Ecrivain en lord massif

Le scénariste de Gosford Park et créateur de la série télévisée Downton Abbey, Sir Julian Fellowes, livre une satire féroce de la haute société british des années 1960. Il connaît.

D’emblée, on lui trouve un petit quelque chose de Winston Churchill, ce même air débonnaire le disputant à la distinction et au sens de l’humour. Pas étonnant que sir Julian Alexander Fellowes, 64 ans, ait incarné son illustre compatriote à la télévision : dans un biopic, The Treaty, en 1992, ainsi que dans un épisode des Aventures du jeune Indiana Jones. Car, malgré son titre de baron de West Stafford (du nom de la localité du Dorset où il réside), qui lui permet de siéger à la Chambre des lords (avec les conservateurs, of course), sa chevalière, ses bretelles rouges et ses mocassins à gland, l’homme est un authentique saltimbanque.

 » Je ne suis pas tout à fait un traître à ma classe  »

Diplômé de Cambridge en art dramatique, Julian Fellowes a longtemps été acteur, pour le petit écran et dans  » des seconds rôles  » assumés sans complexe. Jusqu’à ce qu’il s’improvise scénariste et producteur,  » par accident  » et pour le meilleur : Gosford Park, un film de Robert Altman, lui a valu un oscar en 2002 ; ses émissions télévisées, telles que Julian Fellowes Investigates : A Most Mysterious Murder – sorte de Faites entrer l’accusé du XIXe siècle – l’ont rendu célèbre outre-Manche ; et sa série Downton Abbey, l’époque édouardienne vue tantôt côté maîtres, tantôt côté valets, emballe les foules.  » L’aristocratie fascine encore le public, mais je ne m’attendais pas à un succès pareil. Ce qui m’a valu les foudres de certains intellectuels.  » Julian Fellowes en rit encore, persiste et signe avec Passé imparfait : l’aristocratie anglaise, cette fois au temps du Swinging London de la fin des années 1960. Quarante ans après, le narrateur, écrivain quinquagénaire, est convoqué par un ancien camarade de Cambridge, avec qui il s’est fâché depuis des vacances fatales, en juillet 1970, au Portugal. Dans son manoir du Surrey, Damian Baxter présente tous les signes extérieurs de la réussite – Bentley, meubles de style, objets d’art inestimables -, mais celui qui fut un garçon  » terriblement beau  » est devenu un vieillard cacochyme. Atteint d’un cancer du pancréas inopérable, Damian veut léguer son immense fortune à l’enfant qu’il aurait eu (selon la lettre anonyme d’une femme). Il demande à son ex-ami de le retrouver en renouant avec cinq de ses girl friends, des jeunes filles de bonne famille. Outre une véritable intrigue qui tient le lecteur en haleine, Julian Fellowes trouve là l’occasion de s’adonner à une satire fine et féroce de cette haute société qu’il a lui-même côtoyée, dont il égrène à merveille les codes – à commencer par ceux de la  » saison « , période des bals et des événements mondains.  » Je ne suis pas tout à fait un traître à ma classe, estime-t-il, plutôt un témoin à la façon d’Anthony Trollope, de Francis Scott Fitzgerald, de Marcel Proust.  » Dont il s’empresse de préciser qu’il a lu la Recherche… dans son intégralité.  » J’ai voulu me souvenir des rites de cette société qui n’existe plus. En fait, elle était très fantasmée et beaucoup plus ouverte qu’on ne le croit.  » L’auteur de Snobs, son premier roman, se défend d’en être un :  » C’est ce que la presse anglaise dit de moi, alors que l’humour de mes livres témoigne du contraire.  » Son écriture est à l’avenant, ni maniérée ni moralisatrice. So delicious !

Passé imparfait, par Julian Fellowes, trad. de l’anglais parJean Szlamowicz. Sonatine, 648 p.

Delphine Peras

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire