Comment éviter le pire

Après la dégradation de la note des Etats-Unis, c’est toute l’économie mondiale qui se trouve au bord de la rupture. Du choc salutaire au krach, tout peut arriver.

Des Bourses affolées que plus rien ne semble pouvoir rassurer, des dirigeants déboussolés, contraints de multiplier, au c£ur d’un week-end estival, les conférences téléphoniques d’un bout à l’autre de la planète : le scénario semble se répéter inlassablement. Depuis septembre 2008, l’économie mondiale tutoie régulièrement le bord du gouffre. De New York à Francfort, en passant par Tokyo, chacun se demande, une fois encore, comment éviter le pire.

 » La nouvelle de ma mort a été fortement exagérée.  » Tel est le contenu du télégramme envoyé par l’écrivain Mark Twain à des journaux qui avaient prématurément annoncé son décès. En fin de semaine dernière, les rédactions ont reçu une dépêche qui aurait pu être intitulée :  » La nouvelle du rétablissement de l’économie mondiale a été fortement exagérée.  » Peu connue pour son sens de l’humour, l’agence de notation Standard & Poor’s s’est contentée d’indiquer qu’elle dégradait la note de la dette des Etats-Unis (de AAA à AA +), pour la première fois depuis la création de l’agence, en 1941. La décision, ô combien symbolique pour la première puissance mondiale, a semé la panique sur des marchés déjà passablement énervés par les mésaventures de la zone euro. Lundi 8 août, le BEL 20 achevait sa onzième séance consécutive de baisse par une chute de 3,7 %, suivie tout de même, le lendemain, d’une hausse de 2,8 %.

Cette dégringolade boursière vient parachever le délitement d’économies occidentales à bout de souffle. Et consacrer l’incapacité des politiques à répondre efficacement aux assauts des marchés.

La séquence, en tout point désastreuse, démarre en fait au printemps. Pour ceux qui ont suivi les saisons précédentes, le scénario a un air de déjà-vu plutôt décourageant. Il se déroule de manière presque symétrique des deux côtés de l’Atlantique. En Europe, c’est à nouveau la Grèce qui met le feu aux poudres en appelant au secours. La purge infligée en contrepartie du premier plan d’aide, en mai 2010, n’a pas produit les effets escomptés : le chômage a grimpé, passant de 9 % à 16 %, et le PIB, qui avait déjà reculé de 3 % en 2009, a encore chuté de 4,5 % en 2010. Le second plan d’aide, adopté le 21 juillet après moult tergiversations – et au prix d’un défaut  » sélectif et temporaire  » du pays – n’aura finalement calmé les marchés qu’une petite dizaine de jours. Ce sont désormais l’Espagne, et surtout l’Italie, qui se trouvent dans le viseur des spéculateurs.

Trop gros pour être sauvésà et pour être abandonnés

Même cacophonie à Washington, où démocrates et républicains se sont écharpés pendant des mois avant de trouver un accord de dernière minute sur le relèvement du plafond de la dette du pays. Sans quoi, le pays aurait été dans l’impossibilité de payer ses fonctionnaires. Le suspens n’a fait que renforcer les doutes des professionnels des marchés, dont beaucoup s’interrogeaient, depuis de nombreux mois déjà, sur la capacité du pays à faire face à sa dette abyssale (plus de 14 500 milliards de dollars). Comme l’écrit le journaliste du Daily Telegraph Jeremy Warner :  » C’est comme si les responsables politiques conspiraient délibérément afin d’amener la crise à son paroxysme.  »

Mission accomplie. D’autant que la détérioration de la conjoncture a achevé de mettre le feu aux poudres. Aux Etats-Unis, le spectre du double dip, cette fameuse rechute de l’économie longtemps retardée par les plans de relance géants et les multiples injections de liquidités, plane désormais. Après la révision à la baisse des chiffres de croissance pour le premier trimestre (passés de 1,9 % à 0,4 % en rythme annuel), ceux du deuxième trimestre se sont révélés décevants (1,3 %). Depuis quelques semaines, hormis l’emploi (9,1 % de chômage tout de même), les indicateurs passent les uns après les autres au rouge : commandes industrielles, dépenses des ménages, prix de l’immobilierà

