Du fiel et du miel

CE FUT UNE CHARGE À LA MITRAILLETTE LOURDE. La formule qui tue juste ce qu’il faut pour hystériser la vie politique pendant quelques jours, distillée par des patrons flamands qui avaient orchestré magistralement leur com’. C’est Luc Bertrand, big boss du holding anversois Ackermans & van Haaren (qui ne paie que 0,016 % d’impôts, selon le PS), qui a lancé la première salve. Pour lui, pas de doute possible, comme il l’a déclaré au quotidien L’Echo, la Belgique est sous la coupe d’un gouvernement marxiste. Diable ! Un vilain coco sortant du bois rarement seul, on a vu poindre aussitôt dans son sillage deux compères, tout aussi flamingants bon teint, Bart Claes (JBC) et Julien De Wilde (ex-Bekaert). Rien que du beau monde pour s’inquiéter de notre avenir, pardon, de l’avenir de la Flandre. A les croire, le néocommunisme menace, l’appareil étatique mène à la ruine un pays qui vit un enfer fiscal. Car, hélas, nous ne le savions pas, mais Marx est de retour rue de la Loi.

L’art d’en faire trop. Car même en cherchant avec un zèle XXL dans tous les tiroirs, on peine à trouver dans le projet gouvernemental l’ombre d’un impôt qui frapperait les grosses fortunes, ou une tentative quelconque de nationalisation, de réactivation de la lutte des classes et de la dictature du prolétariat. Mais pourquoi donc une telle bronca inquisitoriale ?  » Soit leur position [NDLR : des trois hussards du libéralisme flamand] trahit un manque réel de la connaissance de la pensée marxiste, soit leur attaque contre Di Rupo Ier traduit simplement une volonté de frapper les esprits en recourant à l’anathème « , avance cette semaine, dans Le Vif/L’Express, le politologue Jean Faniel. Quelle imagination, tout de même ! Pour convaincre, nos trois lurons ont même triché avec la vérité historique et politique :  » A long terme, Karl Marx se disait même anti-étatiste : son idéal, c’était une société où il n’y aurait plus besoin d’Etat « , précise à notre magazine le Pr Jean-Luc De Meulemeester. Ultralibéraux jusqu’à la moelle, nos patrons venus du Nord ne se sont pas embarrassés de ce genre de  » petits détails « , seuls comptaient, en effet, l’objectif et le résultat.

L’objectif ? A la veille des élections communales, convaincre l’opinion publique flamande que le meilleur choix est bien la N-VA pardi, qui a su prendre habilement un virage économique conservateur ! Tapis rouge pour Bart De Wever ! Au détriment, bien entendu, de la coalition maudite de la rue de la Loi, ces traîtres du CD&V et de l’Open VLD qui ont pactisé avec l’ennemi. Entendez le parti socialiste. Pis, l’Etat socialiste qui aurait pris le relais de l’Etat CVP.  » La Flandre a voté à droite, elle a un gouvernement de gauche, avec un socialiste à la tête du gouvernement ; cela n’amuse pas du tout les gens qui y vivent « , notait au lendemain de l’accord de la Saint-Nicolas, Léopold Lippens, bourgmestre de Knokke. Un véritable camouflet, en effet !

Mais dans cette histoire, qui joue donc à quoi ? Ce pilonnage patronal flamand grossier ne repose-t-il pas, aussi, sur un soupçon de vérité ? Pour preuve, certains barons socialistes avec leur bréviaire bien usé et élimé.  » Depuis des années, la gauche n’a rien proposé de neuf et d’adapté à la modernité, elle s’est contentée de répéter des formules toutes faites « , accuse, dans Le Monstre doux (Gallimard), l’écrivain engagé Raffaele Simone. Bien des caciques aujourd’hui, tant à Bruxelles qu’en Wallonie, ne perçoivent-ils pas encore la réalité qu’à travers le prisme d’une idéologie à ranger plutôt au musée avec le rouet et la lampe à huile ? Bien éloignée, en tous les cas, de celle qui anime la génération pragmatique et qui se veut le fer de lance du plan Marchal.

Mais que l’on ne s’y méprenne pas. Si les saillies du Voka, qui verse carrément dans la politicaillerie, auront pour résultat de doper les voix du parti nationaliste flamand, elles sont tout bénéfice, aussi, pour Elio Di Rupo et son parti. Ah, les bienfaits de la martyrologie en pleine campagne électorale ! Du miel ! De quoi rendre jaloux bien des Calimero. Il suffit d’ouvrir son escarcelle et de regarder la cote de popularité grimper. Pour le Premier ministre, c’est du velours, cette campagne, du velours.

Ah ! les bienfaits de la martyrologie en pleine campagne électorale ! Du velours, cette campagne, du velours

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