Des clones contre Clooney

Nespresso va-t-il boire la tasse ? Après Maison du café, Casino s’attaque au mono-pole du groupe suisse sur le sol français. La guerre de la dosette aura bien lieu.

L’univers de la dosette de café individuelle est sous pression. La seconde offensive contre la forteresse Nespresso, filiale du groupe Nestlé, a été lancée le 27 mai. Une dizaine de millions de capsules Casino vont s’aligner, d’abord à Paris, puis dans le reste de la France, dans les linéaires des 9 000 points de vente du distributeur. Elles côtoieront celles conçues par Maison du café, les toutes premières compatibles avec les machines Nespresso, vendues depuis le début d’avril. La brèche est ouverte : une start-up espagnole s’apprêterait même, de son côté, à mettre en vente un système de capsules vides à remplir soi-même.

Chacune des forces en présence est bien décidée à livrer une bataille acharnée. Objectif : grignoter le territoire jalousement conquis par Nespresso depuis la création de la dosette de café en 1970 (voir l’infographie ci-dessus), qui entend, à présent, récidiver avec le thé dès cet automne.  » La vente de café moulu baisse de 3 à 5 % depuis six ans, quand celle du café prédosé est en croissance constante de 40 % par an, constate Antoine Peters, du cabinet d’analyse KSA. Et 1 kilo de café en dosettes se vend 50 euros, contre 10 euros pour le café moulu. Forcément, cela aiguise les appétits !  »

Sur les 500 millions d’euros annuels que représente le marché français des capsules individuelles, la filiale de Nestlé se taillait jusque-là la part du lion, empochant près de 360 millions. Sa botte secrète : un monopole ultra-protégé par 70 brevets. Et une mécanique bien rodée.

 » Notre dosette n’est pas une copie « 

 » Celle-ci repose sur troispiliers, analyse Georges Lewi, directeur du Centre européen de la marque. D’abord, une rupture technologique : un expresso simple à préparer et de très haute qualité. Ensuite, une rupture marketing : le café devient un produit de luxe incarné par une icône, George Clooney. Enfin, une distribution très haut de gamme et sélective.  » L’arrivée de dosettes compatibles avec le système Nespresso, vendues en grands magasins, ébranle violemment les fondations du temple du café. L’entrée de nouveaux acteurs signe-t-elle la fin du succès de ce modèle, enseigné dans les business schools du monde entier ?

La guerre a lieu sur tous les fronts. Et d’abord sur le terrain de la communication. Si le groupe Casino a créé le buzz en annonçant, le premier, l’arrivée de ses fameuses capsules pour le mois de mai, Maison du café (groupe Sara Lee) lui a grillé la politesse en débarquant dans les grandes surfaces françaises avec 1 million de dosettes dès le mois d’avril.  » Grâce à l’expertise de la marque L’Or et des dosettes souples, nous avons de grandes ambitions « , explique Martine Loyer, directrice marketing de Sara Lee Tea & Coffee France, qui annonçait plus de 4 millions de dosettes distribuées début mai. Objectif : capter 20 % du marché. Pour faire mousser son produit face au très sélect Nespresso, Maison du café n’a pas hésité à organiser un lancement place Vendôme, à Paris. Rien de tout cela pour Casino, qui met en avant son joker : Jean-Paul Gaillard. Qui mieux que l’ancien patron de Nespresso comme général en chef ?

 » En étudiant l’état de la technique, notamment les brevets Nespresso déposés après mon départ de l’entreprise, je me suis aperçu qu’on pouvait faire mieux tout en restant hors de leurs champs d’application « , assure Jean-Paul Gaillard, aujourd’hui PDG de Ethical Coffee Company (ECC). C’est également ce que jure Maison du café :  » Notre dosette n’est pas une copie « , assure Martine Loyer.  » Que Nespresso fasse un procès à EEC serait la meilleure publicité « , lâche Gaillard. En attendant, il remplit ses carnets : 4 milliards de capsules auraient déjà été commandées en Europe. Un nouveau site de production suisse pourrait même venir à la rescousse de l’usine flambant neuve de Chambéry. A titre de comparaison, la filiale de Nestlé produit, chaque année, 9 milliards d’unités.

La  » mécanique Nespresso « , Jean-Paul Gaillard la connaît bien : il l’a inventée (voir l’encadré ci-contre).  » Le choix du haut de gamme, avec un club d’initiés et des boutiques de luxe, était, à cette époque, un moyen de faire passer la pilule du prix « , rappelle le stratège du marketing. Virage à 180 degrés pour son nouveau projet :  » Un produit de qualité dans une capsule biodégradable et des frais généraux raisonnables, vante-t-il. Nous n’avons pas d’argent à gaspiller, par exemple avec un George Clooney : nous misons tout sur la qualité du café.  »

Une attaque frontale sur le terrain de prédilection du groupe suisse.  » Notre force réside dans la qualité de nos cafés et nos assemblages, se défend Arnaud Deschamps, directeur général de Nespresso France. Nous proposons 21 grands crus de café, sans compter nos séries limitées.  » Impossible, en effet, de trouver une telle diversité dans les linéaires de supermarchés.

Côté porte-monnaie, la balle est dans le camp des nouveaux venus.  » Nous baissons les prix de la capsule d’environ 25 %, pour que le consommateur vienne goûter notre produit « , annonce Alain Bizeul, directeur de la marque Casino. Chez Maison du café, la dosette revient à 29 centimes, contre 33 en moyenne pour le concurrent Nespresso. Insuffisant pour avoir un réel impact sur le consommateur, affirme la filiale de Nestlé.

Si quelques euros ne font pas de différence pour le bobo urbain aux revenus élevés, le discours  » green attitude « d’ECC, qui promet des capsules biodégradables en amidon de maïs, fera peut-être mouche. Nespresso, largement critiqué pour ses dosettes en aluminium trop petites pour être triées, tente une riposte en faisant valoir deux expériences de récupération du métal dans les centres de tri du Var et des Alpes-Maritimes. Quant au double emballage plastique des capsules de Maison du café, il ne fait pas, lui non plus, le bonheur des écolosà

Plastique, aluminium ou maïs ? Le sourire de la caissière ou celui de George Clooney ? L’attente interminable sous les lumières tamisées d’une boutique des beaux quartiers ou la boîte glissée entre les £ufs et les yaourts sous les néons du supermarché ? Pour le savoir, on peut lire dans le marc de café.

Marie Cousin

côté porte-monnaie, la balle est dans le camp des nouveaux venus

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