Dans l’autre arène

Quitter les pelouses vertes ou les pelotons pour les lambris du Parlement: l’étrange affaire… Le pari est inédit et plutôt audacieux. Quel peut être l’apport des sportifs sur la scène politique?

Marc Wilmots dans un moelleux fauteuil de sénateur! L’information a fait sourire. Et, pourquoi pas?, Louis Michel sur un tatami, Elio Di Rupo en vedette de la chanson, Joëlle Milquet en star d’une émission de télé-réalité? En recrutant l’ancien capitaine des Diables rouges, le Mouvement réformateur (MR) a fait dans le sensationnel. De quoi alimenter la polémique habituelle, en tout cas, à six mois au maximum des prochaines élections fédérales: apport d’idées fraîches ou simple gadget électoral, racoleur et périssable?

En Belgique, jamais un sportif de haut niveau n’avait franchi les portes du Parlement, encore moins joué un rôle en vue sur la scène politique. Même à l’étranger, les exemples sont rarissimes. Principale référence, Guy Drut est aussi à l’aise dans les travées du pouvoir qu’il l’était sur le tartan des pistes d’athlétisme. Champion olympique du 110 mètres haies, en 1976, cette légende vivante du sport français a été ministre de la Jeunesse et des Sports de 1995 à 1997. A 52 ans, le député-maire de Coulommiers a été réélu quatre fois depuis 1986. Dans son nouveau métier, la notoriété de Guy Drut dépasse celle de la nageuse néerlandaise Erica Terpstra (ex-secrétaire d’Etat au Sport) et, surtout, celle du Britannique Sebastian Coe, le meilleur coureur de demi-fond des années 1980, quatre fois médaillé olympique. Athlète élégant et charismatique, cet éphémère député conservateur fut le secrétaire particulier de William Hague, il y a peu chef de l’opposition au gouvernement de Tony Blair, dont il était notamment chargé d’entretenir la bonne… condition physique.

Chez nous, les relations entre le sport et la politique sont problématiques et ambiguës. « Il y a un discours convenu sur le sport, estime le politologue Jean-Michel Dewaele (ULB). Il est politiquement correct de dire que c’est un vecteur d’intégration dans la société. Mais les décideurs ne dégagent pas de moyens budgétaires pour concrétiser ces belles déclarations. Le sport est instrumentalisé. Le monde politique n’en fait jamais sa priorité. » A Roland Garros ou à Wimbledon, ces deux dernières années, les ministres se pressaient en rangs serrés pour applaudir – devant les caméras – les exploits de Justine Henin ou de Kim Clijsters. A chaque flambée des Diables rouges, des pongistes ou des judokas, les mêmes tentatives de « récupération » se répètent inlassablement, au gré des gouvernements successifs. Dans les faits, la politique du sport est indigne de ce nom, malgré la sensibilité pour le sujet affichée par les deux derniers chefs du gouvernement fédéral. Ainsi, la coalition arc-en-ciel n’a pas tiré la moindre leçon (positive) de l’organisation – sans faille – de l’Euro 2000 de football. L’événement s’est achevé comme il avait débuté: sans aucun débat public sur la question. Bien sûr, les structures éclatées de la Belgique fédérale ne facilitent pas les choses. Pourtant méritant, le ministre francophone des Sports, Rudy Demotte (PS), prêche dans le désert en raison de la dispersion des leviers de commande entre l’Etat fédéral, les Régions et les Communautés.

L’arrivée de « vrais » sportifs au Parlement pourrait-elle changer la donne? « Si tel avait été le cas, cela fait deux ans qu’ils auraient brandi le carton jaune pour avertir du danger de perdre le Grand Prix de formule 1 de Francorchamps! » estime Alain Courtois, figure en vue du monde du football et futur candidat libéral à la Chambre. Avec Courtois et Wilmots, « la tête et les jambes », comme le chuchote le second nommé, le MR de Louis Michel et de Daniel Ducarme musclera son approche des problèmes endémiques du sport belge: faible pratique dans les écoles, sous-financement du sport amateur, difficultés financières des clubs professionnels… D’autres partis organisent une réflexion interne sur ce sujet longtemps délaissé. Pour se donner bonne conscience à l’approche des élections? Avant le scrutin communal d’octobre 2000, de nombreux sportifs retraités ou encore en exercice s’étaient retrouvés sur les listes de la plupart des partis politiques (à l’exception des écologistes), surtout au nord du pays. Un phénomène classique de recours à des personnalités connues, très en vogue depuis la fin des années 1990. Beaucoup sont devenus conseillers communaux et certains sont manifestement prêts à assumer des responsabilités. C’est le cas de l’ancien footballeur international Luc Millecamps (CD&V), président de CPAS. Mais d’autres ont déjà déçu leurs nouveaux « supporters ». Ancien capitaine des Diables rouges, Lorenzo Staelens (SP.A) a renoncé à son poste d’échevin des Sports après quelques mois seulement. Champion olympique de natation, Fred Deburghgraeve (CD&V) s’est effacé sur la pointe des pieds, plutôt dépité par cette expérience dans une enceinte communale « où on attaque les hommes plutôt que leurs idées ». Ceux-là risquent bien d’entretenir la triste réputation de ces météorites de la politique, invités à faire des voix… puis à dégager le plancher. Comme le footballeur Danny Boffin, candidat déclaré au Soulier d’or, qui sera décerné dans quelques jours. Il y a quelques années, en justifiant sa présence sur les listes électorales, il s’était un peu ridiculisé devant les caméras de télévision en affichant son soutien au bourgmestre de Saint-Trond… sans pouvoir indiquer à quel parti il appartenait!

Bien sûr, la politique à l’échelon fédéral est une autre paire de manches. Le Parlement compte beaucoup d’avocats, d’enseignants, de médecins et, depuis peu, des personnalités issues du secteur humanitaire ou des chefs d’entreprise. Alors, pourquoi pas des sportifs ou des artistes? « Encore faut-il qu’ils aient quelque chose à dire! commente le politologue Jean-Michel Dewaele. Avant de franchir le Rubicon, la plupart des transfuges de la « société civile » s’étaient quand même distingués par des prises de position en public, sur des sujets plus ou moins précis. Ce n’est pas toujours le cas des sportifs. » La candidature d’Alain Courtois à la Chambre semble assez cohérente (lire son interview p. ). Cet ancien magistrat s’est affirmé comme un homme de dossiers – une qualité essentielle, en politique -, capable de gérer une institution (l’Union belge de football) et de mener à bien un projet de longue haleine (l’Euro 2000 co-organisé avec les Pays-Bas). « La Belgique avait là une fameuse compétence. Dommage qu’elle ne l’ait pas exploitée, regrette Dewaele. Au sein du MR, Courtois perdra forcément son image de rassembleur, qui le plaçait au-dessus de la mêlée communautaire. » Nul doute, toutefois, que le futur député fera mieux que le sénateur VLD Jean-Marie Dedecker, cet entraîneur de judo dont les positions extravagantes fleurent souvent le populisme.

Quant à Marc Wilmots, certes doté d’un bon sens et d’une intelligence intuitive, son pari n’est pas gagné d’avance. Presque assuré de siéger comme sénateur, le « taureau de Dongelberg » pourrait cependant ressembler à un éléphant dans un magasin de porcelaine. Réussira-t-il à faire entendre sa voix dans un lieu où, depuis des années, on ne parle pas de la politique du sport? Fera-t-il davantage qu’un petit séjour dans ce milieu austère et si différent, avant d’embrasser cette carrière d’entraîneur de foot qui lui tend les bras?

Philippe Engels

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