Dutroux L’heure des comptes Portrait d’un violeur hors série

De 1985 à 1996, entre deux séjours en prison, Marc Dutroux a violé et tué. Avant la prison,il viole. Après, il viole et tue. Sans le moindre remords.

Depuis huit ans, la Belgique traîne l’insupportable boulet Marc Dutroux. La longévité de sa  » carrière  » – une décennie -, seulement interrompue par ses séjours en prison, lui a permis de rejoindre la galerie des grands criminels sexuels du siècle. En séquestrant ses victimes pour mieux les avoir à sa merci, puis en les laissant mourir de faim, il ajoute une dimension hallucinante à ses méfaits. Le 15 août 1996, lorsque les radios annoncent la libération de Sabine et Laetitia, les deux dernières fillettes enlevées par Dutroux, la Belgique hésite entre la joie et l’angoisse. Dans les jours qui suivent, c’est l’horreur qui l’emporte avec la découverte, à Sars-la-Buissière, des corps de Julie et de Melissa. Depuis leur disparition, quatorze mois auparavant, leurs parents avaient conquis l’opinion par leur combat poignant pour la recherche de la vérité. Quinze jours plus tard, nouveau choc : ce sont les corps d’An et d’Eefje qui sont déterrés à Jumet.

En cet été 1996, la Belgique s’effondre d’horreur et de chagrin. Les institutions politiques, judiciaires et policières vacillent sous l’effet de la Marche blanche et de la commission parlementaire d’enquête. Des réformes importantes en découleront. Les rumeurs enflent : Belgique, royaume des pédophiles. Au bout de huit ans, l’entonnoir judiciaire, ouvert bien large au début, n’a laissé passé que les faits vérifiés, recoupés ou soutenus par un faisceau d’indices concordants. Une question reste en suspens : Michel Nihoul, indicateur et escroc, doit-il être associé à la mortelle fantasia de Marc Dutroux, Michelle Martin et Michel Lelièvre ? Le parquet pense que oui, l’instruction dit le contraire. Huit ans plus tard, le jury, fort de sa légitimité populaire, va trancher le débat.

l Marie-Cécile Royen

Comment devient-on Marc Dutroux ? Cette énigme pèsera sur les débats de la cour d’assises du Luxembourg qui débutent ce lundi 1er mars. Marc Dutroux, 47 ans (48, le 6 novembre prochain), a, dans sa jeunesse, un visage régulier, allié à une grâce presque féminine qu’il exprime sur les patinoires. Sa mère, institutrice, était belle, de la beauté lisse des années 1960. Belle et mariée à un cavaleur asocial, fantasque, avare et marqué par l’hérédité désastreuse d’un mariage consanguin. Instituteur, lui aussi. Marc est leur premier enfant. Il fait ses premiers pas au Congo belge, où ses parents, venus d’Ixelles (Bruxelles), ont trouvé un emploi. Lors de l’indépendance, ils rentrent en Belgique, à Obaix, dans le Hainaut. Leur aîné déconcerte par la froideur de son regard, son avidité et sa méchanceté gratuite envers les plus petits, nés entre les crises conjugales de Victor et de Jeannine : trois frères – dont un handicapé et un autre, atteint de schizophrénie catatonique, qui finira par se suicider – et une s£ur, que le nouveau et jeune compagnon de sa mère doit mettre à l’abri de ses brutalités. Dans la cour de récréation, Dutroux porte son patronyme comme un fardeau obscène. Evénement paradoxal de son enfance : à l’âge de 10 ans, il sauve un gosse de 5 ans de la noyade.

Elève moyen, doué manuellement, sa scolarité est marquée par la répulsion que son caractère rétif et sournois suscite. D’établissement en établissement, il finit par décrocher un certificat d’études techniques secondaires inférieures. A seize ans et demi, il quitte le domicile maternel pour le toit d’un homme plus âgé, à Charleroi, contre prestations en nature. Une parenthèse, car les activités sexuelles du jeune homme ne laissent aucun doute sur leur orientation : elles seront hétérosexuelles, multiples, parfois en triangle ou en carré, marquées par la violence et la manipulation, indifférentes à la souffrance des filles auxquelles il s’attaque, distantes des enfants nés de ces unions (deux d’un premier lit, trois d’un second), dont une toute petite, trop jeune pour subir l’inceste qu’il a froidement programmé. C’est avec Julie Lejeune et Melissa Russo, 8 ans, enlevées à Grâce-Hollogne, dans la région liégeoise, le 24 juin 1995, qu’il expérimente la variante de son fantasme d’autarcie : comme un rat dans son trou, il veut recréer un univers clos dans lequel il régnerait sans partage sur des êtres sans défense, à l’abri d’une société qu’il perçoit comme radicalement hostile à son égard.

