Dette L’électrochoc européen

Le monde a salué l’accord du 21 juillet pour sauver la Grèce et éviter de mettre en péril la zone euro. Mais il faudra plus qu’un paquet de mesures techniques pour sortir de la crise.

Après des heures de négociation, ils n’ont pas pris la peine de se prêter à la traditionnelle photo de famille. Trop épuisés. Jeudi 21 juillet, à Bruxelles, les 17 chefs d’Etat et de gouvernement affichaient tout de même un sourire de satisfaction. Oubliée, la cacophonie des dernières semaines ! Dépassées, les divergences ! De Francfort à Milan, les marchés boursiers ont salué leur détermination : un coup de chapeau à la hauteur de la menace qui pesait, ces jours-ci, celle d’un écroulement de la zone euro.  » Ce rebond des places financières, c’est d’abord un grand ouf de soulagement « , constate, lucide, un analyste.

Le répit risque d’être, en effet, de courte durée. Car les problèmes de fond demeurent – économiques, institutionnels, politiques. A l’heure où les coureurs du Tour de France bataillaient entre les cols d’Izoard et du Galibier, les Dix-Sept songeaient déjà aux prochaines étapes. Cette victoire n’en est pas moins appréciable. Si le plan adopté risque à l’avenir de se révéler insuffisant, il a le double mérite de ne pas laisser sombrer la Grèce et de gagner du temps. A l’inverse des Américains, lâchant Lehman Brothers en 2008, les Européens n’ont pas voulu tenter le diable. Faute de compromis, la débâcle des marchés était assurée et l’avenir de l’euro, en péril.

 » Les marchés n’ont plus eu de boussole « 

Ce scénario noir, chacun en a eu un aperçu, dès le lundi 11 juillet, quand les grands argentiers se sont séparés sans accord ni calendrier.  » Pendant dix jours, reconnaît aujourd’hui l’un des principaux banquiers de la place, les marchés n’ont plus eu de boussole. On était en train de perdre pied.  »  » J’ai vu des commissaires aux comptes, confie un autre, qui se demandaient s’ils devaient déjà provisionner des pertes.  » Aucun pays ne paraît alors à l’abri de la défiance des investisseurs. Il ne s’agit plus seulement de sauver la Grèce, le Portugal ou l’Irlande, mais d’éviter la contagion. Les spéculateurs commencent à s’attaquer à l’Italie : un défaut de Rome provoquerait un choc systémique bien plus grave que la crise des subprimes. L’activisme des agences de rating est un bon indicateur du stress ambiant. Entre le 12 et le 15 juillet, la  » bande des trois  » – Moody’s, Standard & Poor’s et Fitch – dégrade la note de l’Irlande puis celles de la Grèce et de sept banques portugaises, menace d’abaisser l’Italie et va jusqu’à mettre les Etats-Unis sous surveillance négativeà

L’accord n’efface pas les dettes accumulées par les Etats

En Europe, des voix radicales se font entendre. Des économistes de renom invitent Athènes à revenir à la drachme. A ce moment-là, nombre de politiques veulent croire encore qu’il n’y a pas d’urgence : le sort de la Grèce peut bien attendre septembre ! En réalité, les financiers sont déjà sur le qui-vive. Dès le 22 juin, les banquiers français, par exemple, ont été convoqués par Ramon Fernandez. Le directeur du Trésor les a solennellement mis en garde sur la situation alarmante de la Grèce. La tension est d’autant plus forte que, de l’autre côté de l’Atlantique, Barack Obama et le Congrès ont engagé un bras de fer suicidaire à propos du relèvement du plafond de la dette fédérale (14 300 milliards de dollars !), sans lequel Washington se trouverait, après le 2 août, dans l’incapacité de financer ses dépenses. Pour frapper les esprits, le président américain a évoqué un Armageddonà Rien que ça.

Le 21 juillet, il fallait donc parvenir à un accord.  » Un échec nous était absolument interdit « , souligne, ce soir-là, Nicolas Sarkozy. Dans ses grandes lignes, le plan permet d’abord de consolider le financement de la Grèce. D’ici à trois ans, Athènes va recevoir près de 160 milliards d’euros de nouvelles aides. Pour la première fois, banquiers et assureurs sont invités à renoncer à une partie de leurs créances. Quels que soient les torts des Grecs (corruption, évasion fiscaleà), leurs voisins européens ont enfin pris conscience du caractère intenable des efforts – trop rapides, trop contraignants – qu’ils leur demandaient.  » On rend de nouveau la partie jouable pour Athènes « , explique le président du Cercle des économistes, Jean-Hervé Lorenzi. L’accord de Bruxelles vise, ensuite, à contenir les risques de contagion. Le Fonds européen de stabilité financière (FESF) pourra, sous certaines conditions, prêter aux pays en difficulté à des taux d’intérêt raisonnables et à des échéances plus longues. Il sera aussi autorisé à acheter sur le marché secondaire, celui de la revente, la dette des pays sous perfusion. Enfin, le fonds pourra intervenir, à titre préventif, pour soutenir un Etat de la zone ou participer à la recapitalisation de banques en difficulté.

