© ERIK ANTHIERENS

Des chiffres et des femmes

Peut-on définir l’impact de l’amour et son prix ? Quantifier la valeur ajoutée du sourire inaltérable de l’hôtesse de l’air sur le chiffre d’affaires d’une compagnie aérienne ou celle de l’écoute d’une épouse aimante à laquelle son CEO de mari se confie ? La carrière de ce dernier s’en portera-t-elle mieux ? Les performances de sa société en seront-elles impactées ? Cette attention portée aux autres, ces soins, cette empathie qui s’expriment à la maison comme au boulot, ce que l’on pourrait résumer par une certaine forme de bonté, c’est ce que la sociologue du travail Arlie Russell Hochschild appelle  » la charge émotionnelle « . Et ce sont les femmes, éduquées à cela depuis l’enfance puis encouragées par le marché du travail, voire par le mari et les enfants qui en profitent, qui en porteraient la plus grande partie. Dans Le Prix des sentiments (1), son livre paru en 1983 mais récemment publié en français, la chercheuse américaine fait remarquer que la moitié des femmes travaillent dans des métiers où la part de travail émotionnel est importante, les professions de service surtout (coiffeuse, vendeuse, caissière) ou de soin, contre un tiers de la population générale.

Tout ça parce que  » les femmes sont bonnes « , résume L’Obs (2). Alice Maruani, sa journaliste, joue sur les mots. Mais pas que : les femmes mariées et hétérosexuelles ont sept fois plus de chances (21 % des cas) d’être abandonnées par leur conjoint quand elles ont un cancer que les hommes par leur épouse quand ils sont dans la même situation (3 % des cas) (3) ! Les femmes prendraient-elles donc plus facilement soin des autres ? En France, 75 % des aidants familiaux sont des femmes… Enfin, d’après une autre étude, américaine encore, les femmes médecins, plus empathiques et à l’écoute que leurs collègues masculins, passent deux minutes de plus avec chaque patient (4). Résultat : elles sont moins bien payées. Et c’est là le problème : utile, le travail émotionnel n’est pas rémunéré. Ni de manière sonnante et trébuchante, ni par le soutien émotionnel équivalent du partenaire ou des enfants. En tout cas, pas toujours.  » Une exploitation injuste de la force de travail des femmes « , s’insurge Arlie Russell Hochschild, professeure de sociologie à Berkeley, résolument féministe et un chouïa marxiste. Son travail a le grand mérite de donner un nom et de la valeur à une ressource essentielle. Un peu comme l’air ou l’eau…

(1) Ed. La Découverte.

(2)  » Les Femmes sont bonnes : parlons maintenant de la charge émotionnelle « , par Alice Maruani, L’Obs (avec Rue 89), 9 novembre 2017.

(3)  » Gender disparity in the rate of partner abandonment in patients with serious medical illness « , collectif, Cancer, 15 novembre 2009.

(4)  » Physician gender effects in medical communication « , collectif, Journal of the American Medical Association, 14 août 2002.

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Les femmes mariées ont sept fois plus de chances d’être abandonnées par leur conjoint quand elles ont un cancer que les hommes par leur épouse quand ils sont dans la même situation.

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