De Crem – Delcour Les coulisses d’un fiasco

Olivier Rogeau
Olivier Rogeau Journaliste au Vif

Acceptée par le gouvernement, la démission du patron de l’armée traduit un profond malaise au sein de nos forces. En cause : des choix stratégiques controversés, l’interventionnisme du ministre De Crem et la politisation des nominations.

Non sans émotion, il a remisé pour de bon son  » service dress  » de l’armée et a rangé son bureau de chef de la Défense – de  » Chod  » disent les initiés. Né à Bruxelles en 1948, le général Charles-Henri Delcour est entré en 1967 à l’Ecole royale militaire avec la 122e promotion polytechnique. Quarante-cinq ans plus tard, il a claqué la porte de la grande muette avec fracas.

Une démission inédite pour un patron de l’armée. Le gouvernement l’a acceptée, le roi l’a avalisée. Reste, pour la majorité, à lui trouver un successeur sans reproduire, si possible, les querelles politiciennes de 2008-2009. A l’époque, les partis de la coalition s’étaient divisés sur le nom du successeur du lieutenant-général Van Daele, dont le mandat avait dû être prolongé à plusieurs reprises. Deux candidats tenaient la corde, Jean-Marie Jockin et Frédéric Van Dingenen. Mais c’est Delcour qui a émergé à l’issue d’un bras de fer acharné entre PS, MR et CDH.

 » Ma désignation est relativement inattendue « , reconnaissait le général le jour de sa désignation, en mars 2009, ajoutant que la poursuite de la réforme de l’armée serait pour lui  » un défi énorme « . Il ne croyait pas si bien dire, face à un ministre CD&V, Pieter De Crem, qui n’a cessé, depuis qu’il a hérité du portefeuille de la Défense, de mettre l’accent sur les opérations à l’étranger, tandis que l’armée tirait la sonnette d’alarme sur le niveau de qualité des prestations, de plus en plus difficiles à maintenir vu le faible niveau d’investissements militaires.

De Crem ignorait Delcour

Les relations entre le ministre et le général ne cesseront de se dégrader.  » Ils se voyaient une fois par mois tout au plus, alors que, sous Flahaut, prédécesseur de De Crem, le patron de l’armée et le ministre de la Défense se rencontraient une ou deux fois par semaine, glisse une source à l’état-major. De Crem ne consultait pas Delcour, ignorait les notes qu’il envoyait. En revanche, le ministre ne se privait pas de convoquer, individuellement, d’autres généraux, et cela sans avertir le Chod. « 

Au sein de l’état-major, Delcour a été lâché par certains d’entre eux, qui l’ont mis en minorité à plusieurs reprises.  » Officier rigoureux, d’une loyauté totale, il ne supportait pas qu’on expose sur la place publique les dissensions qui agitaient son département, notamment la polémique sur la  »flamandisation » de l’armée, raconte un général à la retraite qui l’a eu sous ses ordres. Il était aussi perçu comme un militaire de la  »vieille école ».  » Un autre officier confirme :  » Issu de la force terrestre, il avait une vision marquée par la guerre froide. Il a même envisagé d’acheter aux Néerlandais des chars Léopard II d’occasion, alors que l’époque actuelle est plutôt aux petits véhicules mobiles et que les conflits en Afghanistan et en Libye ont montré l’importance de préserver surtout une force aérienne et une marine opérationnelles. « 

Patrick Descy, secrétaire permanent CGSP-Défense, estime, lui, que le clash était inévitable entre un Delcour  » obstiné  » et un De Crem  » borné « .  » Flahaut était interventionniste dans les domaines militaires, mais De Crem l’est beaucoup plus encore, confie-t-il. Il a toujours cherché à imposer ses préférences idéologiques ultralibérales. De même, la  »particratisation » dans les nominations s’est étendue, jusqu’au niveau des attachés de Défense. En outre, le contraste entre le manque de moyens de l’armée et les dépenses inconsidérées du ministre, dont les voyages lointains et coûteux ont fait jaser, crée un réel malaise. « 

Dans sa lettre de démission envoyée au roi, à Elio Di Rupo et à Pieter De Crem, le général détaille les raisons de la démission.  » Si des parlementaires souhaitent l’entendre à ce propos, il est prêt à se rendre à la Chambre ou au Sénat, mais ils devraient d’abord prendre connaissance de cette lettre « , estime l’un de ses proches. Le gouvernement et le Parlement tireront-ils les leçons de cette affaire ? Ils pourraient exiger plus de transparence et d’objectivation dans les investissements et les nominations de hauts gradés à l’armée, alors que le nouveau tandem à la tête des forces belges – De Crem et Van Caelenberge, chef de la Défense faisant fonction – vient de rendre public un train de nominations qui chamboule l’état-major (infographie ci-contre).

OLIVIER ROGEAU

Le Parlement pourrait exiger plus de transparence dans les nominations

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