Du rêve à la réalité

Louis Danvers
Louis Danvers Journaliste cinéma

Entre vie réelle et roman-photo, Julie Lopes Curval charme et amuse avec un Toi et moi, où brillent Julie Depardieu et Marion Cotillard

Ringard et obsolète aux yeux de beaucoup, le roman-photo se vend et donc se lit encore abondamment. Ariane, une des deux s£urs héroïnes de Toi et moi, a d’ailleurs pour métier d’en écrire, transposant volontiers dans ses histoires sa propre vie amoureuse et celle de sa frangine Lena, laquelle est musicienne de profession. Très différentes en apparence (la douce et secrète Lena prend des airs tchékhoviens alors que la volubile et hyperactive Ariane semble sortie d’une comédie avec Shirley McLaine), les deux jeunes femmes ont en commun une difficulté certaine à faire rimer idéal affectif et réalité décevant leurs attentes. Ainsi Ariane aimerait-elle que son petit ami Farid endosse un rôle de prince charmant dont il ne veut pas, se dérobant à tout véritable engagement. Lena, en ménage avec François, s’ennuie pour sa part d’une authentique passion qu’un violoniste virtuose va lui faire soudainement miroiter.

 » Avec ce film, j’ai voulu m’interroger sur les acquis des femmes de ma génération, et sur ce que nous avons derrière nous : la mémoire de nos mères, de nos grand-mères, de ces femmes qui souvent sont restées à attendre une vie qu’elles n’ont pas vécue « , explique Julie Lopes Curval. La réalisatrice qu’on a découverte voici quelques années au Festival de Cannes, où son premier long-métrage Bord de mer lui valut la Caméra d’or, pense que,  » malgré la liberté gagnée, faire le bon choix est toujours délicat pour une femme, d’autant que nous trottent encore dans la tête des clichés du passé, des illusions pas encore dissipées parce que sans doute nécessaires : le rêve d’aimer, de partager un bonheur à deux, reste présent, je crois, en chacune de nous.  »

Eternel féminin

Avouant une tendresse particulière pour  » les choses désuètes « , Julie Lopes Curval s’est plu à mettre en scène elle-même un univers de roman-photo où évoluent les mêmes acteurs qui interprètent aussi la fiction de son film. Ces images fixes, outrées jusqu’au kitsch, elle les a très astucieusement semées dans le montage de Toi et moi, où leur contraste ludique avec les scènes réalistes est plus d’une fois fort savoureux. Elle a aussi progressivement  » infiltré  » les dialogues du film avec des formules dignes des phylactères du roman-photo, créant une contagion comique des plus réussies.  » L’humour, poussé parfois jusqu’au burlesque, est indissociable de mon approche des situations et des êtres, souligne la jeune réalisatrice, et ce, même si les thèmes abordés frôlent parfois, au fond, le tragique.  » Parler légèrement de choses graves, Julie Lopes Curval y parvient avec un vrai bonheur d’écriture et une mise en scène précise. Fort bien choisis, ses comédiens jouent le jeu avec un enthousiasme communicatif. La pétulante Julie Depardieu (Ariane) et la discrète Marion Cotillard (Lena) déclinent à merveille les variations d’un éternel féminin cadré tantôt de manière plaisante, tantôt avec des accents poignants. Leurs partenaires masculins voient leur palette nettement plus réduite, mais le Belge Jonathan Zaccaï n’en réussit pas moins une prestation remarquée dans le rôle du violoniste vedette avec lequel Lena vivra une expérience frustrante mais décisive.

 » J’espère que les hom-mes aussi seront réceptifs aux interrogations que les femmes de mon film se posent à propos de l’amour, la liberté, la quête de soi et le regard des autres, conclut la réalisatrice de Toi et moi, car eux-mêmes participent aux schémas ancestraux qui sont toujours visibles sous la surface des choses…  » S’il n’atteint aucun sommet, le film divertit tout en faisant entendre une différence bienvenue, celle d’une féminité assumant ses contradictions avec autodérision, drôlerie, mais aussi, par endroits, émotion.

Louis Danvers

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