Depuis que les procureurs de New York ont révélé les mensonges de la plaignante, l’affaire du Sofitel a pris une tout autre tournure. A moins d’un imprévisible coup de théâtre, beaucoup prédisent un abandon des charges contre Dominique Strauss-Kahn. Mais un autre dossier l’attend en France : la journaliste Tristane Banon a décidé de porter plainte. Elle s’explique au Vif/L’Express.

La vérité hantera peut-être toujours la luxueuse suite 2806 du Sofitel de New York, faute de procès, faute de victimeà  » présentable « . L’immigrante héroïque, la travailleuse bafouée par une figure du pouvoir mondial, menait en réalité une vie trouée de zones d’ombre. Après s’être acharnés contre  » le Perv « , le  » politicien pervers « , les tabloïds s’attaquent désormais à leur ancienne héroïne, carrément accusée de prostitution par le New York Post.

Les clichés se sont inversés le 30 juin, quand les procureurs ont publié une lettre officielle décrivant les doutes grandissants sur la personnalité de Nafissatou Diallo, son honnêteté et sa crédibilité. Ces informations ne venaient donc pas des avocats de Dominique Strauss-Kahn, pourtant soupçonnés, depuis des semaines, de chercher jusqu’en Guinée des informations compromettantes sur la plaignante.

Un combat de prétoire arbitré par l’opinion

Le revirement de Cyrus Vance Jr, le district attorney, patron des 500 procureurs du comté de New York, inquiet pour sa réélection en 2013, annonce une reddition probable. Nafissatou Diallo, décrite hier comme une Cosette musulmane, ne pourra pas affronter au tribunal celui qu’elle accuse de l’avoir violée : la défense de DSK aurait vite fait de pulvériser son témoignage. L’ancien patron du FMI pourrait donc bien remporter une victoire par forfait, illustrant sous son pire jour le système judiciaire américain. Dans ce combat de prétoire, arbitré par les vivats et les huées de l’opinion, le souci d’établir la vérité semble soudain secondaire.

Le camp de l’accusation s’est sabordé le 1er juillet. Il accorde à DSK le remboursement de la caution de 6 millions de dollars, et sa libération sur parole en raison de  » changements dans les circonstances de l’affaire « . Fin sourire du prévenu à l’issue de l’audience, et descente des marches du tribunal, au bras d’une Anne Sinclair fière et rayonnanteà Aucune des charges n’a été levée, mais la peur a changé de camp.

La plus belle plaidoirie de la journée a lieu ce jour-là hors du tribunal. Kenneth Thompson, l’avocat de la plaignante, furieux du discrédit jeté sur sa cliente par le parquet de New York, rappelle que les soupçons d’agression sexuelle n’ont toujours pas été démentis dans les faits. Et de revenir sur l’histoire, révélant que des photos prises à l’hôpital, le soir du 14 mai, montreraient des ecchymoses sur le vagin de la jeune femme, causées, selon Thompson, par les mains de l’agresseur. L’avocat souligne à nouveau les détails sordides de l’affaire. Le sperme craché par la présumée victime dans trois endroits de la suite du Sofitel, le collant en lambeaux, un ligament déchiré au niveau de l’épaule, blessure due au combat contre le présumé violeur.

Thompson dévoile aussi de tout nouveaux éléments. Ils contredisent des confidences de Ben Brafman. L’avocat de Dominique Strauss-Kahn avait assuré à la presse que DSK ne semblait ni nerveux ni préoccupé, le 14 mai, en sortant vers midi et demi de l’hôtel pour rejoindre sa fille dans un restaurant, avant de gagner l’aéroport.

A entendre Thompson, les réceptionnistes du Sofitel ont été frappées par la mine tendue de Strauss-Kahn, qui n’avait même pas réalisé qu’il portait une large trace de dentifrice sur sa lèvre supérieure.  » Nafissatou Diallo reste la victime d’un viol, quand bien même elle aurait commis des erreurs « , insiste l’avocat. En vain. Les  » erreurs  » priment, car elles sont de taille.

Un seul des mensonges décrits dans la lettre des procureurs concerne directement les allégations de viol au Sofitel. Il n’en est pas moins troublant. La femme de chambre a longtemps raconté qu’après s’être échappée de la suite, elle s’était réfugiée, traumatisée, dans un recoin du couloir d’où elle avait vu DSK rejoindre l’ascenseur. La mémoire de sa carte électronique révèle qu’en fait elle est immédiatement allée faire le ménage dans une autre chambre de l’étage, puis qu’elle est revenue nettoyer la suite 2806, désormais vide. Avant de rencontrer sa supérieure hiérarchique dans le couloir, et de lui raconter son histoireà Ce zèle professionnel relevait-il de l’égarement d’une femme traumatisée ? Ou dément-il le scénario d’une agression sexuelle ?

 » Nafi  » n’en est pas à sa première approximation. Ainsi, cette mère d’une adolescente de 15 ans a un peu grugé le fisc en déclarant qu’elle avait un deuxième enfant à charge. Surtout, sa demande d’asile politique, établie en 2004, recèle un tissu d’affabulations. Ken Thompson assure que sa cliente a spontanément avoué aux enquêteurs qu’elle n’avait pas subi de persécutions politiques en Guinée. Elle a aussi reconnu qu’elle n’avait pas, comme elle le prétendait, été victime d’un viol collectif par un groupe de soldats dans son pays d’origine. Ce mensonge-là allume tous les signaux d’alarme du parquet de New York. Une fausse plainte, dans le passé d’une femme qui se dit victime d’une agression sexuelle, constitue l’anathème devant un jury.

Il y a bien pire : la femme de chambre avoue bientôt qu’en 2004 elle avait répété pendant des semaines, avec l’aide d’une cassette audio fournie par un ami, le récit déchirant des sévices sexuels qu’elle prétendait avoir subis en Afrique, réussissant à émouvoir aux larmes les rudes agents de l’immigration américaine. Pour les procureurs, abasourdis, le procès est devenu impossible.

Des dépôts en liquide de 100 000 dollars en deux ans

Le soupçon d’une manipulation, d’une simulation vicieuse, entache jusqu’aux prémices de l’affaire ; car le 14 mai 2011, découvrant dès leur arrivée au Sofitel une femme de chambre en sanglots, tremblante et traumatisée, les policiers, pour certains l’£il humide, n’avaient pas hésité une seconde à la croire. Profitant d’un coup de chance – un appel à l’hôtel de DSK, qui pensait avoir oublié son portable dans sa chambre -, ils l’avaient localisé à l’aéroport et extirpé de son avion en partance.

La désillusion ne s’arrête pas là. Les enquêteurs du bureau du district attorney ont présenté à la femme de chambre ses relevés bancaires montrant des dépôts en liquide, effectués à partir de trois Etats, pour un total de 100 000 dollars en deux ans. Elle assure tout ignorer de ces sommes. Certains mouvements de fonds proviennent d’Arizona, où un Guinéen, identifié comme un ancien petit ami, est aujourd’hui incarcéré pour avoir importé 200 kilos de marijuana. Depuis sa prison, il a eu une conversation téléphonique avec Nafissatou Diallo moins de deux jours après l’affaire du Sofitel. Leurs propos, en fulani, un dialecte guinéen, ont été enregistrés et leur traduction transmise aux procureurs le 29 juin. Dans un extrait de l’appel publié dans le New York Times, la jeune femme assure à son interlocuteur :  » Je sais ce que je fais  » et :  » Ce type a beaucoup d’argent « . Signe d’un complot, ou d’un espoir de dommages et intérêts pour des violences avérées ?