Les autopsies pratiquées sur les corps des deux petites filles, ainsi que les rapports contradictoires de deux équipes d’experts, ne permettent pas d’affirmer avec certitude qu’elles aient été violées toutes les deux. En revanche, les deux plus grandes, les Limbourgeoises Eefje Lambrecks et An Marchal, dix-neuf ans et dix-sept ans et demi, enlevées entre Ostende et Westende, le 23 août 1995, ainsi que Sabine Dardenne, douze ans et demi, enlevée à Kain (Tournai), le 28 mai 1996, et Laetitia Delhez, quatorze ans, enlevée à Bertrix, dans les Ardennes, le 9 août 1996, ont subi des sévices sexuels lors de leur séquestration dans la maison de Marcinelle (Charleroi).

Dans un témoignage exceptionnel, consigné dans un carnet, et dans des lettres destinées à sa mère que son ravisseur lisait à son insu pour mieux la manipuler ( Le Vif/L’Express du 7 mars 2003), Sabine a tout raconté. Celle que René-Philippe Dawant, dans Affaire Dutroux, affaire d’Etat ? (éditions Luc Pire) appelle  » la petite résistante  » trouve dans les ressources d’un caractère bien trempé la force de préserver sa santé mentale. Douze semaines durant lesquelles elle tient un journal, note les allées et venues de Dutroux, ses viols, en regard des activités auxquelles se livre normalement sa famille. Une façon extraordinaire de garder le contact avec la réalité, sa réalité affective. Elle guette les moindres signes de nature à lui donner des renseignements : le nom de Michelle Martin auquel est adressé le courrier qui arrive à la maison de Marcinelle, le fait que Dutroux ait fait de la prison (une revue annotée d’un numéro de cellule traîne par là), la notion du temps à la faveur d’une émission d’information, les traces de la présence d’enfants (ceux du couple Dutroux-Martin). Dès qu’une visite se présente, Sabine est bouclée dans l’ancienne citerne d’eau de la cave (2, 15 mètres sur 0, 99 mètre sous 1, 64 mètre de plafond). Cette cache humide est défendue par une porte basculante, dissimulée derrière des étagères encombrées, puis par une porte-grille. Elle fut  » viabilisée  » après l’enlèvement de Julie et de Melissa, c’est-à-dire munie d’un matelas en mousse en voie de décomposition posé sur des traverses en bois, d’une table rabattable, d’une petite étagère, d’une télévision reliée seulement à une console de jeux et d’un système d’extraction d’air. Et peinte en jaune – la couleur du soleil, touchante attention – par les soins de Michelle Martin.

Dutroux, qui lit en secret la correspondance de Sabine (comme il a écouté les conversations de Julie et de Melissa par le tuyau d’aération débouchant dans sa cuisine), s’en sert pour lui infliger des blessures supplémentaires. Il lui expose ainsi, faussement léger, que sa famille a sorti la piscine dans le jardin et s’y amuse sans elle. Il lui fait comprendre qu’elle doit être plus souple en matière sexuelle : message de sa maman, avec qui, ment-il, il a eu un contact, à l’insu du  » chef  » qui domine tout le quartier et dont il protège soi-disant la fillette. Mais, en vérité, ce petit bout de femme intrigue son bourreau, qui découvre chez elle une déplaisante résistance sans y percevoir réellement un danger. Grave erreur. C’est, prétend-il, pour briser la solitude de Sabine qu’il enlève Laetitia Delhez. Celle-ci apprend à sa codétenue que la Belgique entière la recherche. La gendarmerie va disposer d’un bon tuyau et, surtout, cette fois-ci, l’exploiter avec toute la puissance de feu que lui donne l’espoir d’élucider – à défaut de les retrouver vivantes, pour quatre d’entre elles -, le mystère des six filles disparues au cours des années 1995 et 1996. Effet du conditionnement diabolique exercé sur Sabine et Laetitia : en quittant leur trou, le 15 août 1996, délivrées par les enquêteurs dépêchés par le juge d’instruction de Neufchâteau, Jean-Marc Connerotte, elles remercient leur geôlier et lui font la bise.

