Comédie politique, acte deux

Les dernières élections sont déjà loin, les prochaines le sont encore plus. Du coup, la scène politique belge se recompose : chaque parti a intérêt à ouvrir grand son jeu. Petit tour des grandes manoeuvres sur les planches, entre réconciliations discrètes et ruptures affichées.

Le monde politique est un théâtre. Vieille comme le monde, éventée comme la Senne, l’analogie a parfois son utilité. C’est qu’aujourd’hui, la scène politique belge se renouvelle. Depuis quelques semaines, le décor a changé. Les rôles aussi. Les acteurs ont assimilé de nouvelles répliques, souvent déclamées avec moins de force, endossent de nouveaux costumes, et s’essaient à de nouveaux effets. Un premier acte fracassant a suivi les trois coups du 25 mai 2014, fait de tirades enlevées, de tumulte et de colère. Le suivant, celui qui nous occupe désormais, fera moins de place à l’action et davantage à de subtils dialogues. Il s’agira, pour le spectateur, de redoubler d’attention. Ce qui pousse les acteurs à réviser leur dramaturgie, c’est l’absence d’unité de temps de la pièce dans laquelle ils jouent : alors que près de deux ans se sont déjà écoulés depuis le prologue de 2014, l’épilogue est encore éloigné de trois années. D’ici à la double campagne communale puis nationale de 2018-2019, chacun doit ouvrir son jeu le plus possible, desserrer sans les renier ses précédentes allégeances, pour ne pas compromettre l’éventualité des prochaines. Bref, sur la scène, les lignes bougent, discrètement ou pas. Voici comment.

MR contre N-VA : beaucoup de bruit pour rien

Dans un vacarme de grosses caisses et de cuivres a été proclamée une rupture, celle des deux plus grands partenaires de la coalition fédérale, la N-VA et le MR. C’est une fracture de carton-pâte.  » Les journaux en ont fait grand bruit, d’abord La Libre, avec des témoignages d’élus MR qui se disaient un peu lassés par la radicalisation de la N-VA, puis, le lendemain, Le Soir, qui fait une manchette sur Olivier Chastel qui aurait « remis Bart De Wever à sa place ». En fait, c’est de la pure com, et les médias entrent en plein dans le jeu du MR « , dit un président de parti. Le récit, au MR, est un peu différent. Il reconnaît un incontestable agacement, en particulier présidentiel, à l’égard des sorties  » délirantes  » du bourgmestre d’Anvers.

Mais, d’une part, celui-ci n’est pas neuf : depuis sa désignation, Olivier Chastel est mandaté pour se distancier de la N-VA. Il le fait à longueur d’interviews, tout en félicitant l’abnégation des ministres nationalistes. Du reste, personne, dans la majorité, n’est dupe de cette distribution. Et surtout pas ses acteurs principaux. Samedi 5 mars, au matin de la publication de l’interview du Soir, De Wever a envoyé un sms à son homologue réformateur. Pour lui dire que Chastel tenait bien son rôle, et qu’il n’y voyait aucun problème.

D’autre part, le choeur réformateur s’indigne de pratiques journalistiques prétendument orientées :  » L’entretien au Soir a duré une heure. Pendant quarante-cinq minutes, toutes les questions n’ont porté que sur la N-VA. Il a fallu qu’Olivier demande qu’on parle d’autre chose pour qu’on puisse le faire… « , s’énerve un parlementaire. En fait, ça l’arrange plutôt. Comme son parti.  » A la Chambre, il nous arrive souvent d’annoncer à nos confrères de la N-VA qu’on va leur envoyer un coup de botte, par médias interposés, parce que, côté francophone, toutes leurs lubies passent mal… « , avance un autre.  » Le MR a besoin, à l’égard de l’extérieur, de titres comme celui du Soir « , ricane Laurette Onkelinx (PS),  » mais à la Chambre, leur attitude, ce n’est pas du tout celle de celui qui remet l’autre à sa place, mais plutôt celle du chien battu et soumis. Ils ne sont pas heureux, mais ils ne peuvent pas faire autrement que de faire durer ce gouvernement « . Un député humaniste ressent néanmoins une atténuation de la discipline gouvernementale dans les rangs réformateurs.  » Il y en a qui se lâchent de plus en plus. Un gars comme Richard Miller se montre souvent gêné aux entournures. Et il y a deux semaines, en commission, Kattrin Jadin a dégommé le projet de Theo Francken de cours de respect des femmes à dispenser aux réfugiés. Jamais ça ne se serait produit en début de législature.  »  » Tous les gouvernements de coalition connaissent des tensions politiques. Ça ne doit pas empêcher d’avancer groupés, et de résister ensemble aux tentatives d’intoxication de l’opposition « , tempère Denis Ducarme, chef de groupe MR à la Chambre. En réalité, elles sont, ces tensions, bien plus rudes entre CD&V et N-VA qu’entre le MR et n’importe quelle autre formation de la suédoise. C’est que celui-ci n’y a que des partenaires, aucun concurrent électoral, et aucun adversaire politique. Sauf, donc, sous les feux de la rampe médiatique.

