Community manager, une profession de foi

Il s’agit d’évangéliser le marché et de multiplier le nombre de ses adeptes.

A l’approche du baccalauréat, un ami tombe de sa chaise. Son fils, qui voulait devenir prêtre à la stupeur de sa famille athée, vient de changer d’avis.  » Il veut embrasser une carrière de community manager. Tu te rends compte ? !  »

Community manager, l’un des plus éprouvants métiers du Web ! Le gestionnaire de communautés est agent d’accueil et de renseignement en ligne, il tient le bureau des plaintes numériques, lutte contre les intox, pratique parfois la désinformation, lance des buzz, accélère le traitement des réclamations des clients et des usagers, il renseigne illico les journalistes et fait copain-copain sur Facebook avec le public. Il est une sorte d’ambassadeur patient, prêt à tout lire avec empathie et mesure. Calinothérapeute pour cyber-casse-bonbons, il est aux internautes ce que Nestor, le majordome, est aux visiteurs dans les albums de Tintin.

Etre community manager est un sacerdoce, un job de moine soldat. Il faut croire en sa marque, en l’institution et dans le message que l’on sert. Le père est catastrophé.  » Tu comprends ! Il va être exposé aux violences verbales, aux agressions et exigences de ces consommateurs ivres de leurs droits ! Sans parler des lyncheurs, des obsédés, de tous ces tarés qui hantent les réseaux et rédigent leurs messages vénéneux ! Sa mère n’en dort plus ! Je connais un community manager qui a craqué, il a twitté « Je vous emmerde » à sa communauté un soir d’épuisement : le pauvre est en maison de repos !  »

Dans une société de défiance,  » manager  » les communautés n’est pas une sinécure. Clients remontés, psychopathes du service après-vente, illuminati de la ristourne, révisionnistes du rapport qualité-prix, complotistes de la traçabilité, écologistes forcenés, délateurs déguisés en lanceurs d’alerte, sans oublier les anonymous qui se prennent pour Jean Moulin, les hackers qui s’imaginent être Robin des bois et les pirates qui pensent réellement oeuvrer à l’intérêt général.  » Le pire, c’est le militant, soupire le père. Il a toujours la morale de son côté et chasse en meute.  »

Il faut en effet une bonne dose d’abnégation pour s’aventurer sur Internet et y défendre un labo, une banque, un parti ou même une association face aux revendications désormais permanentes des clients, usagers et citoyens. Autrefois, la majorité était silencieuse, disciplinée, et cohabitait avec l’imperfection du monde. Les temps ont changé et c’est désormais au community manager qu’elle demande des comptes sur Internet.

Le community manager a la patience d’un missionnaire, l’écoute d’un confesseur, la douceur d’une bonne soeur et l’âpreté à la tâche d’un bénédictin. C’est le community manager qui industrialise la génuflexion et le repentir des organisations devant la fureur numérique, c’est lui qui calme, rassure, temporise. Le community manager est une figure moderne de la pénitence et du pardon. Car c’est lui, aussi, qui assure la liaison avec les fidèles de la marque, les fans (fanatiques ?) et, bien sûr, les clients. Tel un pasteur, il guide le troupeau vers le processus d’achat, d’adhésion ou de soutien on line. En cela, son métier consiste à évangéliser le marché et à multiplier le nombre des adeptes.

 » J’aurais préféré qu’il devînt prêtre « , se lamente le père pendant que je le réconforte comme je peux. Son fils changera peut-être d’avis. Et puis, community manager, ce n’est tout de même pas pianiste dans un bordel.

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