Plus que d'une adaptation, c'est un seul-en-scène d'" évocation " que proposera Eric De Staercke cet été. © DEL Diffusion

Dingos d’Hugo

Un été à Villers-la-Ville sans spectacle dans les ruines de l’abbaye, ce n’était pas concevable. La grosse production Lucrèce Borgia est reportée à l’année prochaine, mais Victor Hugo sera présent grâce à l’hommage d’Eric De Staercke à Notre-Dame de Paris, roman immortel aux innombrables adaptations.

Au départ, c’était conçu comme une pub. Une promotion du roman. En 1990, Eric De Staercke, alors jeune comédien, répétait avec le metteur en scène Jacques Vialat La Serrure, de Jean Tardieu, une pièce courte pour laquelle ils cherchaient un complément à proposer en soirée composée.  » On cherchait, mais on ne trouvait pas, se rappelle Eric De Staercke. Jusqu’au moment où Jacques me demande ce que je lis en ce moment et que je sorte de mon cartable Notre-Dame de Paris. Il ouvre sa veste et en sort lui aussi le roman. On a commencé à en discuter. Pendant les pauses, on ne pouvait pas s’empêcher de parler de Notre-Dame de Paris. On était tellement amoureux du livre que, finalement, Jacques a proposé qu’on le monte. Notre idée, c’était de transmettre ce message au public : lisez le bouquin, il est extra- ordinaire !  »

Ce qui est génial chez Victor Hugo, c’est que le bien et le mal se mélangent. C’est d’une modernité incroyable.

En 1991, Eric De Staercke a à peu près le même âge qu’Hugo où moment où il s’attelle à Notre-Dame, publié en 1831.  » Il faut imaginer que ce n’était pas du tout un vieux barbu qui a écrit ça, mais un jeune gars, imberbe, dynamique. Hugo avait un journal dans lequel il tenait le compte de toutes ses relations sexuelles et intimes et qui permet de comprendre à quel point le personnage est haut en couleur. Aujourd’hui, il aurait un #MeToo toutes les deux secondes, mais c’était une autre époque.  »

A l’origine de Notre-Dame, il y a une commande de l’éditeur d’Hugo, Charles Gosselin, qui est aussi le traducteur de l’écrivain écossais Walter Scott.  » Les romans historiques de Walter Scott étaient des best-sellers à l’époque, retrace Jean-Marc Hovasse, docteur en lettres et spécialiste de Victor Hugo, au sujet duquel il a écrit une solide biographie (1). Il se vendait beaucoup plus que les auteurs français. Gosselin avait senti chez Hugo un potentiel Walter Scott français.  » Victor Hugo choisit de situer l’action de son roman en 1482, année qui ne correspond à aucun événement historique majeur, mais qui se situe à la charnière entre le Moyen Age et la Renaissance. Et il choisit de prendre pour décor la cathédrale de Notre-Dame de Paris, qui menace alors de tomber en ruine et dont la décrépitude n’intéresse pas grand monde.  » Hugo était préoccupé par la sauvegarde du patrimoine en général, précise Jean-Marc Hovasse. Ce n’était pas son but premier en écrivant le roman, mais il n’empêche qu’il en parle dès la préface, qu’il ajoute en 1832. Il a aussi publié quasiment en même temps un pamphlet très efficace, Guerre aux démolisseurs, contre l’abandon des monuments. On a beaucoup parlé du pamphlet, mais ce qui a sauvé la cathédrale, c’est le roman. L’effet a été radical.  » Notre-Dame bénéficiera d’importants travaux de rénovation, menés entre 1844 et 1864 par l’architecte Viollet-le-Duc.

Un accent historique

Pour ce seul-en-scène (2), Eric De Staercke se transforme en conférencier, orateur non conventionnel, iconoclaste, prêt à toutes les digressions et à toutes les anecdotes croustillantes pour aiguiser la soif de lecture de son auditoire, passant d’extraits du roman (70 % du texte de son monologue, estime le comédien) à l’évocation de la vie d’Hugo, et sautant d’un personnage à l’autre. Esméralda, Quasimodo, Frollo, Gringoire, Phoebus… Ils sont tous là, avec leurs paradoxes et leur ambivalence.  » Ce qui est génial chez Victor Hugo, c’est que le bien et le mal se mélangent. C’est d’une modernité incroyable, s’enthousiasme le comédien. Jacques disait que c’est comme si on prenait un conte de fées où tout était mélangé. Il y a une belle princesse, Esméralda, mais elle est bête à bouffer du foin. Il y a un prince charmant, Phoebus, qui est effectivement charmant mais qui est aussi une crapule finie. Il y a un monstre, Quasimodo, qui est courageux, qui a toutes les qualités humaines. Il y a l’homme d’Eglise, qui devrait normalement incarner la morale, qui a sauvé Quasimodo et a donc fait preuve de charité chrétienne, mais en même temps, c’est un pervers immonde, lubrique. Il n’y a pas de manichéisme. Hugo nous parle de l’humanité telle qu’elle est.  »

C’est pour cette raison qu’Eric De Staercke, parmi la flopée d’adaptations que le roman a suscitées – du film de Jean Delannoy de 1956 avec Anthony Quinn et Gina Lollobrigida à la comédie musicale où se côtoyaient Hélène Ségara, Garou, Daniel Lavoie et Patrick Fiori en passant par la version de Patrick Timsit et l’opéra composé par Louise Bertin sur un livret écrit par Hugo lui-même -, déteste par-dessus tout celle des studios Disney en 1996.  » Pour moi, c’est la honte totale. Ici, comme il ne faut pas toucher à l’Eglise, Claude Frollo n’est plus un archidiacre mais un juge. Le prince charmant est charmant. Et, à la fin, Esméralda part avec Phoebus et il ne reste plus à Quasimodo qu’à monter tout seul se masturber dans les tours de Notre-Dame. Pour moi, c’est impardonnable et filer ça à nos enfants, c’est une horreur. Si on a monté ce spectacle, c’est aussi, je crois, parce que nous avions une frustration par rapport à toutes ces adaptations qui sont toujours réductrices, où il manque toujours quelque chose, où on fait l’impasse sur un tas d’aspects géniaux du bouquin.  »

Plus que d’une adaptation, on parlera plutôt pour ce seul-en-scène d' » évocation « . Une évocation qui, dans le cadre de l’abbaye de Villers, prendra un accent historique particulier, puisque les ruines reçurent plusieurs visites de l’illustre écrivain. Ce que Jean-Marc Hovasse confirme :  » Hugo était venu en Belgique pour le banquet que ses éditeurs belges lui offraient à Bruxelles pour la sortie des Misérables. A cette occasion, il avait passé quelques jours à Villers-la-Ville. Il a écrit un poème assez connu, Dans les ruines d’une abbaye, publié dans le recueil Les Chansons des rues et des bois, et l’on sait que c’est de Villers-la-Ville qu’il s’agit.  » Les vieilles pierres ont résonné des pas d’Hugo, elles font aujourd’hui retentir ses mots.

(1) Victor Hugo, par Jean-Marc Hovasse, biographie en deux tomes, Fayard, 2001 et 2008.

(2) Notre-Dame de Paris : du 15 juillet au 30 août à l’abbaye de Villers-la-Ville ; le 14 août à l’hôpital Notre-Dame à la Rose à Lessines ; le 21 août à Silly dans le cadre du festival Théâtre au vert.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire