Dexia Le fidèle soldat Mariani

Appelé en urgence en 2008 pour sauver l’établissement franco-belge, ce proche de Nicolas Sarkozy a rempli sa mission. Et prépare déjà la suite. Portrait d’un banquier très politique.

Notte e giorno faticar/Per chi nulla sa gradir/Piova et vento sopportar/Mangiar male e mal dormir.  » En cette fraîche soirée de printemps, journalistes européens et banquiers turcs voguent sur les flots calmes du Bosphore. Le propos ? Evoquer DenizBank, la florissante filiale turque de la beaucoup moins vaillante banque franco-belge Dexia. Pourquoi, en guise de discours, Pierre Mariani, patron de cette dernière, déclame-t-il l’ouverture de Don Giovanni ? Comme Leporello, le fidèle valet de l’opéra de Mozart, a-t-il le sentiment, de  » travailler jour et nuit, et de n’en tirer nulle reconnaissance « , lui qui, depuis deux ans et demi, s’échine à colmater les brèches d’un établissement qui prend l’eau de toutes parts ? On ne le saura pas : bien que méditerranéen, corse par son père et italien par sa mère, l’homme n’est pas du genre à s’épancher. Pas plus qu’il ne confiera comment le président de la République, son ami, a su le convaincre de monter dans cette galère.

Sarkozy l’embauche sans le voir

C’est à la fin de septembre 2008 que tout s’est joué. A 52 ans, Mariani, responsable de la banque de détail à l’international chez BNP Paribas, est l’un des dirigeants qui montent au siège de la première banque française. Il reçoit un coup de fil de Nicolas Sarkozy, qui lui demande (enjoint ?) de prendre la tête de Dexia. Quelques jours plus tôt, le mastodonte américain Lehman Brothers a fait faillite, provoquant un mouvement de panique dans le système financier international. Dexia, la paisible banque des communes, est à son tour au bord du gouffre, transformée en casino financier après des investissements risqués, aux Etats-Unis notamment. Et les dégâts sont tels qu’elle pourrait emporter avec elle une partie de l’industrie bancaire européenne. Michel Pébereau, le puissant président du conseil de BNP Paribas, essaie bien de retenir Mariani ( » Vous faites une grosse erreur « ), mais rien n’y fait.  » Il s’agissait d’un sujet d’intérêt public, témoigne le quinqua, pur produit de la méritocratie [NDLR : une mère enseignante et un père commissaire de police], dont le visage sérieux s’anime parfois d’une lueur enfantine. Le président a su trouver les mots pour me convaincre. « 

Homme de devoir, Mariani est aussi un homme de fidélité. Cela fait plus de quinze ans qu’il fait partie des proches de Nicolas Sarkozy. Depuis ce jour de 1993 où un certain Brice Hortefeux appelle le brillant inspecteur des finances, également diplômé de HEC, pour lui proposer de diriger le cabinet du nouveau ministre du Budget. Il se rend à Neuilly afin de rencontrer son futur patron, mais celui-ci est déjà parti retrouver Edouard Balladur à son QG parisien. Sarkozy l’embauche sans le voir et lui donne rendez-vous le soir même pour démarrer :  » On me dit que vous êtes le meilleur, mais que je ne dois pas vous prendre parce que vous êtes ambitieux, lui assène-t-il. Je vous prends quand même. « 

Suivent deux années intenses, qui ont marqué ceux qui les ont vécues : autour de Mariani, on retrouve, entre autres, Didier Banquy, aujourd’hui directeur de cabinet de François Baroin au Budget, Alexandre de Juniac, actuel  » dir cab  » de Christine Lagarde à Bercy, Bruno Gibert, associé au cabinet d’avocats Francis Lefebvre. Et aussi Frédéric Oudéa, désormais patron de la Société générale, Frédéric Lefebvre, secrétaire d’Etat au Commerce, ou encore Philippe Braidy, président de CDC Entreprises.  » Mariani était à la fois très sympa et très exigeant, raconte son ami Bruno Gibert. Je me souviens de l’avoir croisé un soir à la sortie de son bureau, vers 23 heures, plus tôt qu’à son habitude. Il m’a lâché en plaisantant à moitié : « Je prends mon après-midi ».  » Il est un des rares à pouvoir dire crânement ce qu’il pense au ministre du Budget, un rôle qu’il conservera auprès du président de la République. Les hauts et les bas du balladurisme les ont rapprochés. Même s’ils se voient moins fréquemment, Mariani continue à alimenter les réflexions de l’hôte de l’Elysée sur la régulation financière et l’économie. Sans le clamer partout sur la place de Paris.

Arrivé chez Dexia en pompier, Mariani compose un attelage improbable mais efficace avec Jean-Luc Dehaene, nommé président du conseil d’administration. Les deux hommes découvrent une situation désastreuse. Les précédents dirigeants ont complètement laissé dériver Dexia, accumulant notamment des milliards de pertes via la filiale FSA, basée à New York. Les chiffres révélés récemment par la banque centrale américaine, la Fed, donnent le tournis : Dexia a été le plus gros consommateur de ses prêts d’urgence à l’automne 2008, empruntant certains jours plus de 33 milliards de dollars !

1 milliard d’euros de bénéfices en 2010

Mariani doit parer au plus pressé : céder FSA, obtenir le soutien de la France, de la Belgique et du Luxembourg, négocier l’aval de la Commission européenne pour cette aide publique. Il constitue une task force, avec notamment Alexandre Joly (recommandé par un ami commun, l’économiste Nicolas Baverez) à la stratégie, Philippe Rucheton aux finances, et les consultants de Bain & Company.  » Avec la Commission, on a négocié à la corse, un fusil sur la table, rigole Joly, 39 ans, ancien de l’Inspection des finances… et lui-même un quart corse. C’était nécessaire pour obtenir que Dexia ne soit pas démantelée.  » Mission accomplie ? Aujourd’hui, même si certains doutent de la viabilité de son business model, de plus en plus dépendant de ses activités turques (elles représentaient, en 2010, 39 % de ses bénéfices avant impôt), Dexia va un peu mieux. Après avoir dégagé 1 milliard d’euros de bénéfices l’année passée, elle a présenté cette semaine des résultats trimestriels positifs.

La tâche de Mariani est rude, mais elle ne relève pas pour autant du sacerdoce : son salaire fixe atteignait en 2010 1,2 million d’euros, contre 825 000 euros pour son prédécesseur. Auquel s’est ajouté un bonus de 600 000 euros. Le 22 février dernier, le patron de Dexia recevait la Légion d’honneur des mains du président de la République. Pour services rendus.  » Sarkozy a évoqué devant les parents de Pierre, l’éducation exemplaire qu’ils lui avaient donnée, rapporte un témoin. Il a également remercié Michel Pébereau de l’avoir laissé partir. « 

Et demain ? Mariani ne le dit pas, mais il ne restera sans doute pas indéfiniment dans une maison aux horizons limités. Son nom avait déjà circulé, en novembre 2010, pour succéder à Claude Guéant au secrétariat général de l’Elysée puis chez BNP Paribas, où son retour a été démenti par le directeur général, Baudouin Prot. A la mi-avril, il a dîné à Bercy avec Brice Hortefeux, Frédéric Lefevbre, Philippe Braidy, Alexandre de Juniac et Bruno Gibert. Simples retrouvailles d’anciens combattants ou reconstitution de ligue dissoute, toujours au service du même héros ? Réponse dans un an, au plus tard.

BENJAMIN MASSE-STAMBERGER

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