Cette morosité américaine pèse sur l’Europe, également à court de cartouches pour relancer son économie. Et déjà contrainte de surenchérir sur le plan du 21 juillet, un peu vite qualifié d’historique par le club des incorrigibles optimistes. Doté de 440 milliards d’euros, le Fonds européen de stabilité financière (FESF) se révèle en effet insuffisant pour voler au secours de l’Espagne et de l’Italie. Il faudrait donc lui donner plus de moyens, comme l’a proposé la semaine passée le président de la Commission européenne, José Manuel Barroso. Mais cela suppose un processus complexe, en décalage avec l’urgence de la situation. L’éventualité a par ailleurs été écartée par l’Allemagne, arc-boutée sur sa position rigoriste. L’Italie et l’Espagne sont ainsi  » trop gros  » pour être abandonnésà mais aussi  » trop gros  » pour être sauvés. D’où l’impasse.

Trois scénarios : accalmie, croissance molle ou krach

Que peut-il dès lors se produire ? Le scénario le plus optimiste, mais aussi le moins probable, est celui d’une accalmie. Ainsi Patrick Artus et ses équipes de Natixis jugent-ils paradoxalement que l’abaissement de la notation des Etats-Unis comporte quelques avantages :  » Cela invite les Etats à précipiter les mesures de consolidation budgétaire, ce qui renforcera la qualité intrinsèque des titres publics. [à] [Cela] a amené la Banque centrale européenne à sortir de sa réserve [à].  » Certes, la BCE est montée au créneau en début de semaine pour annoncer qu’elle achèterait des titres de dette italienne et espagnole. Mais, selon Daniel Cohen, si elle veut véritablement dissuader les spéculateurs, elle doit passer à la vitesse supérieure. Un message fort des grandes puissances économiques – qui pourrait se traduire par une action concertée des banques centrales – serait également nécessaire pour aller plus loin que les déclarations d’intention du G 7, lundi matin. Enfin, il faudrait qu’aucun indicateur décevant ne vienne à nouveau plomber le moral des opérateurs.

Cela fait beaucoup de  » si « à Le risque est donc grand que la défiance des marchés et l’incapacité des Etats à y répondre fassent boule de neige. La baisse des cours, la stagnation et l’austérité pourraient s’alimenter les unes les autres dans une spirale négative. C’est un scénario  » à la japonaise « , sans véritable krach, mais marqué par une croissance durablement molle. Une léthargie qui conforterait le basculement du monde. Les clés de l’économie mondiale ne seraient bientôt plus entre les mains des Occidentaux, mais entre celles des grands pays émergents. A commencer par la Chine, principal détenteur, avec 1 100 milliards de dollars, de la dette américaine, qui avance déjà ses pions. LeQuotidien du peuple, organe officiel du Parti communiste chinois, écrivait ainsi en fin de semaine dernière :  » Si les pays développés, parmi lesquels les Etats-Unis et [ceux de] l’Europe, refusent d’assumer leur responsabilité, cela va avoir de graves conséquences sur la stabilité du développement de l’économie mondiale.  » De même, Gleisi Hoffman, secrétaire générale du gouvernement brésilien, a-t-elle estimé que les dirigeants européens et américains  » n’étaient pas à la hauteur « . Difficile de lui donner tort.

Le dernier scénario est celui du krach. Il semble en bonne voie, après plus d’une semaine de chute ininterrompue des principaux indices boursiers.  » Le problème, témoigne un trader, c’est que les marchés ne voient pas ce qui pourrait à court terme enrayer la baisse.  » Le risque est alors celui d’une dégringolade semblable à celle qui a suivi la chute de Lehman Brothers voilà bientôt trois ans. C’est le scénario envisagé, en fin de semaine dernière, par l’anthropologue Paul Jorion – un des rares experts ayant prévu la crise des subprimes -, qui évoquait sur son blog une  » veillée d’armes « . En cas d’effondrement des marchés, la récession serait inévitable, avec son lot de coupes budgétaires plus drastiques qu’aujourd’hui et, in fine, un risque fort d’explosion sociale. Les dirigeants américains et européens, bien lents à prendre la mesure de la gravité de la situation, ont encore le temps de se rattraper. Juste un peu de temps.

BENJAMIN MASSE-STAMBERGER; B. M.-S.

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