Des curés en terres FN

Après avoir longtemps résisté à la tentation du vote Front national, les catholiques sont de plus en plus nombreux à franchir le pas. Voyage dans ces fiefs lepénistes, où clergé et fidèles hésitent sur la conduite à tenir.

Dans les allées de l’église Sainte-Perpétue-et-Sainte-Félicité, dans le centre de Nîmes (sud de la France), il n’est pas rare que les affiches appelant à l’accueil des migrants soient arrachées et jetées au sol. L’an dernier, une pancarte  » Non aux Arabes !  » a même été déposée sur le parvis de la maison de Dieu. Le père Luc Mellet refuse d’y voir la main de fidèles de sa paroisse. Celle-ci prépare d’ailleurs activement l’hébergement de plusieurs réfugiés syriens, comme l’a demandé le pape François à l’automne dernier. Pourtant, le prêtre le reconnaît volontiers : la crainte d’être  » submergé  » par les immigrés revient dans les discussions avec ses ouailles, tout comme les questions liées à l’insécurité. Et lorsqu’il est invité à déjeuner par des familles nîmoises, le curé constate qu’il est de moins en moins tabou d’évoquer la tentation de voter Front national.

Longtemps hermétiques aux slogans lepénistes, nombre de catholiques français ont franchi le pas lors des élections régionales de décembre. Selon un sondage Ifop pour le magazine Pèlerin, 32 % des croyants ont voté pour la formation de Marine Le Pen au premier tour, contre 27,1 % de l’ensemble des électeurs. Surtout, 24 % des pratiquants réguliers ont fait ce choix, alors qu’ils n’étaient que 9 % neuf mois plus tôt, lors des élections départementales. Un glissement opéré au détriment de la droite traditionnelle, qui reste toutefois majoritaire dans cet électorat. Pour Jérôme Fourquet, de l’Ifop, les ressorts de ce vote FN sont à chercher dans la dimension religieuse et identitaire du rapport aux musulmans :  » Les catholiques, qui se savaient minoritaires dans un océan déchristianisé, redoutent désormais la concurrence de l’islam. C’est une sorte de déclinaison sur le plan religieux de la théorie du grand remplacement.  »

Problème : ce réflexe de repli contredit l’exigence de fraternité défendue par l’Eglise.  » L’accueil de l’étranger demeure au coeur de la foi chrétienne, insiste l’évêque de Gap, Jean-Michel di Falco, ancien porte-parole de la Conférence des évêques de France. Or la dignité même de l’homme est mise en cause dans certaines propositions du Front national.  » C’est au nom des valeurs humanistes que l’épiscopat français a fermement condamné, dès les années 1980, l’idéologie frontiste. Une position longtemps réitérée avant chaque grande échéance électorale.

 » Le Front national a un problème avec l’Evangile  »

En une dizaine d’années, pourtant, des lézardes sont apparues dans cette belle communion, surtout depuis l’accession de Marine Le Pen à la présidence du parti.  » Les déclarations de son père sur les fours crématoires étaient insoutenables « , rappelle l’archevêque d’Avignon, Jean-Pierre Cattenoz. Le prélat estime désormais que dialoguer avec le FN n’a rien d’une hérésie :  » Dès que vous excluez quelqu’un, vous l’aidez à grandir.  » C’est pourquoi Mgr Cattenoz a soutenu la décision de son collègue Dominique Rey, évêque de Fréjus-Toulon, d’inviter en août dernier Marion Maréchal-Le Pen à l’université d’été de la Sainte-Baume, organisée par le diocèse, en compagnie d’autres personnalités politiques. L’épisode a laissé des traces, beaucoup y voyant une forme d’onction du FN.