Ken Thompson, lui, affirme que rien dans ces paroles n’infirme la bonne foi de sa cliente.  » Son récit du viol, ce jour-là, était-il, dans le moindre détail, différent de ce qu’elle a raconté à la police et au grand jury qui a décidé de l’inculpation de Strauss-Kahn ? a-t-il demandé à un procureur qui venait de lire le script. Il m’a dit non ! « 

La jeune femme peut-elle dire la vérité ? La question n’a plus de sens.  » En vingt ans de service, il m’est arrivé de renoncer à risquer un procès quand le seul témoin d’un crime n’avait, à mon avis, aucune chance de convaincre des jurés, reconnaît une ancienne procureure de la région de New York. Mais je n’ai jamais assisté à une telle campagne de dénigrement d’une victime par des représentants de l’autorité judiciaire. Jamais. « 

Préparer les esprits à la levée imminente des poursuites

Les fuites torrentielles au New YorkTimes, porte-avions de toutes les grandes man£uvres politiques de la mégalopole, les confidences anonymes mais détaillées de policiers et de gradés du parquet ne décrivent que les travers de la victime supposée, jamais les preuves à charge, comme les examens médico-légaux susceptibles de prouver des violences. Cette stratégie de repli médiatique, de terre brûlée même, de Cyrus Vance semble préparer l’opinion à la levée imminente des poursuites. Elu en 2009, le fils de l’imposant ministre des Affaires étrangères de Jimmy Carter ne peut se permettre un nouveau procès-fleuve promis au fiasco, quelques mois après une série de cinglants ratages : l’acquittement d’entrepreneurs accusés de négligence criminelle lors d’un incendie qui a coûté la vie à deux pompiers ; le refus, par un grand jury, faute d’éléments de preuves suffisants, de prononcer l’inculpation de deux suspects de terrorisme. Enfin, et surtout, la relaxe en mai, après deux mois de vaines plaidoiries et la présentation de quelque 35 témoins par ses procureurs, de deux policiers soupçonnés du viol d’une femme saoule, qu’ils avaient aidée à rentrer dans son appartement. Les jurés n’étaient pas dupes, mais ne pouvaient pas les déclarer coupables. Aucune trace d’ADN n’incriminait les accusés, qui avaient vraisemblablement utilisé des préservatifs ; surtout, la victime était un piètre témoin ; trop ivre cette nuit-là pour se souvenir de détails probants ; indigne de confiance, aussi, pour les femmes jurées, souvent suspicieuses envers les plaignantes dans les affaires de viol.

La notion de  » mauvaise victime  » irrite pourtant au plus haut point les procureurs de la Sex Crimes Unit, une section pour moitié occupée par des femmes procureures, qui traite d’ordinaire des crimes sexuels à Manhattan. Coleen Balbert, sa directrice adjointe, a ainsi récemment obtenu la condamnation à quize ans de réclusion du violeur d’une prostituée, et sa patronne, Lisa Friel, chargée des poursuites contre DSK pendant la semaine suivant son arrestation, avait, depuis des années, consacré ses rares interviews à convaincre l’opinion qu’une femme violentée, fût-elle trafiquante de drogue, reste une victime. Coïncidence, elle a quitté la maison le 30 juin, le jour du désaveu de Nafissatou Diallo.

Discréditée, mais victime quand même ? Devant la Cour de justice de New York, Cyrus Vance a rappelé, avec une surprenante fermeté, que les charges pesant sur DSK tenaient toujours. Laisserait-il la porte ouverte à une autre stratégie ? Selon certains juristes, l’accusation pourrait ne recourir à Nafissatou Diallo que pour corroborer des éléments objectifs (analyses médicales, éventuels témoignages). La menace de sanctions graves pour faux témoignage serait alors la seule garantie de véracité des propos de la jeune Guinéenne. L’option est ténue, mais c’est la seule chance, pour les procureurs de New York, d’éviter le fiasco.

DE NOTRE CORRESPONDANT PHILIPPE COSTE

Le soupçon d’une manipulation entache jusqu’aux prémices de l’affaire

« Je n’ai jamais vu une telle campagne de dénigrement d’une victime »

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