Colosses aux pieds d’argile

Les sportifs de haut niveau mettent leur corps à rude épreuve. Souvent, des années plus tard, un lourd tribut leur est réclamé. Loin des projecteurs

Faites du sport, c’est bon pour la santé. C’est vrai jusqu’à une certaine limite. Le sport de haut niveau, s’il améliore la condition physique, hypothèque également l’avenir. Le Dr Ouchinsky, du département de médecine sportive de l’ULB, croit même que  » le sportif qui réussit à arriver au sommet et à y rester sans se blesser est un génie, un cas très rare « . Enzo Scifo, célèbre ex-footballeur qui s’y connaît en matière de problèmes de santé, en rajoute :  » Les quelques chanceux qui réussissent à faire une carrière sans se blesser vont de toute façon ressentir l’usure après leur retraite.  »

Il y a une distinction à faire entre les blessures, parfois évitables, et l’usure, conséquence inévitable.  » Aujourd’hui, on fait répéter les mêmes mouvements encore et encore. Dans certains cas, les sportifs passent les six septièmes de leur temps à s’entraîner. Les articulations finissent par s’user. Et un jour, ça lâche « , s’inquiète le médecin spécialisé.

C’est ce qui est arrivé à la hanche d’Enzo Scifo. Très tôt dans sa carrière, une malformation est diagnostiquée. On lui prodigue une série de conseils et on lui fait consulter le meilleur personnel médical. Mais cela ne fait que retarder l’échéance.  » Tu penses toujours pouvoir continuer encore quelques matchs. Jusqu’au jour où, pendant une rencontre, j’ai dû quitter le jeu pour me rendre à la clinique où un médecin m’a annoncé que ma carrière était terminée. On était au c£ur d’une saison, mais moi, je ne pouvais plus continuer. Je savais que ça allait arriver un jour, mais j’ai pleuré quand on me l’a annoncé. C’était très dur.  »

Les effets pervers de la préparation physique

Quelques années de gloire pour finir emprisonné dans un corps prématurément usé.  » Mais ça vaut la peine, je reprendrais la même décision. Je savais que je m’exposais à des risques mais avec tout ce que j’ai vécu, je ne regrette rien « , tempère Scifo.  » Aujourd’hui, on m’a remplacé une partie de la hanche, et je peux reprendre mes activités normales. Fini pour le sport de haut niveau, mais je ne passe plus de nuits blanches à souffrir.  »

Le régime de vie que s’imposent les athlètes semble contre nature. Si bien que la majorité des blessures surviennent à l’entraînement. Est-ce un raccourci de pensée que de croire que les préparateurs physiques sont en partie responsables des dommages causés aux corps des sportifs ? Certainement pas.

Stéphane Cascua, auteur de plusieurs ouvrages sur le sport, affilié au Paris-Saint-Germain comme médecin du sport, estime que le sportif de haut niveau devient un vieillard vers les 35-40 ans, sur le plan articulaire. Les traumatismes qu’il subit usent les cartilages, cette substance lisse qui recouvre les os au niveau des articulations. Autrement dit, les articulations sont touchées malgré ou même à cause des programmes de préparation physique. Celles-ci, pourtant, sont essentielles puisqu’elles contribuent à prévenir d’autres problèmes comme les élongations musculaires, les déchirures, tout en permettant à l’athlète d’aller au maximum de ses possibilités.

Au Sporting d’Anderlecht, par exemple, une équipe médicale veille sur tous les joueurs. Avant, on portait attention aux blessés pour les remettre sur pied. Aujourd’hui, même ceux qui sont en pleine santé sont examinés afin de les conserver dans la meilleure forme possible. Même si, à long terme, il y a des effets néfastes, c’est un passage obligé vers le succès.

L’usure du corps, cela revient à subir aujourd’hui des problèmes de santé qui n’auraient dû survenir que bien plus tard. Pour les joueurs et joueuses de tennis,c’est avoir les genoux et les poignets emprisonnés sous les bandages toute l’année avant d’atteindre la quarantaine. Leurs carrières se terminent beaucoup plus tôt aujourd’hui qu’à l’époque des raquettes en bois.

Durant les années 1980, Boris Becker est le premier joueur mondial à servir des balles dépassant la vitesse des 200 km/h. La décennie suivante verra Venus Williams accomplir le même exploit chez les femmes. Une progression fulgurante. Il faut savoir s’accrocher à sa raquette pour retourner les balles et l’effort à fournir est de plus en plus violent.

C’est ce qui fait qu’après avoir abandonné la compétition pour cause de blessures, on assiste en moins de deux ans à de grands retours post-blessures sur le circuit mondial féminin comme ceux de Justine Henin, Kim Clijsters et, tout récemment, Martina Hingis. Au moment de renouer avec la compétition, la moyenne d’âge des trois ex-championnes ne dépassait pas 24 ans. La vingtaine n’est donc plus le symbole de la verte recrue, mais plutôt celui de la revenante meurtrie. Autres temps, autres m£urs.

Il avait l’attitude, la fougue, la grâce et le talent. Le boxeur Mohammed Ali, alias Cassius Clay. Alors qu’il n’a que 40 ans, on apprend qu’il est atteint de la maladie de Parkinson. Ce qui signifie que son cerveau est atteint d’une déficience en  » substance noire « , un type de cellules spécifiques qui produisent la dopamine.

Les causes exactes de la maladie de Parkinson ne sont pas établies. Mais, ce qui est certain, c’est qu’une commotion cérébrale est le déplacement du cerveau jusqu’à ce qu’il bute contre la boîte crânienne. Ce choc est inhabituel dans la vie de tous les jours, mais fréquent chez les boxeurs, et il cause des dommages au système neurologique. Le vieillissement et la dégénérescence du cerveau en sont, souvent, les suites fatales. C’est comme si les adversaires de l’ex-champion du monde, assistés des effets de l’âge, s’étaient mis en commun pour le mettre KO quelques années après sa retraite. L’usure est souvent un mal plus sournois que la blessure.

L’exemple du hockey sur glace

La pratique au sommet d’un sport comme le hockey sur glace s’attaque au c£ur des joueurs. Plusieurs de ces gladiateurs sur glace sont morts ou ont dû être hospitalisés d’urgence, en Amérique du Nord, suite à des problèmes cardiaques graves.

Le hockey sur glace est caractérisé par des efforts intenses de 45 secondes, pour quelques minutes de repos. S’y livrer quand on est en mauvaise condition physique, c’est risquer d’y laisser sa peau.

Le sport de haut niveau s’apparente à une hypothèque sur la santé des athlètes. On se paie les championnats, les honneurs, la gloire et l’adulation des foules. On met ça sur l’ardoise, jusqu’au jour où les articulations meurtries, le c£ur affaibli ou les courbatures permanentes paient le tribut. Mais, attention, n’y prenons pas prétexte pour abandonner les bonnes résolutions de l’année nouvelle, puisque la pratique raisonnable d’un sport est encore le meilleur moyen de fortifier le corps et de se protéger contre beaucoup de maux.

Daniel Gagnon

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