la pression de l’Europe, l’extraordinaire imbrication des flux économiques entre le Nord et le Sud, etc.

 » Toute scission fait apparaître de nouvelles minorités et de nouveaux problèmes. Le défi ne réside pas dans la manière dont diverses communautés doivent suivre leur propre voie. Au contraire, nous devons apprendre à vivre dans le respect mutuel « , rappelait, fort opportunément, en mai dernier, l’ex-président d’Afrique du Sud Frederik De Klerk, de passage à Bruxelles. Depuis toujours, la Belgique est une conférence diplomatique permanente. Et ce n’est pas demain que la situation va évoluer. On l’a déjà dit mille et une fois : il n’y a aucune alternative à la négociation. La dislocation même du pays ne peut se faire que de manière consensuelle. Il faudra, ensemble, Nord et Sud confondus, à la fois inventer du neuf et régler le passé. Pas simple.

Dans ce contexte tendu, le CD&V s’est donc éveillé. Ou réveillé peut-être ? Peu importe. De fait, il n’avait plus vraiment le choix. A rester scotché à la N-VA, il allait se faire manger tout cru. Non, négocier et céder quoi que ce soit, ce n’est pas trahir  » sa  » nation. Mais, de fait, Wouter Beke, en acceptant finalement de se laisser aller à un premier flirt avec les sept autres partis, a pris des risques. Des risques existentiels même, affirme dans nos colonnes l’éditorialiste flamand Luc Van der Kelen. Car s’il échoue, il sera inexorablement taillé en pièces par la N-VA. Il s’agit donc, pour les francophones, de sauver le soldat CD&V. Un accord est à ce prix. L’étrange suspension des négociations jusqu’à la mi-août, après d’âpres mois de querelles et de combats, paraît d’autant plus irréelle qu’elle pourrait se révéler bien périlleuse. Car même la politique a horreur du vide. Et si l’envie venait à l’un ou l’autre franc-tireur flamand de sortir du bois, de semer la pagaille, de jouer les fiers-à-bras ? Ou bien encore à un francophone exalté de s’abandonner à l’une ou l’autre tirade sulfureuse, rien que pour attirer les flashs éblouissants des médias ? Effets politiques désastreux garantis. Car, dans le dialogue sophistiqué et ultrasensible qui devrait reprendre bientôt, il faudra, de part et d’autre, faire des concessions majeures et ce, dans un climat de confiance extrêmement délicat. De la vraie porcelaine. Du pur cristal que la moindre vibration peut fissurer. Fragile, très fragile. Eléphants s’abstenir !

Et si l’envie venait à l’un ou l’autre franc-tireur flamand de sortir du bois, de semer la pagaille avant la mi-août ?

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire