D’Hugo à Cobra,Bruxelles s’affiche rebelle

D’Hugo à Hergé, de Van Gogh à Jacques Brel, du Groupe des Vingt au mouvement Cobra, c’est à une véritable odyssée culturelle bruxelloise que nous convie la nouvelle exposition du musée des Lettres et Manuscrits. Rencontre avec son conservateur, Jean-Christophe Hubert.

Important foyer culturel au XIXe siècle, les galeries royales Saint-Hubert constituent l’écrin prestigieux de cette nouvelle exposition du musée des Lettres et Manuscrits, qui atteint sa vitesse de croisière. A travers un parcours chronologique et kaléidoscopique se dégage le portrait sans retouches d’une capitale culturelle rebelle et frondeuse dans l’âme, rétive aux académismes et accueillante aux avant-gardes les plus audacieuses. A découvrir…

Le Vif/l’Express : La nouvelle exposition du MLM couvre des thématiques et des périodes très vastes, de Victor Hugo à Magritte, du Groupe des Vingt au mouvement Cobra. Quel en sera le fil conducteur ?

Jean-Christophe Hubert : A travers le parcours chronologique de l’exposition, qui commence avec les exilés célèbres du XIXe siècle et se termine à l’orée des années 1950-1960, on a souhaité mettre l’accent sur le côté rebelle, voire carrément révolutionnaire du Bruxelles culturel de ces époques. Lorsque Victor Hugo arrive dans la capitale en 1852, il y rédige Napoléon le petit, son fameux pamphlet contre le futur Napoléon III. Un peu plus tard, et dans un tout autre contexte, le Groupe des Vingt va lui aussi privilégier l’avant-garde, à rebours de l’académisme qui régnait dans les grands salons de l’époque. On retrouve donc cette idée de contestation d’un ordre établi, qu’il soit politique ou culturel.

Un fil rouge qui s’applique également aux mouvements surréaliste et Cobra, présents dans l’exposition ?

Tout à fait. Ces mouvements constituent eux aussi des  » insurrections  » contre un certain académisme. L’exposition montre que Bruxelles a toujours été un grand foyer contestataire et d’avant-garde, avec cette mentalité extrêmement ouverte sur les mouvements novateurs. Cela crée par exemple un terreau propice à l’éclosion du Groupe des Vingt, emmené par Octave Maus à partir de 1883, mais aussi du surréalisme et du mouvement Cobra.

Siège du musée des Lettres et Manuscrits, les galeries royales Saint-Hubert furent aussi un haut lieu littéraire au XIXe siècle. Quels aspects en seront présents dans l’exposition ?

De nombreux documents évoqueront ce lieu emblématique du XIXe siècle bruxellois. Que l’on songe par exemple au couple mythique que Victor Hugo formait avec son égérie, Juliette Drouet. Celle-ci logeait dans la galerie des Princes, à l’emplacement d’une célèbre librairie bruxelloise. Lors de son exil à Bruxelles, Hugo, qui habitait une maison sur la Grand-Place, n’avait pas un long chemin à parcourir pour rejoindre sa maîtresse. Le public pourra découvrir une bonne partie de la correspondance entre ces deux amants légendaires. L’exposition évoquera aussi le mouvement de la Jeune Belgique, animé notamment par Emile Verhaeren, dont les réunions se tenaient à l’endroit qui est maintenant devenu le  » Mokaffé « . L’orageuse relation entre Rimbaud et Verlaine sera également évoquée. L’auteur des Poèmes saturniens avait acheté le revolver avec lequel il tira sur Rimbaud chez un armurier de la Galerie royale. Au Café de la Renaissance, devenu la Taverne du Passage, l’on pouvait croiser les  » stars  » littéraires de l’époque : Hugo, déjà cité, mais aussi Alexandre Dumas, Baudelaire ou Apollinaire…

Chose assez peu connue, la prodigieuse aventure du cinéma est quasi née dans ces mêmes galeries bruxelloises.

Effectivement, c’est en novembre 1895, près de six mois après leur projection historique de Lyon que les frères Lumière choisissent les Galeries royales pour la toute première séance officielle de cinématographe. Le public pourra aussi découvrir plusieurs documents qui font référence à cet événement.

