De sexe et de sang

Louis Danvers
Louis Danvers Journaliste cinéma

Patrick Grandperret porte à l’écran Meurtrières, un projet du regretté Maurice Pialat. Deux jeunes femmes y dérivent vers un fait divers criminel…

Lorsque Sylvie Pialat, la veuve du cinéaste disparu en janvier 2003, a voulu qu’un des projets non réalisés de son défunt mari soit enfin concrétisé, elle s’est tournée vers Patrick Grandperret. Avant de devenir lui-même réalisateur ( Mona et moi, L’Enfant lion, Le Maître des éléphants), ce dernier avait été l’assistant de Pialat de 1976 à 1981.  » Maurice avait été frappé par un fait divers qui défraya la chronique dans les années 1970 : le meurtre d’un homme par deux jeunes filles qu’il avait prises en auto-stop, se souvient Grandperret, il avait enquêté, puis rédigé une ébauche de scénario d’une quinzaine de pages, il a même tourné quelques plans aujourd’hui perdus, avant de renoncer.  »

Initialement reporté pour faire place à Passe ton bac d’abord, le projet de Meurtrières n’allait jamais voir le jour devant la caméra de Pialat. Mais le réalisateur de L’Enfance nue et de Nous ne vieillirons pas ensemble reparla souvent du sujet avec son épouse, ce qui conduisit celle-ci à le reprendre après son décès.  » Si ce n’était pas Sylvie qui me l’avait demandé, je n’aurais jamais songé à filmer un projet de Maurice « , s’empresse de préciser un Patrick Grandperret qui, très vite, s’est  » moins intéressé à l’acte commis par ces deux filles, à peine sorties de l’adolescence, qu’à tout le processus qui a pu y mener.  » C’est ainsi que nous découvrons Nina et Lizzy (1), de leur rencontre au moment fatal du crime en passant par un itinéraire qui va les exposer, jeunes, jolies et fauchées, au regard des hommes, un regard souvent concupiscent les désignant comme proies…

 » J’ai voulu que le spectateur, même masculin, puisse ressentir ce sentiment qu’ont les jeunes filles d’être vues comme des appâts, des objets de plaisir et de consommation, explique le réalisateur de Meurtrières, et qu’il perçoive à quel point les regards portés sur elles, les paroles et les gestes qui s’y associent souvent, constituent une forme de violence dans la logique de laquelle leur acte terrible en fin de parcours peut s’inscrire.  » Grandperret a choisi pour servir son propos une approche sobre, réaliste, sans recherche d’effets mais soucieuse de justesse dans la peinture d’un tandem de filles entre audace et fragilité, tantôt enthousiaste, tantôt défensives, se retrouvant  » aux portes d’un monde dont elles n’ont pas les clés « , et que les événements emportent  » vers une violence qui les dépasse « .

Pour incarner Nina et Lizzy, le cinéaste a fait appel à deux comédiennes de talent et de tempérament. Céline Sallette campe la brune et décidée Lizzy, la Belge Hande Kodja jouant la blonde et encore quelque peu enfantine Nina. Toutes deux remarquables de vérité, et par endroits capables de fulgurantes ruptures de ton, elles ne sont pas pour rien dans la réussite d’une entreprise qu’il serait vain de vouloir enfermer dans une perspective ramenée à Pialat. Meurtrières n’est pas un film par défaut. Il nous parle des rapports entre sexes avec une voix particulière et une lucidité certaine, que la présence annoncée de la mort rend plus déchirante.

(1) Dans le fait divers réel, une des deux jeunes filles était arabe, et en révolte contre un père qui l’avait tondue pour la punir de fréquenter des garçons. Grandperret, en accord avec Sylvie Pialat, a préféré transposer pour éviter  » un conflit dans une famille musulmane, qui aurait été forcément réducteur « .

Louis Danvers

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