La série de 1985

Son scénario, Dutroux l’a mis au point dès sa première série d’enlèvements et de viols, en 1985. N’ayant pas encore été en prison, il ne tue pas. Mais il torture, humilie et vole ses victimes. De sa sortie de l’école, en 1973, à 1980, il occupe vaille que vaille des emplois salariés et poursuit sa carrière de don Juan, sans se cacher de sa première femme, dont il a deux enfants, et qu’il bat lorsqu’elle proteste. Il glisse progressivement dans la marginalité et écope de sa première condamnation pour vol, en 1979, à Namur. Au début de l’automne 1981, à la patinoire de Forest (Bruxelles), il séduit une blonde légère et timide, Michèle Martin, 21 ans, institutrice. Elle a grandi dans la proximité étouffante, pathologique, d’une mère traumatisée par le décès de son mari et qui lui fait partager son lit. Cette rencontre amorce la formation d’un couple pervers, dont brusquement la dangerosité s’envole. A deux, ils vont s’affranchir de toutes les lois de l’humanité. L’homme, bien sûr, est le moteur. Mais dans quels abîmes personnels la jeune femme va-t-elle puiser cette soumission – complicité active et passive – qui libère toutes les pulsions de son compagnon ?

C’est pendant leur vie commune que Dutroux fait l’acquisition de nombreux immeubles et multiplie les voyages en France et en Slovaquie. En ce début d’année 1983, il commet, en compagnie de Michelle Martin, un vol de mitrailles dans un dépôt. Ils y rencontrent un petit voleur, qui deviendra un truand et leur soufflera l’idée de fabriquer des caches. Facteur de son état, Patrice C. renseigne à Marc Dutroux les personnes âgées et isolées de sa tournée. En juin 1983, Dutroux torture à la baïonnette une dame de 58 ans pour qu’elle révèle où se trouve son argent, près de 2 millions, qu’il s’empresse de mettre à l’abri au grand-duché de Luxembourg.

Sur le plan sexuel, Michelle Martin accepte les configurations à trois, tout en donnant naissance à un premier fils. En lui prêtant sa femme, de la nourriture et un logement, Dutroux s’attache les services d’un apprenti boucher de 19 ans, Jean Van Peteghem (aujourd’hui décédé). Celui-ci annonce la figure de Michel Lelièvre – 24 ans quand ce dernier rencontre Marc Dutroux -, complice des quatre enlèvements de 1995 et 1996. Sans abri, sans famille, toxicomane et couvert de dettes, réelles ou imaginées par son  » maître « , Lelièvre se pliera, comme Van Peteghem, aux volontés du pervers.

Jamais attaché à un travail – il n’est pas finisseur -, Dutroux a la bougeotte. Il repère les objets à voler et tourne aux heures propices, tôt le matin ou entre chien et loup, autour des endroits fréquentés par les enfants : écoles, piscines, patinoires, campings, arrêts d’autobus… Le 7 juin 1985, Dutroux et Van Peteghem capturent une fillette de onze ans et demi devant la piscine de Gilly (Charleroi). Dutroux la viole, la prend en photo, puis la libère devant un hôpital de la région, avec un paquet de dragées. Lors d’un voyage en France avec Michelle Martin, à l’été 1985, Dutroux charge une auto-stoppeuse et la viole. Le 17 octobre, à Péronnes-lez-Binche, il s’en prend à une jeune fille de 19 ans qu’il embarque dans sa camionnette, direction sa maison de Marcinelle, où il en abuse et la menace de représailles si elle le dénonce. Le 14 décembre, à Nalinnes, Michelle Martin participe à l’équipée sauvage des deux hommes. C’est une étudiante de l’ULB qui en est la victime. Elle passe la nuit avec le trio. Entre les viols, Dutroux fait étalage de son pseudo-savoir. Il aime à se faire passer pour un intellectuel. La camionnette la dépose près de chez elle, en état de choc. Ils lui ont pris ses 3 000 francs. Quatre jours plus tard, le 18 décembre, à Pont-à-Celles, se produit la répétition hallucinante – séquestration prolongée et médicaments en moins – de l’enlèvement de Sabine Dardenne. Les lieux ont été repérés la veille. Au petit matin, la sinistre camionnette suit sa cible, une jeune fille de 15 ans qui se rend à vélo à l’école. La porte latérale s’ouvre, l’adolescente est happée par Dutroux et Van Peteghem, Michelle Martin est au volant. Emmenée à Marcinelle, elle est violée, filmée et photographiée par Martin, suivant les indications de son metteur en scène de compagnon. Celui-ci fait croire à sa victime que son enlèvement  » est une vengeance contre son père qui n’a pas toujours été régulier… « . La fille est remise en liberté à deux pas de son domicile, nantie de 500 francs pour aller voir un médecin et lui demander un certificat d’absence pour l’école. D’après Van Peteghem, en aveux, d’autres enlèvements avaient été programmés. Certains échouèrent, d’autres furent perpétrés mais jamais jugés, comme le viol de cette jeune inconnue de Morlanwelz, qui, en mai, a inauguré la série de 1985.

