Des épaves grouillantes de vie

Plus de 300 épaves de grande taille tapissent le plateau continental belge, au large de nos plages. Leur exploration scientifique, très ardue, ne fait que commencer. Mais les bonnes surprises sont déjà au rendez-vous

Ils répondent aux doux noms de  » Bourrasque « ,  » Kilmore  » ou  » Birkenfels « . Ne les cherchez pas des yeux en traversant la mer du Nord. Ces navires gisent, depuis des décennies, à des dizaines de mètres de profondeur, vestiges oubliés des drames les plus divers : pilonnages pendant les guerres, explosions sur des mines, tempêtes meurtrières…. On en recense ainsi près de 300 au large de la côte belge. Et c’est sans compter les milliers de débris de petite taille, bouées désuètes gisant au fond de l’eau ou déchets encombrants jetés par-dessus bord par des marins peu scrupuleux.

Pour les biologistes belges, ces épaves représentent une véritable caverne d’Ali Baba. Depuis trois ans, une équipe d’une douzaine de plongeurs û des scientifiques et des amateurs passionnés û s’attelle à l’étude de ces substrats  » durs  » qui, à l’inverse des fonds meubles et sablonneux, typiques de la mer du Nord, n’ont encore révélé qu’une infime partie de leurs secrets et sont boudés par les pêcheurs.

Pour percer ces mystères, il n’y a qu’un seul moyen : la plongée. Pas question, ici, d’utiliser les techniques traditionnelles de la pêche scientifique maritime, comme les carottages, les dragages ou les chalutages. Les filets, par exemple, seraient instantanément lacérés par les épaves. Mais quelle plongée ! La mer du Nord est soumise à des courants très violents, qui limitent chaque descente à trente ou soixante minutes (juste au changement des marées). A cause de la matière en suspension et de la profondeur, la visibilité des plongeurs est souvent limitée à 1 ou 2 mètres, sinon à 50 centimètres. Et, en hiver, la température de l’eau ne dépasse guère 5 degrés. On est loin des images d’Epinal des barrières de coraux et des nuées de poissons chatoyants !  » Réunir une équipe de plongeurs aguerris, biologistes ou suffisamment passionnés par la science, c’est déjà toute une prouesse « , explique Claude Massin, chef de travaux à l’Institut royal des sciences naturelles et plongeur lui-même.

Ces conditions difficiles n’ont pas empêché la petite équipe de réaliser une première série de découvertes passionnantes. Il a suffi de quelques plongées, concentrées jusqu’à présent sur trois épaves situées dans des zones très différentes, pour récolter 121 espèces animales. Et cela, sur une surface totale de… 0,88 mètre carré. Beaucoup sont des hydrozoaires, ces minuscules animaux vivant en colonies de milliers d’individus, sous l’apparence, trompeuse, d’algues ou de végétaux (à une telle profondeur et dans une telle turbidité, la végétation classique est absente). Récemment, les chercheurs ont posé une cerise sur leur gâteau. En effet, ils ont complété la faune belge de trois nouvelles espèces : une petite anémone de mer (Diadumene cincta ), un crustacé amphipode d’un centimètre ( Caprella tuberculata ) et une petite éponge dont le nom reste provisoirement tu, en attente de publication dans une revue scientifique spécialisée.

Mais le véritable objectif de ces recherches est évidemment ailleurs.  » Il est intéressant de créer des collections de référence qui, dans vingt ans, permettront de voir comment évolue la biodiversité en mer du Nord, explique Claude Massin. On peut par exemple comparer la teneur en métaux lourds dans le squelette de certains animaux avec celle d’animaux très anciens en notre possession. Car nous avons la chance, en Belgique, de disposer des collections du fondateur de l’océanologie moderne : Gustave Gilson. Entre 1890 et 1910, ce biologiste a collecté des milliers d’animaux avec une rigueur remarquable. Par ailleurs, le plateau continental belge est situé aux confins des courants méridionaux chauds et des courants nordiques froids. En suivant û toujours à long terme û l’état de cette microfaune, on pourra éventuellement vérifier l’hypothèse selon laquelle le changement climatique induit des modifications massives et durables de la faune marine.  » Un effort loin d’être vain : le zooplancton est, avec le phytoplancton, la source même de la vie en mer.

Philippe Lamotte

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