Cherchez les femmes !

Tour à tour lascive, mondaine ou  » froufroutée « , la femme peuple l’imaginaire des artistes depuis des siècles. Mais derrière le chevalet, la tendance s’inverse. La preuve : beaucoup sont incapables de citer quelques noms de femmes peintres. Il est dès lors fort tentant de se demander pourquoi l’essentiel de l’histoire de l’art a été écrit au masculin. N’y a-t-il pas eu de grandes femmes artistes ?

D’Artemisia Gentileschi à Frida Kahlo, on compte quantité de femmes talentueuses qui s’adonnèrent à des activités artistiques. Pourquoi ne les connaissons-nous pas ? Pourquoi leurs mentions dans les livres et manuels sont-elles à doses homéopathiques ? Les hommes qui écrivent l’Histoire auraient-ils cherché à  » effacer  » les femmes dans le seul et unique but de préserver leur domination dans la sphère artistique ? Trêve de mauvaise foi ! De nombreuses raisons historiques et culturelles expliquent cette quasi-absence.

Jusque dans les années 1970, la présence des femmes dans les expositions reste confidentielle. En 1973, Sonia Delaunay est la première femme à être exposée de son vivant au Louvre. Une mini-révolution ! Depuis les années 1990, on assiste à une véritable explosion : les femmes apparaissent de plus en plus et s’affirment dans un marché jusque-là réservé aux hommes. Elles s’expriment à travers des pratiques artistiques neuves (vidéo, photo, installations…) et se réapproprient la peinture. Persiste néanmoins un problème : les carrières masculines sont encore clairement privilégiées. Les femmes se font de nouveau rares à mesure que l’on va vers les sphères les plus reconnues et elles sont toujours sous-représentées dans les musées.  » Moins de 5 % des artistes dans les sections d’art moderne sont des femmes, mais 85 % des nus sont féminins.  » Cette constatation des Guerrilla Girls – un groupe d’artistes féministes – est encore terriblement d’actualité.

Seule consolation : le génie artistique n’est en aucun cas proportionnel au taux de testostérone ! La preuve avec le palmarès 2009 des artistes les plus significatifs. On comptait sur les 50 premiers artistes 10 femmes, dont deux dans le top 5, à savoir Cindy Sherman (3e) et Louise Bourgeois (5e). Les autres, connues que d’une poignée d’initiés, se nomment Marina Abramovic, Pipilotti Rist, Rosemarie Trockel, Yoko Ono, Jenny Holzer, Nan Goldin, Mona Hatoum et Tacita Dean.

Les handicaps

Mais il en a fallu du temps, et bien des obstacles, avant d’en arriver là. Jusqu’en 1663 (admission de la première femme à l’Académie de Paris), en effet, le non-accès à l’enseignement constitue le handicap féminin le plus flagrant. Ecartées de l’art avec un grand A, les femmes devaient se contenter de seconds choix, tels l’enluminure, le tissage, la broderie… Des pratiques accessoires et dont les travaux demeuraient anonymes. Si, par chance, l’ouvrage porte une signature, d’autres difficultés se posent : l’abandon du nom de jeune fille au mariage et la pénurie de données biographiques transforment les recherches en véritable parcours du combattant.

Pourtant, il existe dès le Moyen Age deux façons pour une femme d’accéder au statut d’artiste. Soit elle travaille sous la direction de son père ou mari dans l’atelier familial, soit elle entre dans les ordres et se consacre à l’art religieux. Sans connaissances spécifiques, il s’avère néanmoins difficile de peindre un retable d’importance. Il ne reste dès lors plus qu’à copier les £uvres de collègues masculins ou créer de tout petits tableaux destinés à la dévotion privée, selon l’idée répandue que la délicatesse des mains féminines convient mieux aux tableaux miniatures. Foutaise !

 » C’est beau, pour une femme ! « 

Si l’humanisme et les bouleversements idéologiques de la Renaissance encouragent l’essor de femmes artistes, il faut encore attendre quelques décennies avant de reconnaître à une femme tout le talent d’un homme. Parmi celles que l’histoire a consacrées, retenons Artemisia Gentileschi (1593-1652). Remarquablement douée, elle est aujourd’hui considérée comme l’un des premiers peintres baroques. A l’époque, la demoiselle fut néanmoins plus célèbre pour le procès intenté à son maître que pour ses prédispositions picturales. Autre personnalité, celle de Judith Leyster (1609-1660). Reconnue comme la première peintre à avoir abordé tous les sujets d’usage, elle tomba très vite dans l’oubli après sa mort. Pis, ses tableaux furent attribués par des marchands sans scrupules à Frans Hals ! Elisabeth Vigée-Lebrun (1755-1842) marqua aussi son temps. Grande portraitiste, la Française était prisée à travers toute l’Europe. Mais un tel succès, au féminin, a ses revers : on médit et on la flanque d’une réputation imméritée de femme facile. Décidément, il n’est pas toujours bon d’être une femme et une artiste. Cette longue et laborieuse émancipation découle aussi du statut même de toute activité rétribuée : si les tâches domestiques étaient le lot des femmes pauvres, les occupations rémunérées (quelle que soit leur nature) étaient interdites aux femmes de la bourgeoisie… Question de prestige. Loisir épanouissant, la peinture était pratiquée par certaines en dilettante. Un gentil passe-temps qui ne pouvait décemment passer les portes de la postérité.

Le grand changement survient avec l’art moderne. On découvre de brillantes peintres, même si la plupart sont envisagées, dans l’ombre d’un artiste reconnu, comme des personnalités périphériques. Que serait devenue Berthe Morisot – figure emblématique de l’art dit  » féminin  » – sans avoir été le modèle et la belle-s£ur de Manet ? Et Suzanne Valadon, mère d’Utrillo et modèle de Renoir, Puvis de Chavannes, Manet… ? Et Camille Claudel, sans sa relation tumultueuse avec Rodin ? Et enfin Mary Cassatt, sans l’amitié et les encouragements nourris de Degas ? Plus récemment, quelques artistes bénéficient de l’ascension de leur mari pour se forger leur propre nom. Diego Rivera pour Frida Kahlo, Jean Tinguely pour Niki de Saint Phalle, Robert Delaunay pour Sonia…

GWENNAëLLE GRIBAUMONT

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