Colin-maillard, huîtres et pugnetta

Dans Histoire de ma vie, Casanova décrit de nombreuses scènes révélant son approche du plaisir et de la sexualité. Florilège.

Comme les £uvres chorégraphiques ou musicales font leur entrée au répertoire, les occasions produisent les expériences. Celles de Casanova relèvent d’un libertinage délicat : à l’opposé des romans pornographiques, la sexualité décrite dans Histoire de ma vie ne connaît aucune figure imposée et intègre une forte dimension affective. Il a toujours privilégié l’intérêt qu’il prenait aux situations sur le nombre ou la diversité des expériences. Sa grande leçon n’est pas  » jouissez sans entraves « , mais  » jouez de vos limites « .

ANTIPHYSIQUE. La scène se passe en Turquie. Le jeune Giacomo est venu tenter sa chance à Constantinople ; au coin d’un parc, son ami Ismaïl lui fait une tendre proposition. Surpris, embarrassé, il décline. Plus tard, tandis qu’ils observent ensemble des femmes prendre le bain, l’excitation monte et Giacomo finit par goûter avec Ismaïl l’amour qu’on nomme alors  » antiphysique « .  » Ce brave homme me donna le plus agréable de tous les démentis, et goûta la plus douce de toutes les vengeances.  » A part deux autres expériences qu’il a renoncé à conter, Casanova préférera néanmoins les femmes. Non par principe, mais par goût.

COLIN-MAILLARD. Lorsqu’il était adolescent, Giacomo était terrorisé par les conséquences possibles de l’amour : mettre enceinte sa camarade et se trouver lui-même pris au piège d’un mariage. Nanette et Marton, les cousines de sa bien-aimée Angela, n’eurent pas tant de scrupules. Un premier soir, elles organisèrent un jeu de colin-maillard, pendant lequel le garçon n’obtint rien de celle qu’il aimait. Un second soir, le jeu reprit, mais sans Angela. C’est alors qu’avec les deux cousines Giacomo, pénétrant l’obscurité, se libéra de ses angoisses.

ÉCHANGISME. Casanova a déjà 44 ans tandis qu’il voyage avec un jeune couple, formé de miss Beti et d’un jeune libertin français. Le garçon lui fait des avances pour des parties fines, mais, plus lent, plus résolu, plus réfléchi, Giacomo préfère libérer la fille de l’emprise du bonhomme. Comment ? Tout simplement en dévoilant les contradictions de certains libertins. Ayant fait boire le Français, il le pousse à exposer crûment une théorie de l’échangisme qui tourne au maquerellage. La jeune femme doit désormais combattre son amant pour éviter qu’il ne la force à coucher avec Giacomo. Dispute, insultes. Amère désillusion. Le couple est brisé, mais miss Beti est libre. Dans l’esprit de Casanova, on n’échange pas la liberté. Etre libre, c’est se donner.

HUÎTRES. L’époque était au repas d’huîtres : chaque convive pouvait en manger une centaine. Tandis qu’il dîne avec Emilie et Armelline, deux jeunes filles qui sont prisonnières d’un couvent, Giacomo entreprend de les initier au plaisir de la dégustation. Les huîtres à la Casanova, c’est difficile ! Il faut d’abord  » humer l’eau en gardant l’huître entre ses lèvres  » ; ensuite, se retenir de l’avaler ou de la faire tomber à terre ; et vite, collant les lèvres aux lèvres de Casanova, la mettre dans sa bouche ! Plus difficile : verser à la fois l’huître et l’eau. Dieu merci, si l’huître vous tombe dans le corsage, votre ami prévenant va la chercher lui-même.

LETTRES. L’un des plus grands plaisirs dont Casanova ait fait l’expérience est celui d’écrire. Toute sa vie, il n’a eu de cesse d’envoyer à ses amis et à ses amantes toutes sortes de lettres. Hélas, nous avons perdu presque toutes celles qu’il a écrites, et il a brûlé presque toutes celles qu’il a reçues. Mais nous savons que, au moment de le quitter, Henriette, son plus grand amour, écrivit avec sa bague ce message, gravé sur la fenêtre :  » Tu oublieras aussi Henriette.  » Presque vingt ans plus tard, elle le croise sans qu’il la voie ; elle lui fait alors parvenir une enveloppe, adressée  » Au plus honnête homme que j’aie connu au monde « . A l’intérieur, une feuille blanche. Elle est signée d’un nom : Henriette.

PARTOUZE. Le vicomte de Lismore a organisé à Rome une fête digne de l’Antiquité, où chacun, parmi les 24 invités, se donne à qui il veut. Des jeux sont même organisés : ici, on doit deviner les sexes, là, on fait la course à l’érection. Dans Le Casanova de Fellini, le génial cinéaste donne à Giacomo le rôle du héros de la fête : c’est lui qui aurait gagné la palme de l’exploit sexuel. Dans la réalité, c’est tout l’inverse. Cette  » incroyable partie  » ne l’excite pas le moins du monde, même s’il n’est pas mécontent d’en être le témoin.  » Ce que j’ai gagné dans cette infernale débauche est une plus ample connaissance de moi-même.  »

PROLONGATION

VOLONTAIRE DE GROSSESSE. Giustiniana Wynne veut avorter ; pour ce faire, elle demande de l’aide à Casanova, qui, pour une fois, n’y est pour rien. Ils vont ensemble chez l’avorteuse et en reviennent effrayés. Alors, Giacomo cherche et trouve une autre solution : en mélangeant du miel et des épices, on obtient l’Aroph (abrégé d’ Aroma philosophorum), qui, selon l’alchimiste Paracelse, ouvre le col de l’utérus si on l’y applique consciencieusement. Il propose à Giustiniana de le lui administrer, en utilisant son propre appendice naturel. Le traitement dure des nuits entières. Six mois plus tard, elle accouche d’un beau poupon.

PUGNETTA. C’est la caresse la plus facile. Les écoliers l’apprennent à la pension, où ils se retrouvent dans les lits pour s’y livrer ensemble. Les maîtresses de Giacomo la lui ont souvent prodiguée, mais il lui fallut arriver à Madrid, à l’opéra, pour apprendre le mot. Là, il s’étonne que les loges ne soient pas fermées, comme elles le sont dans les théâtres italiens. On lui répond :  » C’est étonnant, car la dame et le monsieur, étant sûrs que ceux qui sont dans le parterre ne voient pas leurs mains, ils pourraient en faire mauvais usage. – Quel usage ? – Valgame Dios. La dame pourrait faire la pugnetta à Monsieur.  »

RÉGÉNÉRATION. La marquise d’Urfé est une vieille milliardaire qui ne demande pas mieux que d’être un peu aimée par Casanova. Mais celui-ci n’entend pas être un simple gigolo : pour se faire couvrir de cadeaux, il multiplie les élucubrations alchimiques. Il fait même croire à la vieille marquise qu’elle peut, grâce à lui, non seulement rajeunir, mais renaître entièrement. L’opération donne lieu au récit le plus baroque de Casanova, qui prend pour l’occasion les atours d’un magicien et stimule son érection à l’aide d’une jeune femme déguisée en ondine (génie de l’eau). Par trois fois, il fait jouir la vieille. En un coup, il lui vole toutes ses pierres précieuses.

Les illustrations, signées Julius Nisle, sont extraites des Mémoires de Casanova, publiés en Allemagne vers 1850.

À LIRE : Histoire de ma vie, par Casanova. Robert Laffont/Bouquins, 3 t. Casanova, par Maxime Rovere. Folio, 304 p.

M. R.

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