De la rue à la cour

Il aime Marie, le pape et la famille royale. Malgré sa tenue de loubard, celui qui va concélébrer le mariage du prince Laurent n’est pas vraiment un prêtre rebelle

Morceaux choisis :  » Un prêtre qui ne sait pas parler d’amour et d’amitié n’a qu’à fermer sa gueule « , explique le père Guy Gilbert (68 ans) à l’émission Place Royale (RTL/TVI).  » Faire un site me faisait chier !  » peut-on lire sur ses pages Internet.  » S’il pleut, je n’en ai rien à foutre « , assène-t-il sur son répondeur. Le prêtre et éducateur français a le verbe cru et le look surprenant. A l’en croire, ses cheveux longs, son blouson noir et ses santiags constitueraient sa  » tenue de combat  » pour gagner la confiance des jeunes de la rue. Pourtant, celui qui bénit  » loubardement  » ses interlocuteurs n’a rien d’un révolutionnaire.

Guy Gilbert a toujours eu la foi du charbonnier. Il s’est senti appelé à la prêtrise dès12 ans, alors qu’il était opéré de l’appendicite. A l’hôpital, dans la chambre des enfants, une religieuse répétait chaque soir :  » Prions pour que le Seigneur choisisse l’un d’entre vous pour être prêtre un jour.  » Un an plus tard, Guy Gilbert entre au séminaire. Infirmier pendant la guerre d’Algérie, il est ordonné prêtre en 1965, à Alger, puis désigné vicaire dans une petite ville proche. A Blida, une nuit, il est tombé sur un enfant dormant à même le trottoir : Alain ne voulait plus rentrer chez sa belle-mère acariâtre, où il devait manger, après le chien, dans l’assiette de l’animal. Le vicaire a proposé de l’héberger jusqu’au lendemain. Sa vocation d’éducateur de rue était née.

En 1970, Guy Gilbert rentre en France. A Paris, il part à la recherche de ses premiers loubards dans le métro et ouvre le  » 46  » rue Riquet : une permanence où les mineurs délinquants peuvent être accueillis à tout moment. Après quelques jours, le temps d’une rupture  » avec l’ambiance plus ou moins néfaste de la ville, où les tentations sont multiples « , précise le prêtre sur son site, ils rejoignent généralement d’autres jeunes dans un home familial, la Bergerie de Faucon, dans les Alpes.

 » C’est en voyant leur comportement hostile vis-à-vis de l’adulte, mais particulièrement sensible aux bêtes, que j’ai inventé la zoothérapie « , explique Guy Gilbert, qui se rend une semaine par mois à la Bergerie où vivent 300 animaux, du lama à l’autruche, sans oublier les kangourous, les daims… L’adolescent y séjourne environ un an ; il apprivoise et soigne les bêtes. Ensuite, rescolarisé ou orienté vers une formation professionnelle, il peut être accueilli dans une famille sélectionnée par le prêtre.

 » La plus dure de mes tâches, ce sont les anciens. Dès qu’il y a un coup dur, ils reviennent vers moi.  » Celui qui récidive, qui sort de prison ou qui est largué par sa femme sollicite une aide, souvent financière.  » L’honneur de ma vie, c’est de rester fidèle jusqu’au bout.  » Le quotidien de Guy Gilbert est fait de souffrances, de désarroi et d’échecs. Le prêtre quitte habituellement la permanence du  » 46  » vers 3 heures du matin. Puis, après une visite ou un autre rendez-vous, c’est le temps de la prière dans l’église du quartier, avant de s’endormir vers 4 heures.

En 1978, Guy Gilbert s’est raconté dans Le prêtre des loubards. Depuis, il a rédigé, souvent la nuit dans les bars, une quinzaine de livres, vendus à deux millions d’exemplaires, au profit de son £uvre. Chroniqueur au journal La Croix à partir de 1981, il officie, en plus, chaque mercredi soir, sur Radio Notre-Dame. Tout cela lui vaut 25 000 lettres par an auxquelles il faut répondre. Comment tient-il le coup ? Ce grand marcheur et joggeur, qui garde la forme en grimpant dans les pins de Fontainebleau, s’accorde une retraite de quarante-huit heures tous les dix jours.

Mais le prêtre compte surtout sur une garde rapprochée d’éducateurs et d’adjoints qui font efficacement barrage. Il entretient un rapport d’amour-haine avec les médias. Il leur reproche de l’enfermer dans une caricature, qu’il nourrit pourtant en étant à tu et à toi avec son interlocuteur, jamais avare d’une grossièreté ni d’une provocation, lui qui supporte mal le tutoiement d’un policier ou les insultes des jeunes. A la Bergerie, on éduque à l’ancienne. Pas d’alcool, pas de drogue, pas de violence et pas de sexe. La punition est immédiate et sévère. D’une autorité naturelle, Guy Gilbert se vante volontiers de  » frapper d’abord  » et de  » bénir ensuite « .

Troisième enfant d’une famille de quinze, le prêtre en veut aux parents de ne pas mettre assez de limites. Dans son livre Les Petits Pas de l’amour (Stock), il demande au père de préadolescents de  » refuser un poste supérieur qui le prendra trop  » et à la mère  » de ne jamais manquer d’être là quand ils reviennent de l’école « . Il fustige la fragilité du couple dont les enfants feraient les frais. Même s’il reconnaît parfois manquer de nuances, il explique, dans ses ouvrages, qu’il n’aime pas les  » coucheries  » avant le mariage, la contraception qui provoque la stérilité et la désunion des couples, les manipulations génétiques qui multiplient le nombre de mères et de pères :  » Ça va donner de beaux petits loubards, tout ça !  » explique-t-il dans Aventurier de l’amour (Stock). A l’époque, il n’a pas tari d’éloge pour le roi Baudouin  » qui se fout de mettre son trône en péril quand sa conscience d’homme et de chrétien lui dicte de dire ônon » à l’avortement « .

En matière de morale sexuelle et affective, Guy Gilbert est en effet proche de Rome. Celui qui loue l’obéissance et qui récite chaque jour son rosaire a, comme Jean-Paul II, une affection particulière pour Lourdes. Il n’a pas  » mal à son église  » pour reprendre l’expression de Jacques Gaillot, ancien évêque d’Evreux, déchargé par le pape pour sa liberté de pensée.  » Guy Gilbert est un modèle de charité, certes original, mais qui ne dérange pas l’Eglise : au contraire, il alimenterait plutôt sa bonne conscience à l’égard des exclus « , explique l’Abbé Réginald Léandre Dumont, qui ne l’a pas repris dans son ouvrage consacré aux Prêtres subversifs (Labor). Car Guy Gilbert ne s’attaque pas vraiment aux causes de la délinquance, même s’il a des mots durs pour l’individualisme, le fric et le sexe. Dans l’Eglise, il n’apporte pas plus de soutien aux chrétiens qui dénoncent le célibat des prêtres, par exemple. Il reste, en revanche, fort attristé par l’excommunication des prêtres intégristes et il lui arrive de regretter que le concile Vatican II ait balayé des symboles auxquels certains fidèles étaient attachés.

Convaincu de la force des sacrements, notamment de pénitence pourtant quelque peu tombée en désuétude, ce prêtre fasciné par lady Di ne pouvait refuser à Laurent, un ami de sept ans, de concélébrer son mariage. Il a mis sur son site une photo du prince faisant la vaisselle avec ses loubards. Mais la reine Paola s’est aussi rendue à la Bergerie pour les trente ans de sacerdoce du prêtre qui ne manque pas de préciser qu’à la nouvelle année, les souverains belges lui adressent de  » chouettes v£ux « . Vivre avec les loubards n’empêche pas d’être bien en cour.

Dorothée Klein

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