Dans les villes conquises en mars 2014 par le Front national, les prêtres se retrouvent en première ligne. Peu acceptent de parler. A Hénin-Beaumont (Pas-de-Calais), Steeve Briois et ses adjoints perçoivent l’abbé Jean-Marie Loxhay comme un adversaire résolu. En poste depuis 2008, le religieux à l’air débonnaire prend soin de saluer Marine Le Pen lorsqu’elle assiste à la fête de la Sainte-Barbe, mais il ne manque pas une occasion de rappeler les enseignements du Christ.  » Il suffit que je lise Matthieu, chapitre 25 – « J’ai eu faim et vous m’avez donné à manger, j’ai eu soif et vous m’avez donné à boire, j’étais étranger et vous m’avez recueilli… » – pour que le maire dise que je fais de la politique. Moi, je ne suis pas en conflit avec eux, c’est le Front national qui a un problème avec l’Evangile « , estime le curé, dans son petit bureau sans fioritures, à deux pas de l’église Saint-Martin. Les membres de l’équipe paroissiale ont compris qu’il fallait choisir entre le FN et l’Eglise. Ces tensions ont valu à cet ancien de la Jeunesse ouvrière chrétienne (JOC) de recevoir des dizaines de lettres d’insultes et de menaces.  » Un jeune prêtre aurait sans doute craqué…  » dit-il.

A Villers-Cotterêts (Aisne, nord de la France), le père Georges Mbukamundele assiste à toutes les cérémonies de la municipalité frontiste dirigée par Franck Briffaut, comme il le faisait du temps de l’ancienne majorité socialiste. Mais entre le maire, catholique fervent, et le prêtre,  » on ne sent pas de connivence particulière « , témoigne un opposant municipal. Le curé ne se souvient pas  » avoir jamais prononcé un seul mot de politique  » depuis son arrivée, il y a trois ans.  » Ce n’est pas le rôle de l’Eglise. Je laisse à chacun le soin de faire ses choix en fonction de ses convictions et de sa foi « , juge ce religieux originaire de la République démocratique du Congo. Pourtant, quand Franck Briffaut affiche son refus d’héberger le moindre réfugié dans sa commune, le père Georges prend soin de rappeler au micro de France 3 Picardie la position du pape.  » Le maire ne m’a fait aucun commentaire « , relève-t-il.

 » Bien sûr, le message de l’Eglise reste que nous sommes tous frères  »

Très critiqué au sein du diocèse pour sa gouvernance autoritaire, l’archevêque d’Avignon, Jean-Pierre Cattenoz, revendique son franc-parler.  » Dans une quinzaine d’années, le Vaucluse sera à majorité musulmane, compte tenu de la différence de démographie entre les familles européennes et celles venues du Maghreb. Beaucoup de gens me disent qu’ils votent Front national parce qu’ils n’en peuvent plus de voir autant de personnes d’origine étrangère « , explique le prélat au Vif/L’Express, avant d’ajouter :  » Bien sûr, le message de l’Eglise reste que nous sommes tous frères.  » Cela ne l’empêche pas, parfois, de déraper sérieusement. Comme en 2013, après l’agression très violente d’un jeune prêtre en habit par quatre voyous qui en voulaient à son téléphone portable : il dénonce alors  » la prise en main du quartier (Saint-Ruf, à Avignon) par des gens de religion musulmane « .

Depuis les mobilisations de la Manif pour tous, les cathos, lassés d’être ringardisés et niés jusque dans leur capacité de révolte, s’enhardissent. Après tout, en l’absence d’un véritable parti chrétien, pourquoi ne pas voter Front national ?  » Le mariage pour tous ou la possibilité d’adopter pour les couples homosexuels sont aussi discutables que certaines thèses du FN « , note Mgr Cattenoz.

Figure médiatrice entre le Front national et les cathos, Marion Maréchal-Le Pen a multiplié les clins d’oeil à cet électorat durant la campagne des régionales. Quitte à mettre son parti en porte-à-faux lorsqu’elle s’est attaquée au Planning familial. Même s’ils s’en défendent, les maires FN participent à cette entreprise de séduction. A Fréjus, David Rachline, qui se définit comme agnostique, assiste régulièrement aux offices à la cathédrale Saint-Léonce. Et n’oublie jamais de le faire savoir sur son compte Twitter. Au Pontet (sud-est de la France), la réfection du clocher fut l’un des tout premiers chantiers engagés par le maire FN Joris Hébrard. Même à Hénin-Beaumont, Steeve Briois se plaît à débarquer, flanqué d’une bonne partie de son équipe, au repas annuel de la paroisse.  » Pour 2017, les responsables du Front national ont compris que l’essentiel des gains se ferait à droite « , analyse Jérôme Fourquet, de l’Ifop. Entre le FN et les cathos, la messe n’est pas loin d’être dite.

Par Thierry Dupont

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