A Bruxelles, la croissance resterait aussi pénalisée à moyen terme par un léger recul de l'Horeca et du commerce. © belgaimage

Coronavirus: la Flandre va-t-elle accroître son avance économique sur Bruxelles et la Wallonie ?

Christophe Leroy
Christophe Leroy Journaliste au Vif

Plus riche en temps normal et donc plus généreuse en temps de crise, la Flandre va-t-elle accroître son avance économique sur Bruxelles et la Wallonie ? Pas nécessairement : le choc est tel que les différences s’avèrent minimes. Autopsie de la relance tant attendue.

« ça donne envie d’aller s’installer en Flandre ! » soupirait, il y a quelques semaines, un patron de bar namurois. Sur la photo partagée sur Facebook, un slide synthétisant, pour les trois Régions du pays, les indemnités versées aux petites entreprises fermées pendant le confinement et au-delà.

Flagrant déséquilibre : 5.000 euros par numéro de TVA en Wallonie, 4.000 euros par unité d’établissement à Bruxelles, idem en Flandre… Si ce n’est que cette dernière leur octroyait également, dès le 6 avril dernier, 160 euros par jour de fermeture supplémentaire. Soit, pour un bar ouvert 7 jours sur 7, un bas de laine additionnel de 10.080 euros jusqu’à la réouverture du 8 juin. Et plus encore pour les secteurs ayant rouvert plus tard (cinémas, centres de bien-être, parcs récréatifs…) ou toujours à l’arrêt à ce jour (les discothèques, notamment).

La Wallonie a certes décidé, le 9 juillet, d’accorder une prime supplémentaire de 3.500 euros aux secteurs dont les activités sont encore fortement limitées. Mais ce montant, pour lequel les dossiers ne pourront être introduits que mi-août, reste bien inférieur à la manne flamande.

Par PME, les dépenses en primes compensatoires atteignent 2.545 euros en Flandre, 1.640 euros en Wallonie et 1.583 euros dans la capitale.

Il en va ainsi de cette Belgique aux compétences économiques partiellement régionalisées. L’exemple des primes, en ces temps exceptionnels, ne fait que confirmer l’évidence des temps normaux : plus riche que la Wallonie et que la capitale, la Flandre peut tout simplement piocher bien plus généreusement dans son budget quand les circonstances l’exigent.

« Maintenant, on va montrer qui a l’argent », s’était même enorgueilli, en début de crise, un homme politique flamand très influent, nous confirme-t-on de source sûre. C’est dire si la confiance régnait au nord du pays.

La Wallonie, elle, ne s’est jamais cachée de devoir vivre avec ses moyens plus modestes. « Si certains pensent qu’ils peuvent jouer à Saint-Nicolas, c’est leur problème, commente le ministre wallon du Budget, Jean-Luc Crucke (MR). Que la comparaison avec la Flandre puisse servir d’électrochoc à la Wallonie, c’est plutôt une bonne chose. Mais ne faisons pas de cette crise un élément communautaire supplémentaire. Nous ne pouvons plus dépenser sans compter : tout euro dépensé doit être justifié, utile et efficace. Voilà ce que doit être la culture wallonne pour aujourd’hui et pour demain. »

Dans leurs récentes Perspectives économiques régionales 2020-2025, le Bureau fédéral du plan et les instituts de statistique régionaux ont recensé, depuis le début de la crise, les dépenses en primes compensatoires de chaque Région face au Covid-19 (hors garanties, crédits, prises de participations ou reports de paiement de taxes). Selon les chiffres arrêtés au 10 juin, leur coût s’élève ainsi à 1,7 milliard d’euros en Flandre, à 516 millions en Wallonie et à 209 millions en Région bruxelloise. Rapportées par PME selon le calcul du Vif/L’Express (chiffres 2018), ces dépenses atteignent 2.545 euros en Flandre, 1.640 euros en Wallonie et 1.583 euros dans la capitale. Les écarts devraient encore se creuser, vu que les mesures toujours en vigueur à l’heure actuelle s’avèrent globalement plus généreuses au nord du pays.

