Contrainte et liberté

Louis Danvers
Louis Danvers Journaliste cinéma

Sylvie Testud campe idéalement l’héroïne de Stupeur et tremblements, dans l’intelligente adaptation par Alain Corneau du roman d’Amélie Nothomb

Quand elle entre dans une pièce, quelque chose se passe, tout le mon- de se tourne vers elle. Il émane d’Amélie Nothomb l’aura particulière des gens – rares – qui vivent leur vie avec la plus grande liberté.  » Sylvie Testud est admirative lorsqu’elle évoque la romancière de Stupeur et tremblements. Mais c’est vers la jeune actrice française qu’ira l’admiration de tous ceux et celles qui s’en iront goûter aux charmes ambigus du film qu’Alain Corneau a tiré du livre. Adaptation précise, intelligente et maîtrisée, l’£uvre du réalisateur de Série noire et de Tous les matins du monde offre à Testud un défi dont elle fait un modèle d’interprétation réussie.

Les centaines de phrases en japonais apprises pour l’occasion, l’immersion dans la pensée et le style  » nothombiens « , la discrète Sylvie s’en est fait un plaisir autant et plus qu’un devoir. Elle est extraordinaire de justesse, d’humour et de pertinence dans ce personnage d’Amélie que l’écrivain calqua sur sa propre expérience de jeune Belge employée à Tokyo, dans une grande entreprise nipponne où elle vécut durant une année quelque chose comme une descente aux enfers. Dans un environnement dominé par une logique hiérarchique poussée jusqu’à l’absurde et des rapports maître-esclave humiliants pour chacun, Amélie partira tout au pied de l’échelle, pour finir encore nettement plus bas ! Sylvie Testud campe idéalement cette jeune personne tout à la fois lucide, critique, mais aussi bien décidée à poursuivre coûte que coûte une expérience illuminée cruellement par la beauté subjuguante de sa supérieure directe, Mademoiselle Fubuki.

 » Je ne crois pas avoir en moi la force de construire un personnage, déclare avec un léger soupir Sylvie Testud. Il faut absolument qu’on me place dans une situation qui fasse que le résultat soit là. Et c’est ce qui s’est passé avec Stupeur et tremblements. Amélie Nothomb donne de nombreuses indications dans le texte même de son livre, elle a cette autodérision permanente qui assure que rien ne sera figé, bétonné. Je suis donc arrivée ouverte aux situations de jeu dans lesquelles Alain Corneau m’a lancée. Je ne me suis rien interdit, et le résultat est venu, dont on me dit qu’il est très proche d’Amélie Nothomb, jusque dans certaines attitudes et expressions du visage. Or je ne l’avais jamais rencontrée avant de faire le film…  »

Ne rien s’interdire

Le secret de cette réussite, l’actrice l’assimile à  » cet instinct qu’il nous faut retrouver une fois le texte appris : la personne, vous devez la sentir dans l’instant, car être comédien est un art du présent. Avec le personnage d’Amélie, j’ai eu comme une discussion. Quand vous discutez avec quelqu’un, vous ne vous demandez pas comment vous allez répondre ou comment vous allez écouter l’autre. Ça se passe, simplement. De manière vivante. Un acteur n’arrive pas sur un plateau en sachant comment il va faire le personnage. Il connaît son texte, le reste doit venir du dialogue qu’est le tournage d’un film. Si vous décidez d’avance que vous allez jouer de telle ou telle façon précise, vous courez droit au carton !  » Cette disponibilité de Testud, à ne point confondre avec ce qu’il est convenu d’appeler l’improvisation, explique sans doute que, placée dans des conditions fictionnelles extrêmement proches de celles rencontrées par Amélie Nothomb dans la réalité, elle en soit venue à lui ressembler… l’espace d’un film.

Le roman, Testud l’avait lu un soir durant le tournage des Blessures assassines, dans une chambre d’hôtel au Mans. Une expérience si marquante qu’elle s’en alla, dès le lendemain, acheter les autres livres de Nothomb.  » J’en lis beaucoup, des bouquins, explique la comédienne, mais une personnalité d’écrivain comme elle, je n’en vois aucune autre ! La plupart du temps, lorsque vous commencez à lire un livre, vous découvrez un rythme, une pensée, un personnage, et vous entrez dans le roman. Avec Amélie Nothomb, c’est autre chose. Quand vous ouvrez un de ses bouquins, ce n’est pas vous qui y entrez mais c’est comme si elle en sortait pour venir, elle, vers vous. Elle est là, vous la voyez. Et quand vous refermez le livre, elle est partie. C’est comme une rencontre. Vous ne vous identifiez pas. Vous aimeriez l’avoir pour amie, peut-être… J’envie un peu la folle liberté qu’elle prend dans sa vie réelle, moi qui ne fais l’expérience de pareille liberté que dans le cadre d’un rôle, d’un personnage.  »

La langue de l’autre

On parle évidemment beaucoup de la performance qui consiste, pour Sylvie Testud, à avoir appris un texte essentiellement composé de phrases japonaises. L’actrice relativise cet élément pourtant peu banal en estimant que  » tout texte écrit par quelqu’un d’autre que vous, si vous devez l’apprendre, représente un effort comparable, quelle que soit la langue dans laquelle il est écrit. Même s’il est en français. Votre français et le mien ne sont pas identiques. Il n’existe pas deux personnes qui composent leurs phrases de la même manière, qui parlent avec le même rythme. Parler la même langue et parler le même langage sont deux choses différentes. Je n’ai pas appris à parler le japonais, j’ai appris à parler comme Amélie Nothomb lorsqu’elle travaillait au Japon…  »

Sylvie Testud sourit de ses propres paradoxes. La jeune actrice rayonne d’un fragile mais visible bonheur d’avoir pu vivre l’expérience de Stupeur et tremblements.  » J’adore faire du cinéma parce qu’il me permet d’être plus que moi-même. On me demande d’être là physiquement, mais on attend autre chose de moi que… d’être moi. Je ressens un plaisir immense à cette liberté provisoire, cette légèreté de ne plus devoir jouer à être soi-même. Quand j’avais 13 ans, j’étais un garçon manqué. Un matin, j’ai eu envie de mettre une robe, pour aller à l’école. Mais je ne l’ai pas fait, pour qu’on ne se moque pas de cette soudaine entorse à la perception que les autres avaient de moi. On ne cesse de s’aligner sur une certaine image de soi et c’est parfois très lourd. Au fond, c’est au cinéma que je joue le moins !  »

Louis Danvers

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