Complices en ténèbres

Krzysztof Warlikowski met en scène, à la Monnaie, le plus infernal trio de Verdi – Macbeth, son épouse et le chour des sorcières. Et c’est presque du cinéma chanté…

Simplifions l’histoire : après des années de séparation forcée – lui guerroyait, elle attendait le retour du héros -, un couple d’Ecossais reprend forme. Et voilà qu’à peine réunis, ces deux amants-là, au lieu de se donner du bon temps, se mettent à exécuter un projet absolument dément : conquérir le pouvoir à coups de poignards… Macbeth et sa Lady, qui n’a rien d’une dame (Verdi la voulait monstrueuse, dotée d’une voix caverneuse), ont été incarnés tant de fois au théâtre (depuis la création de la pièce de Shakespeare au début du xviie siècle), puis à l’opéra (dès le triomphe du drame lyrique en 1865), que montrer cette paire de dingos sous des traits neufs tenait du défi. Il fallait donc l’originalité du regard cinématographique de Krzysztof Warlikowski pour placer le ménage maudit dans un contexte proche de notre époque – comme pour en passer plus aisément la folie à la loupe. Car le metteur en scène polonais, par l’usage quasi constant, sur scène, de vidéos donnant à voir ses personnages en très gros plans, dissèque leurs émotions avec l’obsession d’un behavioriste forcené. Son parti pris est le suivant : si Lady Macbeth est bien une névrosée psychotique (tantôt énergique, tantôt mélancolique), son officier de mari subit le  » syndrome de stress post-traumatique « . Sur le champ de bataille, Macbeth en a tout simplement trop vu. Alors quelques meurtres de plus ou de moins…

Pris aux tripes

Après plusieurs productions usant, cette saison à la Monnaie, d’un dosage excessif de testostérone, la lecture en américain d’une lettre écrite sur le front, puis la dégaine de GI d’un Macbeth débouclant virilement son ceinturon, ont fait craindre le pire, dès l’ouverture. Mais le deuxième acte se débarrasse magistralement de cette esthétique militaire, pour une scène du banquet soufflante. Après avoir envoyé le roi Duncan, son ami Banquo et le fils de ce dernier ad patres, Lady Macbeth (Iano Tamar et Lisa Houben, en alternance) organise un dîner qui tourne vite au cauchemar. A table, à la stupéfaction des convives et au désespoir de l’hôtesse qui comprend que la fragilité de son homme va les conduire tous deux au désastre, Macbeth enchaîne les crises d’angoisse. Lorsqu’il pète un plomb, puis deux, des caméras dissimulées à hauteur d’assiettes multiplient les points de vue. Face à l’effondrement du puissant, le passage de la liesse à l’effarement, sur ces visages à l’expression parfaite, légèrement ralentie et décalée (comme sur une webcam), prend véritablement le spectateur aux tripes. En salle, du haut du quatrième balcon où la mise en scène les a reléguées, les voix des choristes ajoutent au malaise. La magie tient alors jusqu’au bout, renforcée par les allées et venues des énigmatiques (petites) sorcières. Point de marmite, ici, ni de folklore Halloween. Warlikowski a choisi de faire tenir le rôle par des enfants, étranges apparitions dont l’ambiguïté (les garçonnets sont habillés comme des filles) souligne la perte de repères de l’Ecossais régicide. Souvent difficile à justifier, la présence de ces créatures prophétiques trouve ici une raison d’être parfaitement logique : les visions hallucinées, les souvenirs obsédants figurent en effet parmi les principales pathologies des traumatismes psychiques des conflits modernes… Macbeth (Scott – ça ne s’invente pas – Hendricks) ne s’en remettra pas. Quand sa Lady deviendra complètement gaga, il rappellera que  » la vie n’est qu’une histoire racontée par un idiot, pleine de bruit et de fureur, et ne signifiant rien « , avant de rendre les armes, pour de bon cette fois.

Macbeth, à la Monnaie, à Bruxelles, jusqu’au 30 juin. www.lamonnaie.be

VALéRIE COLIN

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