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Les entreprises wallonnes plus fragiles

Outre ces disparités budgétaires, les résultats de l’enquête de l’Economic Risk Management Group (ERMG) du mois de juin indiquaient que les entreprises plus petites étaient davantage exposées à des problèmes de liquidités et à un risque de faillite dans le cadre de la pandémie.

Or, la taille moyenne des entreprises wallonnes est plus faible qu’en Flandre, comme le rappelle Olivier de Wasseige, directeur général de l’Union wallonne des entreprises (UWE). « Aujourd’hui, la Flandre compte en moyenne 11,8 employés par entreprise, contre 9,1 seulement en Wallonie, expose-t-il. Cette différence de près de 30 % est un réel handicap, que nous épinglons depuis des années. »

Plus inquiétante encore, cette estimation de l’Institut wallon de l’évaluation, de la prospective et de la statistique (Iweps), dans son dernier rapport sur les tendances économiques de la Wallonie : même « à classe de taille identique, les entreprises wallonnes se trouveraient dans des situations financières plus précaires ». Notamment parce que ces dernières sont en général moins capitalisées qu’au nord du pays. « La crise a démontré que le chiffre d’affaires de bien des entreprises ou des indépendants servait essentiellement à alimenter leurs revenus de fin de mois, constate Christophe Wambersie, secrétaire général du Syndicat neutre pour indépendants (SNI). Une entreprise au bord de la faillite après un mois d’inactivité ne constitue pas une structure financière solide, mais plutôt une activité de subsistance. »

Moins soutenu, plus fragile dès le départ, le tissu économique wallon risque-t-il de subir encore plus la crise que le nord du pays, grevant d’autant plus les recettes régionales et entraînant ainsi un cercle vicieux ? Cette hypothèse n’apparaît pas à court terme, comme le laisse entrevoir le Bureau fédéral du plan : « En adoptant le scénario macroéconomique national de référence établi en juin dernier par le BFP, qui table sur une baisse du PIB de la Belgique de -10,5% [en 2020], nous estimons la contraction du PIB à -11,1% en Flandre, -10,3% en Wallonie et -9,3% à Bruxelles. En effet, […] le PIB flamand pourrait notamment être fragilisé par la part relativement plus grande de la branche « commerce et Horeca », particulièrement affectée par la crise, et par le poids plus important de son industrie, notamment des branches « biens d’équipement » et « biens de consommation ». […] Néanmoins, les écarts attendus globalement entre Régions apparaissent, somme toute, faibles en proportion du choc baissier. « Par ailleurs, les spécificités sectorielles du sud du pays, où la part de services publics est notamment plus élevée, devraient y protéger davantage le pouvoir d’achat des ménages (-1,4%) qu’en Flandre (-2,5%) et qu’à Bruxelles (-1,8%).

Sur le long terme, c’est bien par l’entreprise privée que l’on redressera la Wallonie, comme le montre la trajectoire flamande.

Et après 2020 ? Là encore, les perspectives n’augurent pas un décrochage wallon plus significatif qu’ailleurs en raison de la crise. Durant les deux prochaines années, la croissance du PIB sera certes plus importante en Flandre, suivie de la Wallonie puis de la Région bruxelloise (voir également le graphique ci-contre). Mais le Bureau du plan attribue cette tendance à un effet rebond plus marqué, dès 2021, dans les branches et les régions qui ont été les plus touchées en 2020. « De 2023 à 2025, la progression annuelle moyenne des PIB régionaux retrouverait des rythmes proches de ceux observés récemment, soit 1,5% en Flandre, 1,1% en Wallonie et 0,9% à Bruxelles « , poursuit-il. Un écart toujours plus large, donc, mais conforme à la cadence d’avant-crise de chaque région. « Sur le long terme, c’est bien par l’entreprise privée que l’on redressera la Wallonie, comme le montre la trajectoire flamande », commente Olivier de Wasseige.

