» Daerden fait du tort au socialisme « 

Maurice Demolin, l’un des anciens bras droits d’André Cools, dénonce le rapport à l’argent  » problématique  » de Michel Daerden.

Au moment de l’assassinat d’André Cools, en juillet 1991, Maurice Demolin est secrétaire politique de la fédération liégeoise du PS. Dans les mois qui suivent, il assistera de très près à l’ascension de Michel Daerden. Son regard sur l’actuel ministre des Pensions n’est pas celui d’un observateur neutre.  » J’ai des raisons personnelles de lui en vouloir « , prévient-il. Toujours conseiller provincial, et chef de groupe PS au conseil communal de Grâce-Hollogne, Maurice Demolin projette une lumière crue sur le cas Daerden.

Le Vif/L’Express : Comment réagissez-vous face aux révélations qui concernent Michel Daerden ?

Maurice Demolin : Mon premier sujet d’étonnement, c’est que ça ne soit pas sorti plus tôt. Dans les sociétés de logement social dont j’ai été administrateur, j’ai souvent vu arriver Frédéric Daerden en tant que réviseur, alors qu’il était déjà député (1), et que son père avait le logement social parmi ses attributions ministérielles. Quand je disais à mes collègues que je trouvais ça anormal, je ne récoltais que des sourires gênés… On ne s’est pas posé beaucoup de questions.

Pourquoi ?

Dans le reportage de la RTBF diffusé la semaine dernière, on voit la bourgmestre de Trooz, que j’aime beaucoup, bras dessus, bras dessous avec Michel Daerden. Je lui ai dit : ça te cause un tort considérable. Elle m’a répondu : Michel m’a rendu tant de services. C’est la fibre socialiste qui joue, mais aussi la crainte des représailles…

Comment interprétez-vous la discrétion de Jean-Claude Marcourt ou Willy Demeyer sur le sujet ?

Ils ne veulent pas être accusés de participer à la curée. Ils attendent que le fruit soit assez mûr pour tomber tout seul de l’arbre. Quelle attitude adopter ? C’est une question que je me suis maintes fois posée. Personne n’a envie de nuire au parti. Mais alors ? Se taire ? Non. Je crois qu’il faut oser dire la vérité. Ce qui me paraît le plus grave, dans le cas de Michel Daerden, c’est le rapport à l’argent. Il y a chez lui un manque d’éthique flagrant, un rapport à l’argent problématique. J’ignore pour quel montant il a revendu son bureau de révisorat, mais bon… Et puis, il y a son côté pitre aviné. Vous me direz peut-être qu’il est marrant. Oui, c’est possible. Mais pas en politique ! Michel Daerden fait du tort au socialisme à Liège, et il fait du tort à la classe politique.

Michel Daerden est-il celui qui a pacifié la fédération liégeoise après la mort d’André Cools, comme on l’a souvent écrit ?

Au départ, Daerden ne bénéficiait pas d’un fort appui. Alors, il a acheté les gens. Je l’avais dit en ces termes à Philippe Moureaux, à l’époque, et il était d’accord avec moi. Un exemple : au début des années 1990, l’union socialiste communale de Liège-ville devait 6 millions de francs belges à la fédération. Daerden a tout simplement décidé de supprimer la dette, qui était en cours de remboursement, offrant du même coup un cadeau somptueux aux dirigeants socialistes de Liège-ville. Les autres, il les a achetés en leur distribuant des mandats. Un système qui fonctionne encore : on accorde des mandats comme on donne des prébendes. Le cas de Stéphane Moreau est extraordinaire : outre son poste de directeur général de Tecteo, il a cumulé près d’une dizaine d’autres mandats rémunérés.

C’est contradictoire avec les valeurs socialistes ?

Je ne parlerais même pas du socialisme. Atteindre de tels niveaux de rémunération, c’est incompatible avec une fonction de mandataire public. Je ne veux pas laver plus blanc que blanc, mais la politique exige un certain désintéressement, surtout dans un parti de gauche. Le problème, c’est 1988 : depuis cette année-là, le PS n’a plus jamais connu l’opposition. L’exercice du pouvoir permanent n’est pas sain. Une cure d’opposition, cela fait perdre la mauvaise graisse. On voit disparaître les opportunistes.

Assiste-t-on aujourd’hui à la fin de l’ère Daerden ?

Ce qu’il a fait dans le dossier Sofico (2) me paraît illégal. Cela me semble difficile de se relever de ça. Ou alors, c’est à désespérer de tout.

A votre avis, Elio Di Rupo soutient-il encore Michel Daerden ?

A son corps défendant. Elio Di Rupo incarne une forme de rigueur et d’éthique. Tout le contraire de Michel Daerden. De manière subtile, Di Rupo lui a coupé les ailes, en l’envoyant au fédéral : les pensions, cela s’apparente plus à un secrétariat d’Etat qu’à un vrai portefeuille de ministre. Mais Di Rupo ne peut pas décider seul. Dans le cas Daerden, le conseil de déontologie du parti va trancher, et c’est tant mieux.

(1) Frédéric Daerden est devenu député en 1999. Il a été le gérant du bureau de révisorat fondé par son père jusqu’en 2006.

(2) L’un des contrats litigieux conclus par l’ex-cabinet de révisorat de Michel Daerden.

FRANçOIS BRABANT

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