Dans la galerie d'Elisa Huberty (en rose) et Rébecca Prosper, pas besoin de sonner pour entrer. © Lou Boulanger

Déconstruire, disent-elles

Galerie d’un genre nouveau, that’s what x said se présente comme un espace inclusif calé sur les problématiques sociétales actuelles. Elisa Huberty et Rébecca Prosper, les fondatrices, y secouent les certitudes esthétiques en montrant les corps évacués du domaine de l’art.

Sale temps pour papa. Comme si cela ne suffisait pas que la nouvelle génération lui prouve par A + B qu’avec sa voiture, son jardin bien tondu et sa vision simplifiée du monde, il n’est peut-être pas l’humaniste au sommet de l’évolution qu’il croyait être, il est désormais question de liquider d’autres axiomes patriarcaux liés à des références artistiques acquises de haute lutte. Lui qui pensait pouvoir jouir en toute quiétude d’oeuvres purement esthétiques, autoréférentielles, affichant une soi-disant neutralité politique, le voilà contrarié par les mêmes trublions. Sans ménagement, ces empêcheurs de tourner en rond lui assènent qu’une telle position de surplomb a tout de la fiction et qu’une non-participation au monde est impossible. Conséquence directe? Les références élues par son oeil – tenu pour supérieur en ce qu’il émane d’un individu blanc, mâle et hétérosexuel – s’affichent dans leur absolue nudité. Le roi est bien à poil: ces canons esthétiques ne valent que parce qu’ils sacrent les logiques de l’entre-soi et celles du système de domination en place. Si cela fait longtemps qu’un tel discours de déconstruction existe et que de nombreuses galeries s’en font l’écho dans le monde anglo-saxon, la nouveauté tient au fait que cette onde de choc gagne le Vieux Continent.

Il ne s’agit pas seulement de donner à voir des artistes engagés. Nous voulons un lieu qui se frotte au réel.

Il y a quelques mois, Bruxelles a fait place à une adresse de ce type. On la doit à deux jeunes femmes, Elisa Huberty et Rébecca Prosper. « C’est un plan sur la comète que nous avons ensemble depuis dix ans, raconte Elisa Huberty. Ce qui a mis le feu aux poudres, ce sont mes études à Londres et à Brighton, deux villes très ouvertes où l’on peut être vraiment soi, qui nous ont dirigées vers un espace d’art engagé à 360°. Qu’il s’agisse de la question du racisme, de celle des personnes transgenre ou encore des problématiques liées à l’environnement, nous sommes fâchées par de nombreux sujets. Sans compter qu’il y a assez de galeries « normales », cela ne nous intéressait donc pas de reconduire ce modèle. » « Il ne s’agit pas seulement de donner à voir des artistes engagés, ajoute Rébecca Prosper. Nous voulons un lieu qui serve à quelque chose, qui se frotte au réel. L’idée est d’organiser des événements pour initier un dialogue avec les visiteurs mais également de collaborer avec des associations actives sur le terrain, par exemple BruZelle, une asbl qui récupère des protections hygiéniques pour des femmes en situation précaire. »

Tout le monde doit se sentir représenté chez that's what x said: personnes noires, grosses, de la communauté LGBTQIA+...
Tout le monde doit se sentir représenté chez that’s what x said: personnes noires, grosses, de la communauté LGBTQIA+…© Lou Boulanger

Bonnes figures

Installées en plein coeur de la capitale, dans le quartier des Marolles, Elisa Huberty et Rébecca Prosper ne sont pas dupes face aux enjeux. « Un lieu aux murs blancs qui montre des oeuvres dans un quartier assez pauvre comme celui-ci, c’est clairement de la gentrification. Nous croyons néanmoins que c’est à force de voir notre porte ouverte que les gens la pousseront », affirment les deux jeunes femmes qui ne souhaitent pas toucher un public se définissant par son pouvoir d’achat. Pour faciliter l’accès, le duo n’a pas hésité à prolonger la galerie par une boutique aux contours moins intimidants – des objets arty sont proposés à partir de quinze euros. « Nous évoluons dans le monde de l’art depuis huit ans et nous détestons le côté élitiste de certains endroits, je pense à ces adresses où il faut sonner à la porte pour pouvoir entrer », précise Elisa Huberty. Les repaires évoqués sont aussi ceux dans lesquels est pratiqué une « énigmatisation » des oeuvres, selon le mot du philosophe et sociologue français Geoffroy de Lagasnerie, manière d’obscurcir le propos pour n’en réserver l’usage qu’à un cénacle. « Nous n’avons rien contre les pratiques artistiques savantes et abstraites, mais nous savons qu’il faut avoir un sérieux bagage culturel pour comprendre de quoi elles procèdent. that’s what x said assume un parti pris d’oeuvres figuratives qui concernent le grand nombre. Notre but est que tout le monde se sente représenté. Nous avons besoin de voir des personnes noires, grosses ou appartenant à la communauté LGBTQIA+… Montrer les minorités est nécessaire, c’est la voie royale de l’égalité. Un jour, quelqu’un est entré dans la galerie en nous disant « C’est la première fois que je vois une silhouette qui me ressemble sur un tableau », c’est exactement cela que nous cherchons », souligne le tandem.

that’s what x said – dont le nom renvoie à « that’s what she said », une expression anglaise utilisée dans des blagues à connotation sexiste – représente une petite cinquantaine d’artistes belges et internationaux. Le fil rouge? Les deux galeristes les ont contactés en majorité par le biais d’Instagram, « vivier inépuisable de talents émergents ». Parmi eux, on pointe la Gantoise Clara-Lane Lens, dont les toiles invitent à « déconstruire les préjugés sur les identités de genre et la notion de binarité », Hina Hundt (lire en page 80) ou encore le photographe belgo-somalien Rami Hara qui met en scène « le potentiel esthétique du voile », sujet sensible par excellence sous nos latitudes.

that’s what x said, 142 rue Blaes, à Bruxelles.

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