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 » Relativiser les primes  »

Aucun observateur contacté ne craint que les disparités dans les primes débloquées en urgence par les Régions pénalisent l’économie des moins généreuses d’entre elles. « Cela n’aidera évidemment pas la Wallonie à résorber son retard par rapport à la Flandre, mais il faut relativiser l’impact de ces primes régionales, résume Christophe Wambersie. Même si elles se sont révélées précieuses dans de nombreux secteurs, dont l’Horeca, ces différences de quelques milliers d’euros ne vont ni définitivement sortir une entreprise d’un problème, ni l’enfoncer davantage. »

De même, si la santé financière d’une Région et les aides qu’elle peut apporter constituent très certainement un critère de choix pour une entreprise à la recherche d’un emplacement pour son siège social, le risque d’une concurrence accrue à cet égard, ou de délocalisations de la Wallonie vers le nord du pays, semble minime.

Chaque Région a en effet des atouts à faire valoir. « Plus un pays est riche, plus il est évidemment en mesure d’aider son économie, précise Joseph Pagano, professeur de finances publiques à l’UMons (lire aussi son interview). Le même schéma s’applique aux Régions.

Mais, première limite, si la Flandre a plus de moyens, elle a aussi beaucoup plus d’entreprises à aider. Deux : transférer une entreprise, ça coûte énormément d’argent. Dans le contexte actuel, la plupart des entreprises n’en ont tout simplement pas les moyens. D’autant que les terrains sont bien plus rares et chers en Flandre qu’en Wallonie. Trois : il ne faut pas sous-estimer les problèmes d’adaptation d’une délocalisation des activités. Et quand bien même un entrepreneur wallon chercherait à se délocaliser pour les raisons évoquées, il aurait tout intérêt à aller au Luxembourg plutôt qu’en Flandre.

« Du nord au sud, même galère, donc. Quelle que soit la Région, la stratégie de relance se décline en trois étapes : d’abord parer à l’urgence, en renflouant les caisses via les primes, puis soutenir la solvabilité d’un maximum d’entreprises via des garanties ou des prêts, avant de redéployer, en dernier lieu, les investissements. » Pour le moment, nous agissons encore, pour l’essentiel, au niveau des deux premiers volets, détaille le ministre wallon de l’Economie, Willy Borsus (MR). Vu le rebond de l’épidémie, je considère que nous sommes toujours dans l’urgence pour certains secteurs. Nous réfléchissons donc à de nouveaux dispositifs centrés sur ces derniers. » Quatre exemples parmi d’autres : les auto- caristes, les voyagistes, l’événementiel et l’aéronautique.

La renaissance

Mais dans l’ensemble, le mécanisme des aides d’urgence arrive à bout de souffle, tant au nord qu’au sud du pays. Les Régions s’apprêtent à franchir une étape décisive pour leur trajectoire économique future : celle de la renaissance.  » Aucune d’entre elles ne sera en mesure de continuer à financer des primes qui font office de dons pendant des mois, confirme Clarisse Ramakers, directrice Lobby à l’Union des classes moyennes (UCM).

La vraie question aujourd’hui, c’est de savoir comment gérer la période à venir, puisqu’il n’y a toujours pas de solution pour contrer le virus. »

Jean-Luc Crucke distingue, lui aussi, la relance des mesures Covid prises ces derniers mois. C’est tout l’enjeu du plan Get up Wallonia, pour lequel une enveloppe de 400 millions d’euros est déjà réservée. « Le rôle du public sera de financer la formation et de suppléer les carences d’investissements, puisque le privé n’est pas encore en mesure de le faire, indique-t-il. Toute la difficulté sera de déterminer vers qui iront les aides : vers les entreprises qui sont solvables et que l’on peut sauver, ou vers celles qui seraient de toute façon tombées à un moment ou l’autre, parce qu’elles ne disposent ni de process suffisamment modernes, ni d’une capitalisation suffisante ? Tenir à bout de bras quelqu’un au-dessus de l’eau, en sachant qu’il coulera dès qu’on le lâchera, c’est de l’argent public perdu. Sur le plan social, il doit répondre aux critères de solidarité et sur le plan économique, à une certaine rentabilité. »

On a certes fait émerger des secteurs de pointe en Wallonie, mais on n’a pas fini le travail.

