Chine La révolte des Tibétains

A Xiahe, dans le nord-ouest du pays, les moines sont descendus dans la rue. Comme leurs frères de Lhassa. Reportage.

 » De notre correspondante

Les Tibétains se sont soulevés.  » La vérité sort de la bouche d’une petite fille accoudée dans l’une des rares échoppes ouvertes de Xiahe, au Gansu, la région du nord-ouest de la Chine qui faisait partie du Tibet avant l’invasion des troupes de Pékin en 1949. Sillonné par des soldats, animé par les seules sirènes d’un véhicule blindé remontant la rue principale, le quartier chinois de Xiahe était une ville morte dimanche 16 mars, dans l’après-midi. Les commerçants avaient baissé leurs épaisses grilles de fer, sans parvenir à masquer les fenêtres brisées jusque dans les étages. Les quelques hôtels encore en activité avaient reçu ordre de ne pas héberger la poignée d’étrangers arrivés à Xiahe après un éprouvant jeu de cache-cache avec les multiples barrages de police.

Ici, c’est le monastère de Labrang, un des plus vastes lieux de culte bouddhiste tibétain, qui a donné le signal de la révolte, les 14 et 15 mars. Des milliers de moines ont déserté les salles de prière de leur monastère niché à plus de 3 000 mètres d’altitude, dans le sud du Gansu, pour manifester, d’abord de façon pacifique dans le village tibétain et autour des lieux sacrés, puis de façon plus véhémente en direction de la ville chinoise. Rapidement, Xiahe s’est retrouvée quadrillée par un imposant déploiement de forces. La manifestation du 15 a été dispersée.  » J’ai vu un moine, un adolescent qui devait avoir 17 ans à peine, s’évanouir après avoir été touché par une grenade lacrymogène « , témoigne un moine. Sur place, le bilan des deux jours de manifestations reste flou.

Le vieux drapeau du Tibet réapparaît

Si les Chinois se terrent, les Tibétains de Xiahe, eux, semblent plutôt satisfaits de la tournure des événements. Comme si les soulèvements des derniers jours, à Xiahe, mais également à Lhassa et dans quelques autres temples du Gansu et du Qinghai, leur avaient redonné une fierté longtemps ravalée devant les brimades du gouvernement de Pékin. A la morosité militaire de la ville chinoise s’opposait, dimanche, l’animation des quartiers tibétains entourant le monastère. Les pèlerins s’appliquaient à tourner les moulins à prière comme si rien ne pouvait perturber leur ferveur.

Difficile de savoir comment le mouvement a débuté, ici, dans le monastère de Labrang. Mais l’impulsion est clairement venue des monastères de Lhassa, en rébellion ouverte contre le pouvoir chinois depuis plusieurs jours. Pas d’ambiguïté non plus sur le rôle de guide spirituel joué par le dalaï-lama : à Xiahe, les religieux sont totalement imperméables à la rhétorique chinoise qui dépeint le leader exilé sous les traits d’un dangereux traître cherchant à déstabiliser la société chinoise.

Les manifestations ont fait apparaître des drapeaux tibétains,  » vous savez, celui du Tibet d’il y a un peu plus de cinquante ans, dit, ironiquement, un moine. Nous sommes fidèles aux revendications du dalaï-lama « , poursuit-il. Il ajoute qu’il souhaite également l’indépendance du Tibet,  » ce dont le dalaï-lama n’a certainement pas parlé « . Et conclut :  » Nous voulons mettre en avant notre langue, notre culture, notre religion. « 

Quant à savoir pourquoi les manifestations éclatent maintenant, la réponse tombe comme une évidence :  » Vous ne savez donc pas que nous sommes en 2008 ?  » sourit un religieux. Dans moins de cinq mois, la Chine accueillera, en effet, les Jeux olympiques, et ce grand événement sportif, conçu comme une ode à la gloire de son développement et de son modernisme, place le régime de Pékin sous l’£il attentif de la communauté internationale. A quelques mois des Jeux, le slogan  » Un monde, un rêve « , vient de s’écrouler, entaché du sang tibétain. l

Séverine Bardon

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