Don Giovanni ressuscité

Si beaucoup ont vu Don Giovanni, le long-métrage de Joseph Losey, personne ne l’a jamais bien entendu. C’est que ce film n’était pas seulement le premier opéra à avoir les honneurs d’une grosse production pour le grand écran : en 1979, il essuyait également les plâtres du Dolby Stéréo en Europe. Or, malgré les conseils que prodigua l’inventeur du système en personne, Ray Dolby, à l’ingénieur du son Jean-Louis Ducarme, qui vint le consulter à Londres, rien n’y fit. L’enregistrement des chants à l’église Notre-Dame-du-Liban, à Paris, si soigné fût-il, se heurta au mixage. Car, si le principe du Dolby Stéréo, qui consiste à  » cerner  » le spectateur avec du son sur les côtés, au centre et derrière lui, faisait des merveilles avec La Guerre des étoiles, retransmettre fidèlement et harmonieusement les voix de Ruggero Raimondi, de Kiri Te Kanawa, de José Van Dam ou de Teresa Berganza était autrement compliqué.

A la suite d’un insoluble problème technique, le son se diffusait à droite et à gauche, mais non au centre de la salle de cinéma. Le résultat fut à ce point décevant que l’administrateur général de l’Opéra de Paris, Rolf Liebermann, initiateur du projet avec le producteur Daniel Toscan du Plantier (ils voulaient  » démocratiser  » l’opéra), sortit furieux de la première projection, tandis que Ruggero Raimondi parla de bloquer la sortie du film. Pour la peine, la copie repartit trois fois au mixage, en Angleterre. Après quoi, le long-métrage sortit malgré tout, grandiose mais imparfait.

2001. Le DVD est un passage obligé pour tous les classiques. Et Don Giovanni en est un. Gaumont, qui a produit le long-métrage, veut créer l’événement. La société attendra quatre ans avant de le concrétiser. Le temps que Thibault Carterot et ses collègues de M 141 Productions, concepteurs de DVD, retrouvent les enregistrements originaux. Après moult fausses pistes, la recherche aboutit à un abri antinucléaire, à deux heures de New York, où sont stockées les archives de CBS, éditeur de la bande originale. Afin d’ôter l’humidité de celle-ci, il faudra la passer pendant quarante heures dans un four spécial. Puis la remixer encore et encore, l’adapter à l’image, qui, elle, aura été restaurée à la palette numérique… Un travail de fourmi, filmé du début à la fin, qui constituera l’un des nombreux bonus du coffret. Parmi les autres, un documentaire exceptionnel retraçant l’histoire épique et abracadabrante du long-métrage, proposé d’abord à Patrice Chéreau, qui considéra (et, au vu de son commentaire dans le DVD, considère encore) le projet comme une aberration. Mauvaise foi. Ou mauvaise ouïe, car cette fois, c’est sûr, le son est bon. Mozart peut reposer sur ses deux oreilles.

Christophe Carrière

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