Autre priorité, sur laquelle insiste l’Union wallonne des entreprises : les spécialisations de recherches. « Quels sont les secteurs structurants pour la Wallonie et créateurs de valeur ajoutée de manière macroéconomique ? Ce travail a déjà été entamé à l’époque des pôles de compétitivité, mais il faut encore aller plus loin », estime Olivier de Wasseige. « On doit s’inspirer du patriotisme économique régional flamand, ajoute Clarisse Ramakers. On a certes fait émerger des secteurs de pointe en Wallonie, mais on n’a pas fini le travail. La plus-value de ces cinq secteurs doit aussi pouvoir rayonner sur des acteurs de sous-traitance qui leur sont moins dédicacés. L’une des priorités est de mailler les entreprises entre elles, de leur permettre de mieux travailler ensemble et d’être ainsi assez solides pour pouvoir exporter. »

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Sur le plan politique, la relance annonce un autre (vieux) débat en Belgique francophone : quel avenir pour les compétences de la Fédération Wallonie-Bruxelles ? « Nous perdons de l’efficacité dans l’organisation de nos institutions, relève Jean-Luc Crucke, en régionaliste convaincu. Il est aberrant que la Région travaille au niveau des entreprises et des formations postscolaires, mais sans avoir la main sur le scolaire, les hautes écoles ou les universités. C’est un non-sens total. »

Willy Borsus confirme : « Il est clair que nous aurons un rendez-vous institutionnel intrafrancophone. A ce stade, les entreprises attendent de l’action immédiate. Mais celle-ci ne doit pas nous dispenser de réfléchir au moyen terme, c’est-à-dire à la façon dont l’espace francophone peut s’organiser pour être plus efficace. Ce sera le débat d’après. »

BBZ : révolution dans le budget wallon

On efface tout et on recommence. En simplifiant quelque peu, c’est la nouvelle logique budgétaire vers laquelle se dirige la Wallonie. C’est aussi une première dans le pays, insiste le ministre wallon du Budget, Jean-Luc Crucke (MR). Nom de code : BBZ, pour Budget base zéro. Concrètement, cette méthode consiste à remettre à plat toutes les dépenses en les mesurant à l’aune de leur efficacité, plutôt qu’en ajustant simplement à la marge les lignes du budget de l’année précédente. D’où la potentielle révolution qu’elle induit dans tous les domaines, puisqu’elle s’appliquera, en quatre vagues, à l’ensemble des compétences détenues par la Région – tant au Service public de Wallonie que dans les unités d’administration publique. L’exercice est périlleux : la logique BBZ peut en effet occasionner de subites coupes budgétaires pour les départements dont les moyens hérités jusqu’ici seraient jugés disproportionnés par rapport à leur efficience réelle. Jusqu’à engendrer des levées de boucliers ?

D’après le ministre Crucke, l’application de cette méthodologie à trois pilotes, au cours du premier trimestre 2020, s’est révélée positive. « La crise ne doit pas nous empêcher d’analyser nos dépenses sous l’angle de l’efficience, souligne-t-il. C’est un regard introspectif qui vise à déterminer si on peut travailler autrement, mieux, et réorienter les moyens publics existants. « Le gouvernement wallon désignera l’adjudicataire du marché à la rentrée. Début septembre, Jean-Luc Crucke et Elio Di Rupo, le ministre-président wallon rencontreront également tous les administrateurs généraux et les comités de direction en ce sens.

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© BELGA

Une relance plus lente à Bruxelles

Vu son statut de capitale, la Région bruxelloise se distingue de la comparaison socio-économique Wallonie-Flandre. Elle devrait toutefois se relever plus lentement de la crise. Notamment parce que la relance de son économie, dans de nombreux secteurs, est davantage conditionnée à la reprise du tourisme, toujours en berne.

Comme le montrent les perspectives régionales 2020-2025 (voir le graphique page 46), ce n’est qu’en 2023 que Bruxelles renouerait avec son volume annuel d’activités de 2019, contre 2022 dans les deux autres régions. « La croissance bruxelloise resterait aussi pénalisée à moyen terme par le lent déclin de l’industrie manufacturière régionale et par le léger recul de la branche commerce et Horeca », note encore le Bureau fédéral du plan.

A ce stade, la Région a déjà dépensé quelque 460 millions d’euros en aides d’urgence. En juillet dernier, elle y a ajouté une enveloppe additionnelle de 120 millions. Les mesures d’un plan de relance à plus longue échéance sont, elles, attendues pour la rentrée.

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