Croix de bois, croix de fer…

Les Huguenots, de Giacomo Meyerbeer, n’avaient pas été montés à la Monnaie depuis des décennies. Exhumé des tiroirs de l’Histoire par le tandem Py/Minkowski, le conflit des papistes et des calvinistes s’y consume en démesure !

Des chorales semblables à des hymnes nationaux, qui mènent au déferlement de forces collectives irrépressibles. Une passion d’abord contrariée, puis anéantie par le fanatisme religieux, le temps d’une nuit d’été tragique (la Saint-Barthélemy, Paris, dans la nuit du 23 au 24 août 1572)… Pas de doute : au même titre que La Muette de Portici (1828) d’Aubert, Les Huguenots (1836) de Giacomo Meyerbeer rentrent bien dans la case  » grand opéra « , ce genre lyrique adulé au XIXe siècle, puis misérablement tombé dans la disgrâce et l’oubli.

Cadre historique, ch£urs et ballets fastueux, effets spéciaux, intrigue violente, choc des passions, airs étincelants, scènes de foule, rebondissements, romantisme, mise en place spectaculaire (favorisée par l’arrivée du gaz en 1822), confusion des enjeux publics et privés dans un tourbillon d’événements, couleur locale et thème politique : il fallait tout ça, alors, dans un  » grand opéra « . Equivalent lyrique des péplums ou des romans de cape et d’épée (un Lawrence d’Arabie, un Trois Mousquetaires chanté, si l’on veut) ou, dans un autre registre artistique, cousin proche de la peinture  » académique  » (dite également  » pompière « , avec goût prononcé pour sujets historiques et sens hypocrite de l’érotisme), le  » grand opéra « , pourtant, ne ressemble plus, à notre époque, qu’à un monument bourgeois, boudé et encombrant, mais aussi fascinant qu’un monde perdu.

 » La dernière représentation des Huguenots au TRM remonte aux années 1930 « , affirmait naguère Peter de Caluwe, son directeur. Le programme de la saison qui s’achève indiquait, lui, l’année 1870 comme ultime production. Quant au site des archives digitales de la Monnaie, il reste assez confus dans les dates… Une chose est sûre : pour Les Huguenots, ça faisait très, très longtemps.

Trop, selon le maestro parisien Marc Minkowski et son concitoyen dramaturge et metteur en scène Olivier Py qui, s’emparant de cette £uvre aux styles pluriels (du belcanto italien, de l’orchestration allemande, de la frivolité française, ensemble), en proposent une lecture assez remarquable, fût-ce déjà par sa longueur. Mais pas seulement : si Meyerbeer se contente d’une romance sur fond de tueries entre catholiques et protestants, le tandem veut, ici, clairement ramener le questionnement politique à l’avant-scène.  » Le massacre de la Saint-Barthélemy nous intéresse parce que c’est autant l’aboutissement que le début de l’intolérance religieuse, explique Py. Il annonce comment l’Occident va appréhender la foi des autres comme un crime. « 

Orgie

Or, de meurtres, il n’en est pas tout de suite question. Les deux premiers actes, magnifiques, sont même marqués par des tentatives de concorde entre les camps. L’acte Ier s’ouvre sur un univers exclusivement masculin : celui d’une fête exubérante donnée par le comte (catholique) de Nevers à ses amis, au rang desquels figure un huguenot, Raoul de Nangis. Celui-ci est invité par la bande à raconter ses affaires de c…, souhait qu’il accomplit d’autant plus aisément qu’il n’a encore rien  » conclu  » avec la jeune personne qui l’obsède et dont il ignore jusqu’au nom. Sans vulgarité (mais tout le public ne partage pas cet avis), les convives en viennent à divers excès, moins faciles à décrire qu’à résumer par le mot  » orgie « .

On sait que les hommes sont un peu bêtes quand ils boivent. Raoul, qui n’ajoute pas l’exception à la règle, se méprend alors sur les rapports que sa Valentine (une suivante catholique de Marguerite de Valois), justement aperçue en ces lieux, entretient avec son hôte… De ce malentendu vont découler sa perte, ainsi que celle de l’élue et d’innombrables coreligionnaires. On le voit, la petite histoire sert la grande. Py s’abandonne sans peine à cette contrainte, comme le font à la volupté les fascinantes baigneuses (solistes, choristes et danseuses) de l’acte II, à l’érotisme torride, cambré, velouté, sirénien, totalement féminin, cette fois.

Cinq heures d’opéra

Rien que pour ces dames, et les trois grâces dansant parfaitement nues sur scène (une rousse, une blonde, une brune), on reprendrait bien volontiers cinq heures d’opéra. Ce qui serait faire injure à tous les autres bonheurs – les interminables chevelures dorées, ondoyantes, pailletées, pareilles à celles des modèles de Khnopff, les décors métalliques fuligineux ou cuivrés, comme en feu, qui glissent et s’emboîtent pile-poil, tel un Meccano géant ; la virtuosité athlétique des interprètes des deux distributions de sept rôles, dont deux prima donna ; des instruments rares dans la fosse, comme l’ophicléide, ancêtre du tuba – qui justifient amplement que la Monnaie, audacieuse, a eu raison de ressortir ce  » grand opéra  » excessif.

Les Huguenots, à la Monnaie, à Bruxelles, jusqu’au 30 juin. Info surwww.lamonnaie.be

VALÉRIE COLIN

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