Au total, Marc Dutroux a enlevé, séquestré et terrorisé au moins une dizaine de jeunes filles, âgées de onze ans et demi à dix-neuf ans. Seules cinq d’entre elles ont dénoncé les faits. Arrêté en février 1986, le trio est condamné par la cour d’appel de Mons en 1989 : cinq ans pour la femme, six ans et demi pour Van Peteghem et treize ans et demi pour Dutroux. Celui-ci n’en purgera que six ans et deux mois.

En prison, le personnage se rend insupportable.  » Il provoque une trentaine d’incidents, tant à Jamioulx qu’à Mons, rapporte René-Philippe Dawant. Impliqué dans une dizaine de bagarres, qu’il subit du fait de son attitude provocatrice, il agresse un moniteur. Il est démis d’une demi-douzaine de postes de travail pour manque de rentabilité. Il se rebelle, récrimine, conteste, est absent à l’appel, commet des vols à la cantine et à l’atelier, stocke des médicaments.  » Il bénéficie, cependant, de  » sorties exceptionnelles « , sous couvert d’aider sa grand-mère (qu’il gruge, en réalité). A la moitié de sa peine, en 1992, il est libéré conditionnellement par le ministre de la Justice, Melchior Wathelet (PSC), contre l’avis, prémonitoire, du procureur général de Mons.

Un maître manipulateur

De fait, la prison n’a pas calmé le psychopathe, pas plus qu’elle ne l’a amené à reconnaître le mal qu’il a causé aux autres. Au contraire : il est plus que jamais persuadé de son bon droit, lui, la victime d’un système abhorré. Il hait sa mère avec une rage peu commune. Sa détermination à ne plus se laisser prendre est totale. Elle le dispose à l’assassinat de sang-froid. Dès sa sortie de prison, il recommence à voler et à frauder. Il s’acoquine régulièrement avec des paumés qu’il manipule. Les activités délictueuses  » ordinaires  » de Dutroux manquent de grandeur. Une fois, ça rate, une fois ça marche. Beaucoup de débrouille et d’embrouille. Sa grande gueule envers les faibles contraste avec l’habileté qu’il met en £uvre pour endormir la méfiance des autorités dont il dépend. Premier exemple : psychiatre bruxellois chargé de son suivi, auquel il soutire sans peine de l’Haldol et du Rohypnol, médicaments qui serviront à endormir et à effacer les souvenirs de ses victimes. Second exemple : les allocations d’invalidité (suite au traumatisme généré par leur incarcération…) que lui et Michelle Martin parviennent à obtenir d’un collège de trois médecins de l’Institut national d’assurance maladie-invalidité (Inami). Ils empochent près de 1 000 euros par mois chacun, jusqu’à ce que l’organisme de sécurité sociale flaire l’arnaque et les leur retire, en juin 1996…

