Des femmes et des rapaces

Des trottoirs de Bruxelles aux  » viviers  » de la prostitution en Albanie. Un livre choc, pour rappeler que les marchands d’esclaves sont dans nos murs

(1) Hermine Bokhorst : Femmes dans les griffes des aigles : les filières albanaises de la prostitution, Labor 126 p.

Dans certaines régions d’Albanie, les jeunes filles s’interdisent d’être amoureuses. Trop dangereux ! Résignées à sacrifier une partie de leur adolescence, elles savent, en effet, qu’elles risquent de tomber dans les filets des réseaux de prostitution, tissés par leurs compatriotes. En moins de dix ans, les proxénètes albanais ont réussi à s’imposer, au prix d’une violence inouïe, sur la plupart des places fortes de la prostitution européenne. A Bruxelles, Liège et Anvers, mais aussi, de plus en plus, dans des petites villes sans histoires, réputées peu  » chaudes « . La violence ? Presque un sixième sens chez les  » macs  » de l’ancien régime communiste. Le récent ouvrage de Hermine Bokhorst, journaliste au Soir et ancienne collaboratrice au Vif/L’Express, se fait amplement l’écho des pratiques de ces trafiquants de chair fraîche (1). Ceux-ci n’hésitent pas à contracter, dans leur pays d’origine, de faux mariages avec leurs victimes mineures, à les acheter ou à les  » louer  » à leurs familles. Une fois prises au piège, l’enfer commence : le voyage clandestin, l' » initiation  » d’une brutalité sans nom, les mutilations, les viols, les séquestrations, les chantages aux menaces sur la famille restée au pays. En quête d’un maximum de témoignages, l’auteur a fréquenté les villages albanais, autant que les services policiers et sociaux de nos villes. On referme son ouvrage avec un sentiment d’éc£urement. Même si de timides tentatives ont été entamées pour endiguer le phénomène tant au Pays des aigles qu’en Belgique (c’est le cas, notamment, du statut de protection, chez nous, pour les victimes qui dénoncent leur maquereau), l’Albanie reste dramatiquement plongée dans les maux profonds qui alimentent le trafic : pauvreté, corruption généralisée, loi du sang et des (redoutables) clans. Un petit regret : si l’ouvrage établit les connexions avec d’autres formes de trafic (drogue, armes, mendicité organisée) et s’il se penche utilement sur la réalité sociologique de cette société à l’abandon, il ne fait qu’effleurer les efforts désespérés de quelques-uns – les ONG, quelques femmes courageuses…- qui, sur place, mènent le combat contre cet esclavage des temps modernes. Souvent au péril de leur vie.

Ph.L.

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