Autre facette de l’exposition, l’aventure du Groupe des Vingt, ces artistes d’avant-garde, emmenés notamment par James Ensor, Théo Van Rysselberghe et Fernand Khnopff. Quels aspects de cette révolution picturale le public pourra-t-il découvrir ?

L’influence de ce mouvement ne s’est pas limitée à la Belgique. Van Gogh est leur invité au Salon de 1890. Il y présentera des £uvres majeures telles que Les Tournesols ou La Vigne rouge qu’il a réalisée à Arles. Son ami le peintre Eugène Boch va l’aider à préparer cette exposition bruxelloise et la s£ur de ce dernier, Anna, achètera La Vigne rouge, la seule £uvre qu’il parviendra à vendre de son vivant. Quelques mois plus tard, Van Gogh se suicidera. Pour lui rendre hommage, le Groupe des Vingt décidera d’organiser une rétrospective l’année suivante et le mettra sur l’orbite d’une célébrité qui ne se démentira plus.

Franchissons l’espace de quelques années avec le mouvement surréaliste de l’entre-deux-guerres à Bruxelles. Beaucoup de choses ont déjà été vues à ce sujet. Que pourra-t-on encore découvrir d’inédit ou de rare ?

Entre autres, une bonne partie de la correspondance manuscrite de Magritte que l’on n’a, je pense, jamais vue sous un tel angle. Il y explique sa démarche picturale, ses conceptions et notamment la notion d’  » étincelle surréaliste « . Autour de personnalités aussi fortes que celles de Magritte, Paul Nougé ou Camille Goemans, les surréalistes bruxellois tiennent la dragée haute à leurs homologues français et ne se laissent pas damer le pion par le  » pape  » André Breton. L’exposition fait largement allusion, via leur correspondance, à cette émancipation.

Outre la correspondance, l’on pourra aussi admirer le magnifique portrait d’Irène Hamoir, l’une des égéries du groupe surréaliste, dessinée par René Magritte.

Ce sera effectivement l’une des pièces maîtresses de l’exposition. Elle-même poétesse et romancière, Irène Hamoir était une figure centrale du surréalisme belge. On pourra découvrir une partie de sa correspondance, notamment avec son mari Louis Scutenaire, qui l’évoque régulièrement dans ses Inscriptions.

Autre chapitre de l’exposition, le Bruxelles de Brel. Ici aussi, on a envie de savoir ce que l’on pourrait bien encore découvrir ?…

Des documents tout à fait inédits ! Tout d’abord, des archives qui datent du début de sa carrière, au moment où il quitte Bruxelles pour aller chanter à Paris, aux Trois Baudets, notamment. On pourra aussi admirer des manuscrits vraiment exceptionnels, comme ceux des chansons Mathilde ou encore un cahier à spirales qui contient le manuscrit complet d’Amsterdam. Il y aura aussi une série de photos très rares où on le voit en train d’écrire les textes de ses chansons, souvent debout. Un troisième volet concernera ses tournées en Belgique, avec ses calendriers. Et aussi son journal intime où il évoque les affres de sa dernière et épuisante tournée de 1966, où l’on trouve cette phrase magnifique :  » Je ne sais faire qu’une seule chose, c’est aimer, mais ne pas le dire. « 

L’exposition se clôt avec l’aventure du groupe Cobra. Ici aussi, on est sous le signe du pied de nez aux évidences et à l’académisme.

On est vraiment très heureux d’avoir pu rassembler les publications complètes éditées par le groupe Cobra et même celles qui concernent la genèse du mouvement. On pourra suivre toute l’évolution de ce mouvement au fil de ses trois années d’existence (1948-1951). Cette section s’achève avec le dernier numéro de la revue Cobra, qui sera piloté par le Bruxellois Pierre Alechinski, où il annonce la fin de la publication à cause des dissensions devenues trop fortes au sein du groupe. On découvrira aussi le côté très militant de Cobra, avec des tracts ou des documents surprenants, imprimés avec de très faibles moyens. Et bien sûr, de nombreux dessins signés des grands noms du mouvement : Karel Appel, Constant, Christian Dotremont et Asger Jorn.

De Victor Hugo à René Magritte… Bruxelles, capitale des Arts, 1, galerie du Roi, à Bruxelles. Jusqu’au 15 juillet 2012. Du mardi au dimanche, de 10 à 19 heures. www.mlmb.be

PROPOS RECUEILLIS PAR ALAIN GAILLIARD

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