Autant d’avancées tangibles dont il faut se réjouir. Mais si l’incendie est éteint, rien ne permet d’affirmer qu’il n’y aura plus d’autres départs de feu. Trois constats s’imposent.

L’enthousiasme retombé, cet énième plan de sauvetage va d’abord subir un examen minutieux des marchés et des Etats. En se résignant à placer la Grèce en défaut de paiement, l’Europe a fait un pari.  » On aura beau qualifier [ce défaut] de sélectif ou temporaire, cela ne peut pas être un événement anodin « , souligne Bruno Cavalier, chef économiste d’Oddo Securities. Le plan devra également obtenir le feu vert des parlements nationaux. Or plusieurs mesures, comme le rachat de dettes par le FESF, sont déjà ouvertement critiquées, en particulier en Allemagne. La participation, sur la base du volontariat, des créanciers privés soulève aussi le scepticisme de certains experts.  » Quelle sera la réalité de l’engagement des ban- ques ?  » demande l’économiste Karine Berger. Mais le principal risque, il ne faut pas l’oublier, tient dans l’exécution du plan par la Grèce elle-même. Que se passerait-il en cas de nouveau dérapage ?

Deuxième constat : l’accord n’efface pas d’un coup de baguette les dettes accumulées par les Etats. Ce problème reste entier ( voir l’infographie ci-contre). Or le sauvetage grec se traduira par un alourdissement du fardeau. Aux Etats-Unis, le relèvement du plafond de la dette n’exonérera pas Washington de remettre de l’ordre dans les finances publiques. Sinon, gare aux sanctions : Standard & Poor’s estimait, ces jours-ci, à  » 1 chance sur 2  » la probabilité d’abaisser la note de la dette américaine dans les trois mois.

De quoi fragiliser encore un peu plus la situation économique mondiale. Car la croissance aux Etats-Unis et en Europe ralentit. Les Américains ne parviennent pas à renouer avec leur rythme de croisière d’avant la crise.  » Cela tient notamment à la désindustrialisation du pays, avance Eric Galiègue, président de Valquant, un bureau d’analyses indépendant. Depuis dix ou quinze ans, on observe un nombre considérable de fermetures d’usines et, à présent, les plans de relance sont inefficaces.  » En témoigne la remontée du chômage. L’Europe, quant à elle, va rester soumise à des restrictions budgétaires, voire à des plans d’austérité. Des hausses d’impôts sont annoncées. Elle n’échappera pas non plus à une contraction du crédit.  » Les banques vont chercher à se protéger « , prévoit Edouard Tétreau, associé gérant de Mediafin et professeur à HEC.

Enfin, ce sommet  » historique  » du 21 juillet – c’est le troisième constat – aura permis de découvrir, selon l’économiste Daniel Cohen, la  » totale fragilité de l’Europe « . Une fois de plus, il aura fallu que l’on frôle le désastre pour agir. En l’occurrence, pour que le moteur franco-allemand reparte. Or, si l’engagement de Berlin ne fait aucun doute, il y a manifestement  » un sujet Merkel « . Depuis dix-huit mois, les atermoiements de  » Madame Non  » auront coûté très cher. Entre le 11 et le 14 juillet, alors que la tension en Europe était à son comble, la chancelière poursuivait une tournée diplomatique en Afrique !  » Elle s’est trompée de continent « , ironisait un journal allemand. Autre acteur, autre question légitime posée par Edouard Tétreau :  » La Grande-Bretagne – en total défaut, si j’ose dire, de solidarité européenne – a-t-elle encore sa place à la table du Conseil ? Peut-elle voir dans l’Europe autre chose qu’une menace, ou une source de profit pour les hedge funds londoniens ?  »

La sortie de crise sera politique ou ne sera pas

Au-delà du paquet de mesures techniques adopté à Bruxelles, la sortie de crise sera à l’évidence politique ou ne sera pas. D’ici à la fin de l’été, Paris et Berlin ont promis de faire des propositions pour améliorer la gouvernance de la zone euro. Sur le départ, le patron de la BCE, le Français Jean-Claude Trichet, s’est prononcé pour la nomination d’un ministre des Finances européen. Il n’a guère de chances d’être entendu, mais de plus en plus de responsables semblent désormais convaincus d’aller vers plus d’intégration économique. Le répit que viennent de s’acheter les Dix-Sept doit absolument être mis à profit. Sinon, à n’en point douter, les marchés renouvelleront leurs attaques. Tôt ou tard.  » L’Europe ne se fera pas d’un coup […], elle se fera par des réalisations concrètes créant d’abord une solidarité de fait « , écrivait Robert Schuman, l’un des pères de la construction européenne. Ces messieurs avaient une vision et de l’ambition.

BRUNO ABESCAT

Ce sommet historique aura permis de découvrir la  » totale fragilité de l’Europe « 

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