Les pulsions de Dutroux ne lui laissent aucun répit. Sûr de son impunité, de son invincibilité, il se fait mousser auprès d’auditoires incrédules avec ses projets d’enlèvement et de séquestration dans des caves aménagées en prison de filles faciles à revendre : de 2 500 à 3 700 euros, dit-il. Ces propos remontent aux oreilles de la gendarmerie de Charleroi, via un indicateur de police, Claude T. Des perquisitions dans ses maisons de Marchienne-au-Pont sont organisées, fin 1993, pour y dénicher du matériel volé et, par la même occasion, examiner les travaux de terrassement, auxquels le marginal avance facilement une explication. Malgré tout, une opération de surveillance, baptisée  » Décime « , est lancée par la gendarmerie, début 1994. Sans succès. Quand Julie Lejeune et Melissa Russo disparaissent, en juin 1995, les rumeurs s’affolent dans l’entourage de Dutroux. Claude T. revient à la charge auprès de son officier traitant. La gendarmerie prend ces bruits au sérieux et monte un dossier, à l’insu de la juge d’instruction liégeoise Martine Doutrèwe ( lire Le Vif/L’Express du 13 février 2004). Sans succès, là aussi. La base légale de l’enquête de Charleroi était trop mince pour qu’on y mette vraiment les moyens : perquisitions simultanées, interrogatoires approfondis…

Jeannine Lauwens, la mère de Marc Dutroux, qui a compris depuis longtemps quel genre d’homme était son fils, écrit – en taisant sa qualité de mère – à un juge d’instruction de Charleroi pour attirer son attention sur le séjour de deux jeunes filles dans sa propriété de Jemeppe-sur-Sambre, louée par Marc Dutroux,  » une maison inhabitée mais dont les chambres sont occultées par du plastique noir… « .  » En ces temps où des disparitions de jeunes filles se multiplient, insiste-t-elle, je pense que je ne peux faire moins que de signaler le passage de ces deux inconnues… De plus, je connais les antécédents du nommé Dutroux Marc…  » Sa lettre du 4 septembre 1995 sera transmise au parquet et une enquête superficielle, réalisée. Sans suite. Les informations ne circulent pas. L’appareil policier et judiciaire du pays, absurdement divisé dans ses pratiques et sur son avenir, ne réagit pas, ou si mal. Dutroux, de son côté, bénéficie d’une chance folle : aucun grain de sable ne grippe sa mécanique. Tout était en place pour une nouvelle série de crimes, encore plus cauchemardesque que la précédente.

L’objet du procès d’assises

Son territoire de chasse, cette fois, s’étend à la Belgique. Avec des extensions en Slovaquie : le 4 juin 1995, il enlève dans sa camionnette une auto-stoppeuse, Henrieta Palusova, la drogue et la viole. La scène est filmée. Une seconde victime restera inconnue. Deux cassettes vidéo attestent des abus sexuels perpétrés, durant les étés 1994 et 1996, sur deux s£urs slovaques en villégiature à Sars-la-Buissière, Eva et Yancka Mackova. Droguées, celles-ci n’en gardent aucun souvenir.

A la veille des vacances d’été 1995, en fin d’après-midi, Julie Lejeune et Melissa Russo sont enlevées par Marc Dutroux et Bernard Weinstein, 44 ans, un truand français condamné par la cour d’assises de Pontoise à quinze ans de réclusion criminelle pour vol qualifié. Libéré après dix ans de prison, le Français s’est établi dans les quartiers dégradés de Charleroi. Dutroux embarque les petites filles, apparemment sans violence, à l’arrière d’un véhicule volé. Les fillettes seront retenues neuf mois à Marcinelle dans des conditions atroces, le plus souvent claquemurées dans la cache. Elles y étaient sans doute, encore, lors de la perquisition menée par le gendarme René Michaux, le 13 décembre 1995, lorsqu’il a cru entendre des cris d’enfants qu’il a attribués, après avoir réclamé le silence, à la rumeur de la rue.

Dutroux est comme possédé. Le 23 août 1995, il reprend sa chevauchée de la mort avec Michel Lelièvre. Direction, la côte belge. Ils enlèvent Eefje et An. Viols et privation de nourriture expliquent l’état effroyable de leurs restes, découverts dans le chalet de Bernard Weinstein, à Jumet. Les deux hommes s’en sont débarrassés au mois de septembre 1995. Trop rebelles, encombrantes. L’une d’elles, bâillonnée et la tête recouverte d’un sac en plastique, un emballage de Rohypnol coincé au niveau du pharynx, n’était pas décédée au moment de son inhumation. L’autre, qui avait tenté à deux reprises de s’enfuir, est littéralement morte de faim et de soif.

