Dépoussiérez vos platines!

Occulté par l’industrie du disque dans les années 1980 au profit du CD, le disque vinyle fait un retour en force

La scène peut sembler surréaliste pour le visiteur non averti: dans une échoppe du quartier de la Bourse, à Bruxelles, une bande de jeunes se pressent autour d’un vieux disque vinyle et le manipulent aussi précieusement que le Graal. Le vinyle renaîtrait-il? « Mais il n’est jamais mort! s’exclame Bernard Kim Ziegler, disc-jockey qui envisage très bientôt d’ouvrir une boutique de disques. Le vinyle n’a jamais tout à fait disparu. Ce sont les grandes compagnies de disques qui ont plutôt misé sur les nouvelles technologies avec, entre autres, le disque compact.  » La preuve: une quinzaine de magasins spécialisés ont toujours pignon sur rue dans le centre de Bruxelles. Que ce soit pour les musiques électroniques prisées par les DJ ou les disques de collection recherchés par les nostalgiques du vinyle, il existe réellement des amoureux du bon vieux 33-tours. Quant au grand public, il commence à y reprendre goût, surtout depuis qu’il revient à la mode…

Johnny Hallyday, Alain Bashung, David Bowie et Madonna ont tous choisi d’éditer leur dernier opus en CD, en cassette… et sur vinyle! Axelle Red a même fait plus fort en intitulant son récent album Face A/Face B en référence aux deux côtés de la galette noire. Les jeunes savent-ilsqu’un « vieux » disque, ça se retourne?

Comment expliquer cette nouvelle passion pour la galette noire, une antiquité mise aux oubliettes par le grand public depuis deux décennies ? « Les aficionados l’apprécient pour la chaleur du son, le préférant à celui du CD jugé trop net par les connaisseurs », raconte un vendeur de chez Orbit DJ spécialisé dans l’équipement. Le disque vinyle offre aussi d’autres possibilités qui sont impensables avec un CD. D’abord il permet un contact tactile, presque sensuel, impossible avec les méthodes numériques actuelles. Il peut aussi être joué à l’envers, ralenti manuellement et autorise même des effets sonores comme le « scratch ». Et que dire de la pochette surdimensionnée par rapport à celle du CD qui permet de plus grandes photos et parfois des bonus tels que des posters? Comme quoi la miniaturisation du support musical n’a pas toujours que de bons côtés.

Phénomène intéressant, ce support revient en force même chez les jeunes. « Depuis cinq ans, le culte du DJ s’est développé entraînant une mode déferlante chez les jeunes, constate Bernard Kim Ziegler. Ainsi, le matériel autant que les productions se sont démocratisés. D’ailleurs les nouveaux modèles de platines ressemblent à des jouets. » En effet, il suffit de se rendre dans une boutique d’équipements de DJ pour se rendre compte que les fabricants ont trouvé là un filon d’or. Fini la vieille plaque tournante de tante Germaine en faux bois laqué acajou. Les platines se déclinent aujourd’hui dans toutes les couleurs lorsque le look futuriste en aluminium n’est pas adopté. « Les jeunes achètent une platine plutôt qu’une guitare. Ils « scratchent » sur un disque vinyle au lieu de gratter leur instrument dans le sous-sol. C’est un nouveau moyen d’expression artistique », ajoute Ziegler.

Le vinyle demeure aussi un objet populaire chez les collectionneurs. Certains avouent acheter un disque en demandant un cachet sur l’emballage, prouvant du coup qu’il n’a jamais été ouvert, à l’instar d’une bouteille de grand cru. « Comme les vinyles sont tirés en nombre limité, parfois 500 copies pour le monde entier, les fans se jettent sur les quelques exemplaires disponibles », dit Roberta, propriétaire du magasin Urban Grooves qui ne vend que des disques vinyles.

Le vinyle est donc d’abord une question de passion pour le média, autant pour les consommateurs que pour les vendeurs. « La marge bénéficiaire est mince », avoue Roberta. Les différentes boutiques peuvent survivre en comptant sur des clients réguliers.  » Les gens me découragent en disant que c’est un effet de mode et que dans six mois je pourrai mettre la clé sous le paillasson. Mais, depuis huit ans, je suis toujours là et les affaires vont plutôt bien. »

« Lors de l’introduction du CD, beaucoup de mes collègues ont fermé leurs portes. Ceux qui sont restés ont dû se spécialiser », poursuit Jean-Pierre Delabelle, propriétaire de la boutique Juke Box, qui vend des vinyles de rock et des « vieux machins » depuis vingt-huit ans. Il affirme avoir des clients de tout âge. « Les gens prennent plaisir à retrouver, par exemple, un Rolling Stones en vinyle. Ils ont un rapport affectif avec l’objet qui va au-delà des chansons », ajoute, pour sa part, Roberta. Chaque année, plusieurs foires et conventions sont organisées à travers la Belgique, dont une à Gand qui réunit de 50 à 60 exposants. Le phénomène est aussi observable sur Internet où les sites se rapportant au vinyle pullulent. Beaucoup de pages perso, certes, mais surtout des vendeurs qui ont flairé la bonne affaire en bénéficiant d’une clientèle mondiale sur la Toile.

Dans les grandes surfaces de musique, par contre, la plaque noire n’est certes pas la vedette comme chez les indépendants spécialisés. « Notre part de marché sur le vinyle est quasi nulle », explique Nadine Franck, assistante de direction chez Free Record Shop. Ils ne sont vendus que dans les 6 plus grands magasins de Belgique et du Luxembourg, et en quantité très limitée. Les microsillons d’Elvis et de Robbie Williams se disputent ainsi le peu de place avec quelques maxis du top 30. « Nous avons inclus les disques vinyles dans notre assortiment musical pour faire plaisir à notre clientèle. Nous suivons les artistes qui ont des fans prêts à acheter toute la collection musicale, tel que les Rolling Stones ou Axelle Red. Mais nous n’attendons pas la visite des DJ. Nous vendons des vinyles qui peuvent plaire à tout le monde », ajoute Nadine Franck. Selon l’IFPI (Fédération internationale de l’industrie du disque), en 2001, 523 000 vinyles de productions belges ont été vendus dans le pays pour des recettes se chiffrant à 2 324 000 euros, ce qui est somme toute peu encourageant économiquement pour les artistes belges qui misent sur ce support. Mais qui oserait penser aux chiffres quand la fameuse galette noire déclenche autant d’émotions?

Eloïse Clissa Bélanger

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