PS contre CDH : peines d’amour perdues

Les duettistes PS et CDH seraient-ils en voie de séparation ? Le couple a, depuis une décennie, triomphé dans toutes les salles du royaume. Sur la scène du théâtre namurois, rien ne l’indique. Mais les coulisses s’agitent.  » A la Communauté et en Wallonie, on prend de la place, avec des ministres en vue, qui disposent de compétences colossales. Et les socialistes n’aiment pas ça ! « , pose un CDH bien introduit.  » Ces affaires à répétition, autour de Milquet, et maintenant de Di Antonio avec l’Office wallon des déchets, pour nous, c’est de plus en plus clair : il y a du socialiste derrière toutes ces emmerdes ! « , renchérit une autre.  » Ils se détestent toujours plus : il n’a pas fallu longtemps pour que des copains socialistes viennent se plaindre de ces fichus calotins, et en particulier de Milquet et de Prévot, qui les crispent très souvent « , ramasse, avec appétence, un libéral de la Région. Juché sur sa montagne de la Chambre fédérale, Raoul Hedebouw (PTB) a senti souffler ce vent nouveau du marais du centre-gauche.  » Il y a une grosse différence sur les votes « , souligne-t-il.  » Le CDH est beaucoup plus constructif. Sur les thématiques sécuritaires, sur l’intervention en Syrie, il fait même du zèle…  »

 » Au fédéral, le front commun PS-CDH est rompu « , s’amuse un député MR qui affirme avoir  » encore de la terre sous les ongles, après la guerre de tranchées de la première année « .  » Le CDH, ce n’est plus grand-chose, comme parti… Voyez comme Di Rupo claque la porte au nez de Lutgen chaque fois qu’il veut réunir les présidents de partis francophones. Donc, il doit se distinguer à tout prix, quitte à sortir des arguments démagogiques sur le manque de transparence du gouvernement fédéral, ou même, parfois, à le déborder sur sa droite : regardez Dallemagne sur la sécurité, l’islam, la géopolitique… « .  » Ce qu’il se passe, c’est que le PS a voulu coaliser toute l’opposition fédérale et la représenter à lui seul, et plusieurs fois, nous avons refusé de renoncer à nos principes pour mener des combats qui ne sont pas les nôtres. Donc, oui, ça laisse des traces « , explique un député fédéral orange. Tandis que d’aucuns pérorent sur  » l’inévitable fin de cycle d’Elio Di Rupo et de Joëlle Milquet « , à la Région de Bruxelles-Capitale, l’axe rouge-orange tient bon.  » Probablement parce que le PS a besoin d’au moins deux partenaires pour composer une majorité « , conclut le chef de groupe DéFI au parlement bruxellois, Emmanuel De Bock.

PS avec MR : tout est bien qui finit bien

S’entonne alors une des bandes sonores traditionnelles de notre scénographie politique. Si le MR prend tant de soin à se distancier de la N-VA, si le PS s’éloigne du CDH, si le CDH en fait autant du PS, si le MR et le CDH restent irréconciliables, c’est donc que libéraux et socialistes se préparent à coup sûr à pactiser.  » Depuis quelques semaines, je me dis que la messe est dite, et j’en suis à peu près certain « , soupire ainsi un député humaniste. Un de ses camarades complète, péremptoire :  » Ils se rapprochent, clairement. Ça se ressent physiquement, par des petites choses moins visibles, dans les couloirs du Parlement, à la buvette, ailleurs : on a les oreilles qui sifflent et le nez qui pique !  » Le spectre de la coalition laïque est un grand classique du XXIe siècle belge francophone. Toujours annoncé, et toujours légitimé par un changement de présidence réformatrice – ce fut le cas, qui s’en souvient, de Didier Reynders après 2004, ce fut le cas de Charles Michel après 2011, c’est le cas d’Olivier Chastel depuis 2014 -, le pacte putatif ne se concrétise jamais.

S’il reprend vigueur, ces dernières semaines, c’est par un double mouvement. Primo, côté jardin, à Namur, l’opposition libérale wallonne s’est forgé un profil régionaliste qui flatte le PS et indispose le communautarisme du CDH. Et Jean-Luc Crucke et Pierre-Yves Jeholet focalisent leurs critiques sur le partenaire orange de la majorité, réputé le plus faible. Cibles privilégiées : les puissances faibles du parti le plus faible, principalement André Antoine, président du parlement, et Carlo Di Antonio, ministre des déchets et du reste.

La pièce avait été jouée pendant la législature précédente, orientée contre les écologistes. Avec le succès critique et public que l’on sait.  » La stratégie du MR wallon est très logique. Mais à la Région de Bruxelles, le MR, c’est rien ! « , complète Emmanuel De Bock :  » Il est trop divisé, il se perd dans des critiques virulentes qui vont dans tous les sens, mais il est incapable d’avancer une contribution claire et cohérente.  » Secundo, toujours à Bruxelles mais côté jardin, en bordure du Parc royal, en revanche,  » c’est le PS qui est revenu vers nous. Laurette Onkelinx s’est calmée « , lâche un député fédéral réformateur. Les louanges adressées par la patronne des socialistes bruxellois à son homologue réformateur, Didier Reynders, au moment de la crise des tunnels, ont surpris jusque dans ses propres rangs. La manière, virulente, avec laquelle, sur un plateau télévisé, elle a remballé la proposition de la CDH Vanessa Matz de réclamer une commission d’enquête sur les attentats de Paris, encore plus.  » C’était l’occasion d’enfin nous sortir des discussions autour de la responsabilité de Moureaux ! Elle ne peut qu’avoir un agenda caché… « , s’étrangle un parlementaire socialiste. Laurette Onkelinx, elle, dément. Tout.  » Le sujet était trop grave pour faire de l’opposition de mariole ! Le CDH reste un bon partenaire d’opposition, mais, oui, avec le MR, on se reparle, comme avec tous les partis démocratiques : il n’y a pas de cordon sanitaire autour de ce gouvernement.  » Elle salue.

Les autres aussi. Le rideau tombe. C’est l’entracte.

Par Nicolas De Decker

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