Dans quel monde vivons- nous ?

L es Etats-Unis décollent. Vendredi 2 avril, 15 h 30, l’information fait l’effet d’une bombe : l’économie américaine a créé 308 000 emplois en mars, presque trois fois plus que prévu. Sur cette estimation, les cambistes s’agitent, euphoriques, à la Bourse de New York, entraînant les actions et les taux dans un mouvement haussier impressionnant. Jusque-là, tous les indicateurs économiques (confiance, croissance du PIB, courbe des taux…) étaient dans le vert… sauf un seul, primordial : celui de l’emploi. Or, sans réelle reprise de l’embauche, on pouvait redouter que la croissance américaine des deux derniers trimestres de 2003 (8,2 % et 4,1 %) ne fût, en somme, que poudre aux yeux.

Le boom de l’emploi est donc une excellente nouvelle. De quoi soulager le président américain, qui a dépensé sans compter pour soutenir la confiance des consommateurs. De cadeaux fiscaux en dépenses gouvernementales, il a creusé le déficit budgétaire à un niveau record. Intenable à court et à moyen terme. De plus, la banque centrale américaine, la Federal Reserve, ne pourra plus maintenir très longtemps ses taux courts à 1 % û le niveau le plus bas de ces quarante-cinq dernières années ! La politique monétaire a été plus qu’accommodante jusqu’ici pour doper l’économie, mais il faudra bien un jour ou l’autre relever le taux directeur qui était encore à plus de 6 % il y a trois ans et demi.

Outre les politiques budgétaire et monétaire, le troisième moteur de la reprise économique outre-Atlantique, la faiblesse du dollar, commence lui aussi à perdre de la puissance. L’euro, après avoir atteint 1,28 dollar en février, est redescendu à moins de 1,19 dollar à la mi-avril. En clair, le billet vert remonte : or une monnaie trop forte pénalise les exportations. Il était donc grand temps que les signes d’amélioration de la conjoncture américaine se confirment, surtout au niveau de l’emploi.

L’Europe renâcle

De ce côté-ci de l’Atlantique, la situation n’est pas aussi encourageante. D’une part, les politiques budgétaires des pays de l’Union, concrétisées le plus souvent par le biais de réductions d’impôts, doivent respecter le traité de Maastricht qui interdit aux Etats membres d’accuser un déficit budgétaire supérieur à 3 %. Ce qui n’a pas empêché la France et l’Allemagne, les deux pays les plus importants de l’Union, d’enfreindre cette règle dès 2003. Elles ne sont plus les seules : les Pays-Bas, l’Italie, le Portugal, la Grèce et la Grande-Bretagne feront de même en 2004.

Les gouvernements sont en effet contraints de prendre des mesures structurelles et budgétaires car ils n’ont pas été aidés par une politique monétaire vraiment accommodante. Les taux courts en Europe se montent à 2 %, soit le double de celui des Etats-Unis, et la Banque centrale européenne rechigne à les abaisser davantage.

Dans un autre registre, ce qui a été bon pour les Etats-Unis au niveau des taux de change l’était beaucoup moins pour l’Europe. Au fur et à mesure que le dollar baissait face à l’euro, les biens américains vendus en Europe voyaient leur prix diminuer tandis que les biens européens vendus à l’étranger augmentaient de prix… Au niveau des entreprises exportatrices européennes, les résultats ont donc été lourdement pénalisés par la force de l’euro, leur faisant perdre plusieurs pour cent de croissance. Le mouvement commence cependant à s’inverser.

La force de l’euro a toutefois permis d’amortir la hausse des prix du pétrole, négocié en dollar, mais ce n’est qu’une modeste consolation.

Et demain ?

Il est clair que les Etats-Unis restent l’un des pôles économiques majeurs de la planète. Ils se comportent du reste en tant que tels, comme le démontre l’agressivité dont ils ont fait preuve aux niveaux budgétaire et monétaire. Jusqu’ici, il est difficile de déterminer si la reprise économique en cours sera durable ou non. Mais, en tablant sur un scénario optimiste, plusieurs évolutions sont à attendre.

D’une part, passé les grandes restructurations, les entreprises devraient voir leurs bénéfices progresser, de sorte qu’on peut espérer de nouvelles progressions des Bourses dans les années à venir. On ne pourra probablement plus atteindre les niveaux de return enregistrés à la fin des années 1990, mais le risque sera mieux rémunéré. L’Europe devrait toutefois être encore fort dépendante du taux de change de l’euro et du dollar.

D’autre part, l’inflation, sur fonds de reprise économique, devrait progresser également, mais probablement davantage aux Etats-Unis qu’en Europe, où elle sera limitée à 2 % par la BCE. De sorte que les taux à 10 ans devraient également remonter, de manière probablement lente et modérée. Il est fort possible que le taux à 10 ans américain, actuellement de 4,20 %, repasse au-dessus du taux européen (4,24 %). Le mouvement de rattrapage est déjà en cours d’ailleurs.

En tant qu’investisseur, il faut pouvoir anticiper tous les scénarios possibles et, dans ce cadre, s’attendre aussi au pire. C’est-à-dire à une économie américaine qui ne confirmerait pas l’amélioration prévue actuellement alors que le gouvernement et la Fed n’ont pratiquement plus aucune marge de man£uvre budgétaire ou financière pour soutenir la croissance.

Dans cette hypothèse-là, le dollar repart à la baisse. Donc, l’euro à la hausse, ce qui pénalisera les exportations européennes au moment où le Vieux Continent a plus que jamais besoin de celles-ci pour stimuler la reprise ! Et les marchés boursiers dégringolent de nouveau…

Sombre perspective qui, fort heureusement, n’a guère la cote parmi les experts. Mais on aura compris qu’écrire l’avenir est, plus que jamais, très délicat. D’autant que la situation politique internationale reste très mouvante…

Vincent Joye

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