Ego tripes

L’autobiographie est loin de se cantonner à la littérature. Au théâtre aussi, les récits de vie abondent. Avec une trilogie de spectacles, Riton Liebman apporte une nouvelle pierre à ce genre qui vise à l’identification et donc, immanquablement, à l’émotion.

 » Que la trompette du jugement dernier sonne quand elle voudra ; je viendrai, ce livre à la main, me présenter devant le souverain juge. Je dirai hautement : voilà ce que j’ai fait, ce que j’ai pensé, ce que je fus.  » En écrivant ses Confessions, parues de manière posthume dans les années 1780, Jean-Jacques Rousseau souhaitait montrer à ses semblables  » un homme dans toute la vérité de la nature « . Il ne se doutait pas qu’en accomplissant cette  » entreprise qui n’eut jamais d’exemple et dont l’exécution n’aura point d’imitateur « , il ouvrait la voie à des centaines de suiveurs, qui allaient s’épancher dans divers Mémoires, Journaux et Histoires de ma vie. Bazin, Yourcenar, Gide, Sarraute, Sand, Pagnol, Labro ou, plus proches de nous et en BD, Marjane Satrapi et Riad Sattouf s’y sont (auto)collés avec talent.

Au théâtre aussi, l’autobiographie se porte bien. En témoignent les succès de Pie Tshibanda retraçant ses tribulations de Fou noir au pays des Blancs, du One Human Show de Sam Touzani, basé sur des souvenirs de jeunesse, de Vanessa Van Durme racontant sa vie de fille née avec le corps d’un garçon dans Regarde maman, je danse, ou encore, tout récemment, celui d’Arieh Worthalter, revivant les saisons passées au milieu du Grand Nord pour Wilderness (1). Si dans ces différents cas, il y a coïncidence entre l’auteur, le narrateur et le comédien sur scène, il ne s’agit pas là d’une règle absolue. On pense notamment à des pièces à plusieurs personnages comme Juste la fin du monde de Jean-Luc Lagarce, récemment adapté au cinéma par Xavier Dolan, à L’Atelier de Jean-Claude Grumberg et à 4.48 Psychose, bouclé par Sarah Kane juste avant son suicide. Mais par la franchise que l’exercice suppose, un monologue porté par la personne même qui a vécu les faits a naturellement de quoi désarmer.

Ce sera le cas dans le nouveau spectacle de Riton Liebman. Après avoir évoqué dans Liebman renégat (Prix du meilleur auteur aux Prix de la critique en 2015) le parcours de son père Marcel, Juif de gauche et propalestinien, il se concentre sur sa propre jeunesse dans La Vedette du quartier (2), annoncé comme le premier volet d’une trilogie.  » Ici, le personnage est ado, dans le deuxième volet, il aura 30 ans et dans le dernier, il en aura 50 et il sera toujours aussi dingue, mais différemment « , précise déjà Riton Liebman, qui confie aussi  » ne pas savoir faire autrement  » :  » Quand je prends le stylo, la forme la plus précise et juste qui me vient, c’est de parler de moi-même. Je trouve ça plus intéressant que de partir de la société et de poser sur elle des jugements qui me feraient, pour ma part, tomber dans les clichés, parce que je n’aurais rien à dire de plus que les autres.  »

Et moi, et moi, et moi

 » Nos amis belges, parfois, me posent la question : dis-moi, Pie, quand tu entends qu’on vous appelle « la misère du monde », qu’est-ce que tu as envie de dire ? Si c’est quelqu’un qui veut vraiment savoir qui je suis, d’où je viens, pourquoi je suis parti de mon pays – et même s’il ajoute après « quand est-ce que vous rentrez dans votre pays ? » – eh bien c’est à ces questions-là que je vais répondre « , expliquait Pie Tshibanda dans son seul en scène, livrant ainsi l’objectif principal de son Fou noir. C’est souvent le sentiment de différence qui pousse les autobiographes à prendre la plume. Dans le cas de Riton Liebman, c’est un rôle décroché presque par hasard dans Préparez vos mouchoirs de Bertrand Blier, film sorti en 1978, qui le fait sortir du lot. Il faut bien reconnaître qu’il n’est pas donné à tout le monde de partager l’affiche à 13 ans avec Gérard Depardieu et Patrick Dewaere, et de se retrouver dans le lit de Carole Laure.  » Après le tournage, je suis un peu retourné en classe, mais quand le film est sorti, je suis devenu la petite « vedette du quartier », raconte le comédien, et comme j’étais déjà un mauvais élève, j’ai voulu échapper à l’école en fantasmant ma vie d’acteur. J’ai quitté Bruxelles pour Paris, mais au lieu de me retrouver dans une école de théâtre, j’ai atterri dans les boîtes de nuit…  »

On retrouve donc Riton Liebman, seul en scène, pour retracer une tranche de vie  » scénarisée, mais où tout est vrai  » et pimentée par la présence de quelques stars côtoyées au cours de ses virées dans la capitale française ou sur les tournages qu’il a enchaînés avec Cédric Klapisch, Jean-Jacques Beineix, Xavier Beauvois ou Maïwenn.  » Le spectacle parle de moi mais il faut élargir afin d’entrer en contact avec le public, confie-t-il. Tout le boulot, c’est d’arriver à ce que cette espèce d’autobiographie autocentrée devienne mangeable et appréciable par les autres.  »

Parce que si l’intérêt d’une autobiographie naît de ce qui rend son auteur unique, elle ne fonctionnera que si elle peut être partagée, que si la mise à nu révèle des failles communes, que l’on soit ministar, transsexuel, immigré débarqué du Congo ou aventurier assoiffé de solitude. Tous différents, mais tous les mêmes.

(1) Wilderness : au festival de Liège, du 27 janvier au 18 février 2017, www.festivaldeliege.be ; les 7 et 8 février 2017 à la maison de la culture de Tournai, www.maisonculturetournai.com

(2) La Vedette du quartier : du 13 au 31 décembre au Théâtre de poche (soirée spéciale le 31), à Bruxelles, www.poche.be ; du 25 au 28 janvier 2017 au Théâtre de l’ancre, Charleroi, www.ancre.be

PAR ESTELLE SPOTO

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