Incapable de mettre un frein à son tempérament violent quand l’argent est en jeu, Marc Dutroux attire l’attention de la police communale de Charleroi, au début du mois de novembre 1995, en cherchant à s’approprier sa part d’une rapine. Il drogue et enferme deux jeunes gens, Pierre Rochow et Philippe Divers, parce qu’il croit qu’ils l’ont  » doublé  » sur un vol de camion, ainsi que Bénédicte Jadot, leur amie. Weinstein est également repéré : c’est dans son chalet, à Jumet, que ces trois personnes ont été séquestrées. Planqué chez Dutroux, Weinstein devient une menace. Il en sait trop. Avant de l’éliminer, Dutroux l’endort avec des tartines bourrées de médicaments et le torture, dans la cache de Marcinelle, pour lui faire dire où se trouve son argent, quelque 700 000 francs reçus de sa mère. Il s’en débarrasse, à moitié mort, à Sars-la- Buissière, sous quatre mètres de terre. Son corps sera retrouvé en dessous de ceux de Julie et de Melissa. Le calvaire des petites filles est-il terminé à cette époque ? Impossible, pour les experts, de dater avec exactitude leur décès. Le couple Dutroux-Martin prétend qu’elles ont vécu encore trois mois, malgré les péripéties de la réincarcération du psychopathe.

En effet, l’affaire de Jumet a fait tomber la libération conditionnelle de Dutroux. Le 6 décembre 1995, il réintègre la prison de Jamioulx. Il a chargé sa femme de ravitailler les enfants retenues dans la cache. Le fait-elle ? Rien n’est moins sûr. Elle panique et se réfugie chez sa mère, à Waterloo, avec ses trois enfants. Néanmoins, elle se rend régulièrement à Marcinelle pour nourrir les molosses affamés qui montent la garde dans la maison. Contre la visite de cambrioleurs ou pour barrer la route aux malheureuses petites filles ? A sa sortie de prison (pour raisons familiales…), le 20 mars 1996, Dutroux dit les avoir découvertes mourant de faim et de soif. Leurs corps, réduits de moitié, sont décharnés. Julie serait morte la première, Melissa, quelques jours plus tard. Il les enterre au fond du jardin de Sars-la-Buissière, ligotées dans leurs sacs-poubelle.

Cela n’a pas suffi à l’enragé. Il continue d’éructer sa haine, ne tient pas en place. La disparition de Julie et de Melissa l’a  » traumatisé « , dit-il. Il faut qu’il reparte en chasse. Avec Michel Lelièvre, un paumé dont il a fait la connaissance en juillet 1995, il repère l’itinéraire matinal de Sabine Dardenne, entre son domicile et le collège de Kain. Le 28 mai, ils passent à l’action. Vélo bloqué par la camionnette, bras qui encercle la fillette pour la précipiter dedans, vélo qui suit, médicaments qu’elle recrache, ronronnement régulier d’un moteur sur l’autoroute, mise en place du conditionnement ( » Ton père nous a fait du tort… « ), ordre de se cacher dans un coffre métallique, arrêt et transport au premier étage de la maison de Marcinelle, nudité et chaînes, mise en scène avec Lelièvre pour accréditer la thèse de la demande de rançon par  » le chef « , un méchant qui règne sur les souterrains du quartier, viols, enfermement dans la cache. Pendant deux mois et demi…

Août 1996 : Dutroux s’empare de Laetitia Delhez, toujours avec l’aide de Lelièvre, qui lui doit de l’argent. A Marcinelle, il l’attache au lit, sans oublier, à peine rentré, de téléphoner à son épouse pour lui annoncer la nouvelle. Il présente Laetitia à Sabine, puis abuse d’elle. La chance a, pourtant, fini par tourner à Bertrix. Une équipe de magistrats et de policiers déterminés et deux témoignages capitaux (la description du mobile home et le début de sa plaque d’immatriculation) font jaillir de l’ordinateur de la gendarmerie le nom de Marc Dutroux. Le plus grand criminel sexuel de l’histoire de la Belgique contemporaine n’a plus, devant lui, que quelques jours de liberté. M.-C.R.

Marie-Cécile Royen

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