COUP DE FATIGUE SUR L’AMÉRIQUE

Malgré l’absence de tout enjeu européen dans la course des primaires américaines, l’élection du successeur de Barack Obama prend de plus en plus les allures d’un scrutin qui nous concerne. C’est la démonstration que, sous le choc très médiatique des personnalités, le marketing intense des candidats ne parvient pas à occulter le débat de fond qui s’est emparé du pays. Dans le camp démocrate, Hillary Clinton a du mal à se départir du phénomène dynastique qu’elle incarne en restant perchée sur les bancs de l’élite bien pensante. Bill, Hillary, bientôt ou déjà Chelsea… il est tentant de voir un penchant Kennedy dans ce lignage. Ce n’est sûrement pas ce que l’électeur moyen apprécie le plus. En effet, il existe déjà une seconde forme de continuité dans la candidature de Hillary : celle de l’ère Obama, dont elle doit aussi se différencier, en proposant un second souffle. Or, sur ce front, elle subit l’offensive  » de gauche  » que son concurrent Bernie Sanders a su porter suffisamment haut pour que l’ancienne secrétaire d’Etat soit obligée de lui faire une petite place dans son programme final. Sanders aura beau perdre, il laissera une trace, que l’on peut résumer par une de ses phrases :  » La réalité est que, ces quarante dernières années, la grande classe moyenne de ce pays a décliné et que la foi dans notre système politique est aujourd’hui extrêmement faible (1) « . La campagne des primaires lui aura permis de dénoncer ce fait, qui rencontre à l’évidence un écho grandissant aux Etats-Unis :  » Les riches deviennent beaucoup plus riches… et presque tous les autres s’appauvrissent.  » Une thématique qui rejoint celle des mouvements contestataires européens…

Cette vérité est, de manière presque homothétique, celle qui fait en grande partie le succès de la candidature du milliardaire Donald Trump. Non seulement ce dernier exploite sa réussite financière avec une rare indécence, en offrant en modèle son propre exemple (franchement peu recommandable), mais il propose d’en faire carrément une ligne politique. Ce qui l’oppose frontalement à la méritocratie classique de l’American dream, illustrée par ses deux principaux adversaires républicains, Marco Rubio – né de parents cubains catholiques immigrés aux Etats-Unis en 1956 – et Ted Cruz – de père cubain aussi, pasteur protestant. Aucun de ces deux postulants à l’investiture républicaine n’affiche la moindre inclination  » sociale-démocrate  » ; il faut donc les combattre autrement. Autant dire que la proposition  » phare  » de Trump, à savoir la construction d’un mur entre le Mexique et les Etats-Unis (financée, si l’on en croit ses promesses, par le Mexique, lequel a répliqué qu’il ne paierait pas), n’a pas fini de provoquer des remous. Sur ce sujet, comme sur bien d’autres, Trump provoque une grave crise identitaire au sein du Parti républicain. Par ailleurs, son slogan simpliste,  » Make America great again  » (Rendre sa grandeur à l’Amérique), est censé répondre, par l’illusion de la fierté collective, aux frustrations des électeurs paniqués par le recul de leur pays dans le monde. Ce qui évoque les accents de certains leaders populistes européens…

D’un parti à l’autre, la présidentielle de 2016 apparaît comme une réaction profonde de la société après l’ère Obama. Les démocrates confessent l’appauvrissement ; les républicains proposent l’enrichissement. La crise du modèle est patente. Un peu comme en Europe…

(1) Discours prononcé à l’université de Georgetown, à Washington, le 19 novembre 2015.

par Christian Makarian

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire