Des Belges dans la tourmente de la  » der des der « 

14 – 18 Apocalypse en Belgique revient sur cette guerre, telle qu’elle fut vécue par les Belges. Trois témoins nous ont livré, en exclusivité, d’émouvantes tranches de vie qui ont marqué le destin de leurs familles.

En ce resplendissant mois de juillet 1914, la plupart des Belges savourent un été de carte postale. Ils ne le savent pas encore, mais ils sont à la veille de connaître, quatre années durant, combats, souffrances, privations, exodes et souvent, au bout du chemin, la mort. Poursuivant leur salutaire travail de mémoire, Bruno Deblander et Louise Monaux nous livrent une moisson de récits sur ce que fut la vie quotidienne des Belges durant cette période d’exception (1).

Parmi ces Belges, Jacques Mechelynck, un jeune étudiant en droit qui a tout juste 20 ans en 1914. Pendant ces quatre années, Jacques va tenir, quasiment au jour le jour, des  » Carnets de campagne  » où il consigne les événements et leur retentissement dans son parcours personnel. Son fils André raconte :  » Mon père s’est engagé en 1914, au 2e régiment des Grenadiers. Il a fait toute la campagne dans le Nord de la Belgique et ensuite la retraite jusqu’à l’Yser. Il a assisté à la fameuse fraternisation entre troupes ennemies, à la Noël 1914. Il a aussi vécu l’attaque aux gaz sur Ypres.  » Se battant avec bravoure, il obtient en 1918 le grade de sous-lieutenant. Le 2 mars de la même année, alors qu’il est en poste à la tranchée du Luc, à la bouche de l’Yser, il est capturé par les Allemands. Alors qu’il se trouve prisonnier en Allemagne, une enquête s’ouvre sur les circonstances de sa capture et de celle de ses hommes. Orchestrée par la Commission Biebuyck (2), une véritable machinerie juridico-militaire digne du Procès de Kafka se met en place. Un officier supérieur, qui l’accuse d’avoir manqué à ses devoirs, veut même le traduire, par contumace, en Conseil de guerre. Libéré en novembre 1918, le sous-lieutenant Mechelynck sera finalement lavé de toute accusation.  » Même s’il est toujours resté très attaché aux Grenadiers, poursuit André, il n’avait qu’un désir : rentrer dans la vie civile et reprendre ses études d’avocat.  » Il mènera, après la guerre, une brillante carrière de magistrat qu’il finit comme Président de Cour d’appel…

Emilienne Nys avait, elle aussi, 20 ans en 1914. Entourée de cinq frères et deux soeurs, elle habitait Aarschot où ses parents tenaient une grande auberge, ainsi qu’une menuiserie, sur la Grand-Place. Cette existence relativement privilégiée va soudain basculer dans l’horreur. Sa fille, Juliana Billen, se fait l’écho de ces souvenirs douloureux :  » Le 19 août 1914, les Allemands sont entrés en force à Aarschot. Ils ont rassemblé leurs troupes sur la Grand-Place, un officier est monté au balcon de l’hôtel de ville pour assister à la parade et soudain, un coup de feu a éclaté, parti d’on ne sait où. Les représailles ont immédiatement débuté. Tous les civils présents sur la place ont été raflés. Les Allemands pénétraient dans les maisons, intimidant les habitants ou se livrant au pillage. Puis, ils ont fait sortir tout le monde, en séparant les femmes des hommes.  » Mais le pire est encore à venir. L’occupant boute bientôt le feu aux habitations. Sous la menace des baïonnettes, Emilienne et ses parents assistent, impuissants, à l’incendie qui ravage leur auberge.  » Peu après, poursuit Juliana, mon grand-père et quatre de ses fils ont été emmenés vers une destination inconnue. Heureusement, le plus jeune de mes oncles, Roger, qui était encore en culottes courtes, a pu revenir auprès de sa mère et de ses soeurs.  »

Leur foyer incendié, démunies de tout. Emilienne, ses soeurs Esther et Alice, son jeune frère Roger et leur mère entreprennent alors un long et périlleux exode qui les mènera jusqu’à Tilburg, aux Pays-Bas. Peu après Noël 1914, Emilienne se procure un passeport pour retourner à Aarschot. Sur place, elle apprend la terrible nouvelle : ses quatre frères ont été fusillés, sans doute peu après les funestes événements du 19 août. Aujourd’hui encore, une stèle rappelle le sort des 71 otages exécutés ce jour-là à Aarschot.  » Il a fallu du temps pour que je réalise ce qui s’était réellement passé, dit Juliana. Encore enfant, dans les années 1930, je ne comprenais pas pourquoi maman pleurait si souvent devant la grande photo où toute la famille était encore rassemblée.  »

Edouard Decostre, jeune adolescent de 12 ans en 1914, poursuit avec conviction ses études secondaires au collège Saint-Julien à Ath. En apparence, rien ne le distingue de ses condisciples. Rien, si ce n’est l’acuité et la précision du regard qu’il porte sur ce qui l’entoure. Et aussi une fabuleuse mémoire, quasiment photographique. Ces qualités particulières l’amèneront à reconstituer par l’écriture et le dessin, bien des années plus tard, les événements qui ont marqué sa jeunesse. Son fils, Jean-Pierre, a précieusement conservé ces manuscrits et documents. Il en précise le contexte :  » Mon grand-père exploitait la ferme de l’Amourette, à Thieulain, entre Leuze et Renaix. C’était donc un agriculteur, mais il était également géomètre et receveur communal. En octobre 1916, Thieulain a été incorporé dans la « zone d’étape » de la VIe armée allemande. Il s’agissait d’une zone de transit de troupes revenant du front, sous contrôle militaire, dont il était strictement interdit de franchir les limites sans autorisation allemande « .

En février 1917, une unité d’artillerie installe donc ses quartiers dans la ferme des Decostre. Cette cohabitation forcée se poursuit jusqu’en novembre 1918. La fin de la guerre approche et l’on s’apprête déjà à célébrer la victoire prochaine. Mais le 7 novembre, dans une tentative désespérée de freiner l’avance alliée, les Allemands décident de faire sauter un certain nombre de carrefours  » stratégiques « . La ferme de l’Amourette se voit donc encerclée par un véritable cordon d’obus explosifs. Et le 9 novembre, deux jours avant l’armistice, une gigantesque explosion secoue le village de Thieulain et pulvérise en grande partie la ferme de la famille Decostre. Il en restera deux documents fort émouvants, deux dessins réalisés par Edouard Decostre après la guerre : la ferme familiale à l’état de ruine et le même lieu, reconstitué de mémoire, tel qu’il était avant la fatidique explosion du 9 novembre.

(1) 14 – 18 Apocalypse en Belgique. Récits de patriotes, par Bruno Deblander et Louise Monaux, Racine-RTBF, à paraître ce 12 novembre.

(2) Cette commission, appelée à juger les faits de guerre, a siégé de 1918 à 1920. Une grosse partie de ses décisions a ensuite été réformée.

Par Alain Gailliard

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