Chose promise…

Le Vif

Dans une Afrique du Sud en proie à ses démons, une famille d’Afrikaners voit son destin chamboulé par un serment bafoué. Une fresque époustouflante.

La demande ne paraissait pas extravagante: juste avant de mourir, Rachel avait fait promettre à son mari de donner à Salome la masure que cette fidèle bonne noire occupe depuis toujours de l’autre côté de la butte qui domine les terres arides de la ferme familiale. «Elle était avec Ma quand elle est morte, juste là, à côté du lit, même si personne ne semble la voir, il faut croire qu’elle est invisible.» Lui faire ce «cadeau» n’aurait été que justice. Mais dans cette Afrique du Sud gangrénée par l’apartheid et construite sur la spoliation des biens et des corps, même cette modeste faveur est illégale. Et, de toute façon, pour Pa comme pour le reste du clan Swart, il s’agit d’une ultime lubie de Rachel, du même ordre que son rapprochement tardif avec ses racines juives.

Il n’y a que Amor, la cadette, pour ne pas prendre la promesse à la légère. Et pressentir que l’avenir de la famille se joue dans cette occasion manquée de se racheter une dignité. Elle n’aura d’ailleurs de cesse de demander réparation, quitte à prendre ses distances et à entreprendre un chemin de croix pour soulager la culpabilité qui la ronge. Personnage fascinant, frappé par la foudre à l’âge de 6 ans et depuis sensible aux vibrations invisibles, Amor capte les non-dits et assiste impuissante à la malédiction des Swart.

Intonations liturgiques

Alors que le pays s’émancipe dans l’allégresse puis bascule dans la corruption et la violence, la mort vient régulièrement endeuiller ces Boers ordinaires – première victime: le père, mordu par un serpent lors d’un défi absurde servant à tester sa foi –, précipitant le déclin moral et matériel de cette petite dynastie blanche – symbolisé par le délabrement galopant de la vaste maison perdue au milieu du Veld.

Une métaphore puissante d’un pays à la dérive, même si Damon Galgut, qui a décroché le très convoité Booker Prize 2021 avec cette fresque familiale aux accents liturgiques – la religion prospère sur le malheur, c’est bien connu –, se garde bien de tout moralisme. Grâce à une langue sublime et à un humour grinçant, distillé par une voix off épousant les tourments intérieurs des uns et des autres, même les personnages les plus antipathiques à première vue se révèlent dans le clair-obscur de leur humanité sensible, grotesque ou pathétique. Ainsi du prêtre concupiscent ou d’Anton, le frère d’Amor, dont les excès autodestructeurs trouvent leur source dans le souvenir douloureux d’un meurtre «légal» commis lorsqu’il était soldat. Cette famille a «quelque chose dans l’âme de rouillé, brouillé par la pluie et cabossé», écrit l’orfèvre de la littérature sud-africaine. Plus dure sera la chute…

ROMAN

La Promesse

De Damon Galgut, éditions de l’Olivier, 304 pages.

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